14 janvier 2018
Émission animée par David Gozlan, secrétaire général de la FNLP
David Gozlan : Bonjour à vous deux. En ce début d’année nous avons voulu recevoir la CGT. Pourquoi ? Parce que sur les questions de neutralité dans l’entreprise, sur les questions de laïcité, mais aussi depuis ces deux dernières années, il y a énormément de luttes syndicales contre la loi Travail et cela se poursuit un peu avec la question des ordonnances. Cette loi Travail impose une forme de neutralité dans l’entreprise sous couvert de laïcité.
Nathalie, Alain, face à ce maelström de lois, et de lois récentes, qui arrive, pourquoi cette introduction de neutralité dans l’entreprise sous couvert de laïcité, peut sembler problématique ?
Nathalie Verdeil : Tout d’abord bonjour à tous. C’est vrai que depuis quelques années, dans le tourbillon, comme vous dites de toutes les réformes et mises en place et les tentatives de mise en place de réformes y compris sous le biais de la laïcité par différents gouvernements, il y a eu une attaque beaucoup plus précise depuis 2016 à travers la loi El Khomri…
DG : La laïcité et cette neutralité pourquoi cela peut sembler problématique pour les salariés ?
NV : ça ne semble pas problématique, c’est problématique. Tout simplement parce qu’autant dans la sphère publique la notion de laïcité est réglementée. Entre autres, dans la fonction publique les salariés sont contraints au principe de neutralité vis-à-vis des usagers qu’ils reçoivent.
Dans la sphère privée, donc dans l’entreprise, la règle qui est toujours régit par le Code du Travail c’est la liberté. La liberté d’expression du salarié dans l’entreprise privée.
Sous couvert de laïcité, le principe de neutralité remet en cause les libertés individuelles des salariés dans la sphère privée.
DG : Par rapport à leur employeur ?
NV : Par rapport à leur employeur, par rapport à leur travail et leur contrat de travail. Leur employeur peut désormais imposer à travers un règlement spécifique dans l’entreprise, un principe de neutralité de ses salariés et pas uniquement sur les convictions religieuses.
DG : Alain peut-être deux ou trois mots sur cette fameuse loi El Khomri et son article 2 sur lequel le gouvernement s’était appuyé ?
Alain Dru : Ce qu’il faut dire c’est que très clairement c’est un point qui a été rajouté dans un cadre qui était celui de la campagne de Manuel Valls sur toutes les questions de laïcité. Ça été très clairement, aussi, quelque chose que l’on peut positionner dans les attaques directes vis-à-vis de l’islam qui se sont déroulées à cette époque-là. Il y avait un point important au niveau juridique : la nouvelle formulation de la loi portait sur le fait que les restrictions devaient être justifiées à la fois par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux et par les nécessités de bon fonctionnement de l’entreprise. Cette notion de « bon fonctionnement de l’entreprise » c’est quelque chose de complétement nouveau et c’est aussi la porte ouverte à une sorte d’arbitraire patronal.
On l’a vu s’exercer rapidement dès la sortie du texte de loi et étrangement les deux premières affaires que nous avons eu c’était la question du port du voile dans des centres d’appels. On ne voit pas se qui interdisait le port du voile dans ces centres d’appels.
Nous pensons que l’on a instrumentalisé la laïcité pour essayer de diviser les travailleurs entre eux. Je pense que c’est la problématique principale : l’utilisation de cet article 2 et la manière dont il pourra être rédigé, parce que derrière la loi française il y a un certain nombre de conventions internationales qui ne permettent pas de faire n’importe quoi non plus, l’enjeu est de voir comment entreprise par entreprise on pourra utiliser le concept de neutralité pour pouvoir diviser les salariés.
DG : On voit bien qu’il y a une fragmentation du droit du travail qui s’opère.
Un des arguments utilisés était la question de l’égalité homme/femme.
Nathalie, est-ce que l’on a raison de penser que c’est un leurre ?
Quelles seraient, selon toi, selon vous, les mesures pour une égalité effective entre salariés femmes et hommes ?
NV : Vous avez raison. Là où c’est un leurre c’est qu’ils ont voulu régler à travers un certain nombre de règles, or le Code du travail lutte déjà sur l’égalité professionnelle homme/femme à travers les agissements sexistes.
Là on traite l’agissement du fait religieux et on le renvoie sur le fait que l’on ne discrimine pas par rapport au sexe mais par rapport à une religion.
Le Code du travail régit les atteintes ou discriminations par rapport à des agissements sexistes par contre ce qui est sûr c’est que pour lutter concrètement pour l’égalité femme/homme il faudrait parler également des violences sexistes au travail. Pour le coup ils auraient pu mettre dans les règlements intérieurs des entreprises la manière d’évaluer et de lutter concrètement contre les agissements sexistes au travail. Ce qui n’est pas le cas !
