La Libre Pensée reçoit Régis Parayre, président de l’association des amis du monument de Gentioux (Creuse)

12 novembre 2017

Emission animée par David Gozlan, secrétaire général de la FNLP

David Gozlan : Pendant ce mois de novembre, et depuis plus de trente ans, la Libre Pensée réalise plusieurs rassemblements qui, pour la plupart se sont déroulés hier autour des monuments pacifistes et antimilitaristes. Ces monuments qui ont été construits après la guerre portent en eux une volonté très forte, à la fois des communes, des familles de condamnés souvent à la boucherie, de rendre hommage à leurs fils tout en dénonçant la guerre.
C’est autour de ce type de monuments pacifistes et antimilitaristes que la Libre Pensée à l’habitude de faire ses rassemblements.

Si l’on doit donner un exemple représentatif, il existe à Gentioux (commune de la Creuse) un monument qui représente un enfant, un orphelin, le poing tendu vers une inscription : « Maudite soit la guerre ».

Régis, toi qui connais bien ce monument, peux-tu nous rappeler comment ce monument a vu le jour ?

Régis Parayre : Comme dans toutes les communes de France, au début des années 20, les élus se sont posé la question de savoir comment ils pouvaient rendre hommage à tous les hommes, les jeunes hommes, morts pendant la guerre de 1914/1918. En 1920, à Gentioux, à l’initiative du maire de la commune, qui était Monsieur Jules Couteau, cette discussion a été ouverte au niveau municipal. D’emblée, les élus étaient d’accord sur le fait qu’il fallait dénoncer cette guerre pour ce qu’elle était, à savoir une épouvantable boucherie. Donc le projet a été conçu dans ce sens. Sur la stèle de granit, on trouve les 58 noms des morts de la commune gravés dans la pierre et au pied de cette colonne de granit, on trouve la fameuse, la célèbre statue de l’orphelin de Gentioux habillé en écolier de l’époque avec sa blouse, chaussé de sabots en bois, le poing dressé en signe de révolte, en direction de la liste des morts sous laquelle se trouve cette inscription « Maudite soit la guerre ».
Ça n’a pas fait l’objet de controverses à Gentioux. Les élus et la population étaient tous d’accord. D’ailleurs le monument a été financé par une souscription publique à laquelle la population a adhéré.

D.G. : C’est effectivement un monument fort et chaque année ce sont des centaines de personnes qui se réunissent autour.

R.P. : Oui. Depuis 1987, soit 30 ans, à l’initiative des libres penseurs du Limousin – à savoir les départements de la Creuse, de la Corrèze et de la Haute-Vienne – nous nous rassemblons pour condamner la guerre et le militarisme.
En 1990, nous avons constitué, avec d’autres, un comité qui s’appelle « Le comité laïque des amis du monument aux morts de Gentioux », en réalité le comité de Gentioux pour tout le monde.
C’est maintenant dans le cadre de ce comité que se font les différents rassemblements.

D.G. : Cela fait tout de même 30 ans de militantisme autour d’un monument. On voit que quelque chose qui ne semblait pas vivre, la pierre, a pris vie pour condamner la guerre.
On voit toute la force du message que porte le monument où toutes les générations se retrouvent encore pour fêter tous ces hommes qui n’auraient pas dû mourir si jeunes.
Nicole, y a-t-il d’autres monuments qui ont un message similaire et une telle portée ?

Nicole Aurigny : Oh oui ! Il existe d’autres monuments qui condamnent la guerre ou qui prônent la paix. De même que le monument de Gentioux n’a jamais été inauguré officiellement, ces autres monuments ont souvent une histoire mouvementée.
Je voudrais prendre pour exemple celui de Tarnos. Hier, à Tarnos dans les Landes, a été inauguré le monument aux morts de la guerre de 14. Cela peut paraître curieux mais c’est parce qu’il a été inauguré avec les inscriptions pacifistes qu’il portait en 1921. Il s’agit donc d’une deuxième inauguration. En effet, les phrases pacifistes que portait ce monument en 1921 : « L’humanité n’a qu’un chemin : la paix » ; « Les guerres n’ont jamais été que la misère des peuples. Souvenez-vous ! », ont déplu au Préfet de l’époque et il a demandé au maire de Tarnos de les effacer. Le maire de Tarnos a refusé et chose incroyable, le Préfet a osé destituer le maire de cette ville. Le Préfet a fait retirer les phrases pacifistes en envoyant des ouvriers, protégés par 60 gendarmes, pour pouvoir obtenir ce résultat.