Evidemment la CGT a des revendications en matière d’égalité salariale, c’est une des priorités pour l’égalité femme/homme.
DG : De plus en plus d’employeurs, par le biais de cette loi, ont la possibilité de mettre en place des chartes de laïcité. Alain, en quoi peuvent-elles constituer un danger pour les salariés ou surtout un obstacle à la liberté syndicale ?
AD : Il y a un certain nombre de chartes de la laïcité avec lesquelles nous ne sommes pas forcément en désaccord.
Par exemple, quand on a travaillé une charte de la laïcité dans la fonction publique pour rappeler un certain nombre de règles et notamment que si la laïcité s’appliquait aux fonctionnaires elle ne s’appliquait pas aux usagers des services publiques, cela nous paraissait quelque chose d’important ne serait-ce qu’en terme pédagogique.
Ça c’est la réalité de la fonction publique. Par contre en entreprise, dans le cadre du droit privé et dans un cadre juridique qui est celui de la liberté de penser, dans lequel l’employeur n’a pas à intervenir ou interférer, tous ce qui peut aller dans le sens de contraintes aux libertés de penser, aux libertés d’expression des salariés nous posent une vraie difficulté.
C’est sur ce point là que nous avons insisté ces derniers temps.
DG : Vous avez des exemples par rapport à ces chartes qui iraient à l’encontre des droits des salariés ?
NV : Nous n’en avons pas beaucoup mais quelques-unes posent effectivement ce fait de dangerosité par rapport aux restrictions des libertés individuelles et plus largement que sur la question de laïcité.
Il y a eu la très médiatique charte de chez Paprec qui, sous couvert de vouloir présenter en exemple le respect de la diversité des salariés dans l’entreprise, porte quand même atteinte à un certain nombre de libertés individuelles du salarié dans une sphère privée.
On a quelques autres exemples que je ne citerais pas au risque d’en oublier un.
Ils ne sont pas majoritaires car je pense que l’employeur jusqu’à maintenant ne prenait pas le risque d’aller sur un terrain qui était illégal.
Là où il faut être particulièrement vigilant et qu’il faut aviser les salariés c’est que l’article 2 de la loi Travail introduit la possibilité de faire un règlement intérieur avec des clauses de neutralité, qu’elles soient philosophiques, politiques, religieuses etc. et cela est dangereux.
DG : Que les auditrices et auditeurs comprennent bien : l’expression même du syndicat pourrait à un moment donné, rentrer dans ce cadre là et l’employeur pourrait dire qu’elle pose problème. Est-ce que ça peut être le cas ?
NV : Bien sûr puisque l’article de loi ne précise pas le type de libertés d’expression. Il généralise la liberté d’expression dans un principe de neutralité. Evidemment un syndicat va exprimer les positions de son syndicat et les revendications de celui-ci. Il émet donc des idées qui amènent à un débat dans l’entreprise.
AD : Il faut quand même se rappeler que jusqu’en 2014 ces questions de laïcité n’étaient pas un sujet en entreprise. C’est un sujet qui a été complétement fabriqué pour des questions politiques à un moment donné. On a mis en avant cette question là mais encore aujourd’hui on se rend compte que dans le quotidien de l’immense majorité des entreprises ce n’est pas le sujet principal de discussion et de discorde. Les entreprises qui se lancent là-dedans c’est parce qu’elles ont trouvé un moyen de diviser les salariés et pouvoir mettre en discussion un sujet qui n’est pas un sujet de fond qu’est celui des conditions de travail, des conditions salariales dans l’entreprise.
DG : Rapidement avant de conclure. Quels sont les grands chantiers pour la CGT en 2018 ?
NV : Il y a un chantier qui a commencé l’année dernière et va se continuer, c’est le combat contre les ordonnances et la mise en place de la loi Travail dans les entreprises. C’est un sujet d’actualité car on vient de voir les premières ruptures conventionnelles collectives. On voit bien l’intérêt des salariés à s’organiser concrètement dans l’entreprise puisqu’il faut un accord majoritaire pour que cela soit acté.
Nous sommes inquiets pour les salariés qui ne sont pas organisés et qui pourrait dépendre d’un accord unilatéral de l’employeur.
Evidemment l’autre chantier c’est le renforcement de la CGT. C’est convaincre le plus possible les salariés qu’ils ont tout intérêt à s’organiser dans l’entreprise.
Et bien évidemment tous les sujets d’actualité que sont l’assurance chômage etc.
DG : Merci à vous d’être venus. J’informe nos auditeurs qu’un numéro de l’Idée Libre vient de sortir sur « Entreprise et laïcité ». Vous pouvez vous le procurer au près de la librairie de la Libre Pensée 10/12 rue des Fossés St Jacques Paris 5.
Je vous remercie.