Ce qui s’est passé hier est donc un événement à saluer puisque les inscriptions pacifistes sont maintenant remises sur ce monument et c’est ce qui a été inauguré. C’était à la demande et proposition de la fédération des Landes de la Libre Pensée.

Je pourrais citer un autre monument : celui de Vingré dans l’Aisne.

D.G. : Très fort aussi.

N.A. : Ce monument dénonce à sa façon la guerre puisque c’est un monument qui est consacré à 6 soldats qui ont été fusillés pour l’exemple le 4 décembre 1914.
Je crois qu’il faut rappeler les faits. Ces soldats ont été condamnés dès les premiers mois de la guerre. On les a accusés d’avoir reculé, ce qui était faux, mais il fallait faire des exemples car les généraux avaient une stratégie catastrophique, une incompétence notoire, et pour masquer cette incompétence, ils ont fait, comme ils disaient, des exemples. Avant même que ces soldats passent en conseil de guerre il avait été décidé qu’on en passerait 6 par les armes. Ils ont donc été fusillés et leurs camarades, n’acceptant pas cette injustice, ont milité dès la fin de la guerre pour leur réhabilitation et surtout pour leur élever un monument.
Et on voit l’importance d’un monument qui témoigne encore aujourd’hui, plus de cent ans après, de leur martyre et de cette injustice.

Nos camarades de la Libre Pensée, Pierre et Danielle Roy, ont recensé les monuments pacifistes et les monuments qui dénoncent la guerre, dans toute la France. Ils ont publié un livre que l’on peut trouver à la librairie de la Libre Pensée.
En même temps qu’ils ont fait ce recensement, ils ont découvert combien de difficultés avaient rencontré les maires de ces villages pour faire construire ces monuments dès lors qu’ils n’étaient plus dans la tradition officielle des monuments qui célébraient les combats.

Par exemple, dans la Loire, le monument de Saint Martin d’Estréaux en 1922 est tout à fait intéressant. Le maire voulait que le monument soit un manifeste contre la guerre et il y a fait mettre beaucoup d’inscriptions. Cela lui a valu des protestations notamment celle du curé de la paroisse qui voulait l’intervention du Préfet pour empêcher la construction de ce monument. Le maire a tenu bon et le Préfet n’est pas intervenu. Voilà ce que l’on peut lire sur l’un des piliers du monument : « Bilan de la guerre : plus de 12 millions de morts. Autant d’individus qui ne sont pas nés. Plus encore de mutilés, blessés, veuves et orphelins. Pour d’innombrables milliards de destructions diverses, des fortunes scandaleuses édifiées sur les misères humaines. Des innocents au poteau d’exécution, des coupables aux honneurs. La vie atroce pour les déshérités. La formidable note à payer. »
On voit la force, je pense, de ce monument pacifiste.

D.G. : Ce qui est intéressant, on le voit bien, c’est le fait que l’histoire revit à travers ces monuments qui ne sont pas des monuments « va –t- en guerre » comme il y en a beaucoup.

Par contre cette histoire que l’on a oubliée, dont on parle peu, a aussi connu des événements importants dans cette première guerre mondiale, et c’est le cas notamment de ces 20 000 soldats russes échangés par le Tsar contre des fusils français. Ces hommes, oubliés par l’histoire officielle, se sont vus réhabilités par l’action de la Libre Pensée et il s’avère que là aussi c’est en Creuse, à la Courtine, que l’on retrouve ces éléments. Régis est-ce que tu peux nous en dire un mot ?

R.P. : A partir du printemps 1916 des soldats russes sont arrivés en France pour combattre sur le front occidental dans le cadre d’un accord entre le Tsar Nicolas II et le gouvernement français. Mais très rapidement ces soldats se sont rendus compte de l’absurdité de cette guerre, de cette boucherie, et en même temps dans leur pays il y avait des événements extraordinaires qui étaient en train de se produire à savoir : la révolution, la chute du Tsar Nicolas II, la mise en place d’un gouvernement provisoire et un processus révolutionnaire qui se poursuivait. Tout cela a fait qu’à un moment donné les soldats russes en France ont refusé de poursuivre les combats. Bien sûr, cela a fait grand peur à la hiérarchie militaire française qui était elle-même déjà confrontée à des mutineries très nombreuses et très massives comme conséquence de la catastrophe de l’offensive Nivelle dite « Offensive du chemin des dames ».
Pour éviter cette contamination complète de la troupe, les autorités russes et françaises ont décidé qu’il fallait retirer ces soldats du front et ils sont allés les installer au bout du monde sur le plateau de Millevaches, loin de tous les grands axes de communication et de toute grande ville, pour tenter de régler le problème, c’est-à-dire essayer de les convaincre de reprendre les armes et de poursuivre les combats.
Ces soldats sont arrivés à La Courtine le 26 juin 1917. Ils ont été internés dans le camp. Mais très rapidement la situation a complètement échappé aux officiers. Les soldats mutins ont refusé de rendre leur arme, ils ont constitué un soviet à La Courtine pour organiser la vie quotidienne, gérer l’intendance, gérer les relations avec la population locale. Durant tout l’été, les officiers russes, en accord avec la hiérarchie française, ont mis la pression sur les soldats russes pour essayer de les faire capituler. Ils ont notamment ceinturé militairement le camp pour couper toute relation avec l’extérieur ; ils ont même tenté de les affamer à un moment donné et au bout du compte, au mois de septembre, les soldats russes n’avaient toujours pas capitulé et exigeaient toujours la même chose : leur rapatriement en Russie et leur refus de poursuivre les combats. C’est la solution militaire qui a été choisie. Des soldats français avec des soldats russes restés fidèles à l’ancien régime ont écrasé les soldats mutinés de La Courtine.

D.G. : C’est en rapport avec cette action que la Fédération de la Libre Pensée de la Creuse a organisé dans le cimetière de La Courtine, l’érection d’une plaque en l’honneur de ces soldats russes.
Depuis trente ans nous nous réunissons pour demander la réhabilitation des fusillés pour l’exemple. Si les présidents successifs n’ont jamais voulu réhabiliter ces hommes qui n’étaient pas des lâches, il est important Nicole, de préciser que nous, nous irons jusqu’au bout, jusqu’à cette réhabilitation. Nous prévoyons cette réhabilitation en 2018. C’est-à-dire que nous considérons que nous, nous sommes aussi la République, nous réunissons de 8 000 à 10 000 citoyens autour de nos rassemblements du 11 novembre.
Quelle va être notre action en 2018 et qu’avons-nous prévu pour les réhabiliter ?

N.A. : Nous avons prévu d’élever un monument aux soldats morts par la France. Tout nous y conduit. Tout d’abord la propre réflexion de la Libre Pensée, comme cela a été montré, mais aussi le sentiment d’injustice ressenti de façon aiguë par les familles, les descendants de ces fusillés, qui ont signé à plus de 50 un Appel à la République à la fois pour que justice soit rendue et qu’on leur rende leur honneur.
Les fusillés pour l’exemple l’ont été au nom du peuple français et cela nous interpelle. Nous sommes le peuple, nous voulons la justice. Oublier, ignorer ces faits tragiques serait se montrer complice. Se souvenir c’est affronter la réalité, savoir ce qu’est la guerre et la combattre. C’est pourquoi nous voulons quelque chose de bien visible, un monument en pierre de 4 mètres de haut, sur la ligne de front dans l’Aisne.
Des sculpteurs nous ont proposé des projets et nous avons collecté le tiers de la somme nécessaire. Il nous faut donc poursuivre. Nous appelons tous les citoyens qui veulent que justice soit rendue pour les fusillés pour l’exemple, à rejoindre les centaines de premiers donateurs. Faire un don pour un monument en pierre qui témoignera à l’avenir que 639 soldats français sont tombés sous les balles françaises, pour que chaque passant puisse connaître cette injustice.
Envoyez votre chèque à notre Association pour l’Erection d’un Monument en Hommage aux Fusillés pour l’Exemple (AEMHFE) 49 rue Quentin Barré 02100 St Quentin.

D.G. : Nicole, Régis je vous remercie. Je rappelle que la Fédération nationale de la Libre Pensée a un colloque le 25 novembre à St Fons dans la banlieue de Lyon sur « Pétain 1917, Pétain 1940, quelle continuité ? ».