En direct avec Valentine Zuber

Pour nous suivre

Des Inquisiteurs, en mal de bûchers, font souvent le procès des sociologues et d’historiens, dont les points de vue ne correspondent pas à leurs visées totalitaires. Ils confondent les militants et les associations (au cœur des évènements de tous les jours) et ceux dont le métier et de jeter un regard prospectif sur les évènements d’hier et d‘aujourd’hui avec l’outil du microscope.

C’est ainsi qu’un procès, à « la Torquemada » a été fait à Jean Baubérot sur son ouvrage « Les 7 laïcités ». L’auteur analyse et découpe les choses avec les outils du sociologue qu’il est. Aussitôt, les totalitaires hurlent « Il n’y a pas 7 laïcités, il n’y en qu’une »… la leur, bien sûr. Or, Jean Baubérot n’a fait qu’analyser avec raison, qu’il y avait différentes conceptions de la laïcité. Il a même eu le mérite de n’en voir que 7, alors qu’on pourrait dire qu’il y a autant de conceptions qu’il n’y a de gens qui en parlent … souvent à tort et à travers.

Rien que dans la Libre Pensée, il y a eu des conceptions différentes sur la Séparation des Eglises et de l’Etat (c’est-à-dire l’outil de la laïcité) entre Jean Jaurès, Aristide Briand, et Ferdinand Buisson, et encore entre Maurice Allard et Clémenceau. C’est un fait historique. Vouloir le nier, c’est faire preuve de révisionnisme. Et on sait que le révisionnisme sur les faits d’hier, sont faits pour falsifier aujourd’hui et tenter de couvrir de biens sales besognes.

C’est ainsi que Valentine Zuber doit subir aujourd’hui la hargne hystérique de l’Inquisiteur en chef Arambourou, formé à l’école stalinienne des procès de Moscou. Si le « personnage » n’a aucun intérêt en lui-même, il convient cependant de ne pas accepter l’inacceptable. Même s’il est des condamnations qui sont des décorations, tellement les gens qui les professent sont méprisables ; il y a quand même des limites à ne pas dépasser.

Estimant qu’elles l’ont été, la Libre Pensée a rencontré Valentine Zuber pour qu’elle réponde à nos questions.

 

* * *

 

La Raison : Bonjour, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Valentine Zuber : Oui bien entendu. Je suis historienne de formation. Après avoir été professeure agrégée d’histoire-géographie dans un collège de la région parisienne, j’ai suivi le cursus normal d’un enseignant-chercheur, comme assistante, puis maître de conférences et enfin professeure à l’université. Je suis actuellement directrice d’études à l’École pratique des hautes études (PSL Research University) titulaire de la chaire de « religions et relations internationales » à la Sorbonne. Par ailleurs, je suis personnalité qualifiée à la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, l’organisme indépendant français de veille sur les droits de l’Homme créé par René Cassin dès 1947.

Dans mon travail de recherche, je me suis d’abord intéressée à l’histoire de la tolérance civile et religieuse et à l’avènement du pluralisme religieux et convictionnel en France et en Europe de l’époque moderne à l’époque contemporaine. J’ai donc été amenée à étudier attentivement les différentes formes prises par le concept de laïcité, en France, mais aussi dans le reste du monde. Je m’intéresse actuellement aux rapports historiques entretenus entre les religions et les droits de l’Homme, entre méfiance et adhésion critique. Je travaille enfin plus particulièrement sur les mécanismes mis en place au niveau international dans la défense de la liberté de religion et de conviction pour tous.

LR : Quelle est votre méthode de travail pour analyser les faits, évènements et positions des uns et des autres à travers le temps ?

VZ : J’ai été formée à la vieille école de l’université française, celle qualifié d’historico-critique. Je m’efforce, dans tous les aspects de ma recherche d’en revenir d’abord aux sources, à savoir les écrits des hommes et des femmes du temps passés ou du présent proche, la mise à jour des archives des débats et disputes historiques, les plans et les documents finalement produits. En ce qui concerne les problèmes de coexistence religieuse ou philosophiques dans les différentes sociétés que j’étudie, je m’applique à rendre compte des termes des débats du passé en en restituant le contexte propre. En prenant au sérieux les archives, en démêlant ce qui relève du vœu, de l’idéologie et du rôle des forces politiques en présence, j’essaye de restituer aussi fidèlement que possible une réalité historique toujours particulière, en essayant de la rendre compréhensible par nos contemporains. Mon rôle est de montrer que nous sommes tributaires de nos devanciers et que nos combats actuels s’enracinent dans une histoire contrastée, faite d’avancées et de reculs, mais toujours imaginative et créatrice.

LR : Comment, selon vous, on doit travailler sur les questions de la Laïcité pour en dégager quelque chose d’utile pour la société aujourd’hui ?

VZ : Le débat sur la laïcité a toujours été un terrain sensible, en particulier en France. Cela résulte d’une histoire nationale marquée par la confrontation précoce et continue entre deux institutions à prétention hégémonique, l’Église catholique et l’État. C’est la Révolution française, qui, par l’intermédiaire du beau texte de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, a proclamé la liberté et l’égalité des individus et la citoyenneté de tous les hommes, quelles que soient leurs convictions particulières. Dans un État profondément marqué par l’absolutisme monarchique ou seul le catholicisme, professé par la majorité des Français, était considéré comme la seule religion vraie et légitime, la lutte des minorités religieuses juives et protestantes épaulées par les philosophes des Lumières a été décisive. Mais le combat pour l’émancipation des individus n’a pas cessé pour autant au lendemain de la Révolution française.

Et face aux prétentions politico-cléricales qui ont subsisté tout au long du XIXe siècle, la lutte pour l’égalité de tous et la liberté d’expression a continué d’être politiquement nécessaire. Ce combat a été mené par des intellectuels, des juristes, des républicains se réclamant des idées de liberté et d’égalité introduites par la Révolution, mais aussi par des groupements militants pour la garantie de la liberté d’expression et la préservation d’un véritable pluralisme démocratique, comme la Libre Pensée. Le défi a d’abord été d’intégrer toutes les composantes de la Nation dans une société égalitaire et sociale. Puis il s’est agi de faire place aussi à l’expression d’une une pensée non religieuse, dans l’effort conjoint de tous les citoyens en vue du bien commun. Ce combat pour la liberté de conscience a abouti à la forme séparatiste -très française- de la loi de 1905 dont les principes à la fois libéraux et fermes sont résumés dans les deux premiers articles de principe.

LR : Si vous aviez une définition de la laïcité, quelles serait-elle ?

VZ : Un État laïque a pour premier objectif de garantir à tous ses citoyens, une complète liberté d’expression individuelle et collective, y compris, mais pas seulement, religieuse. La laïcité n’est ni une exception française, ni une exception occidentale qui serait uniquement l’apanage des pays d’origine culturelle judéo-chrétienne. Elle est désormais une réalité partagée dans plusieurs pays dans le monde, essentiellement cependant dans les États de droit.

La laïcité d’un État se mesure en effet moins à son organisation socio-religieuse ou à sa forme politique qu’au respect des critères constitutifs des droits de l’homme. Dans ce cadre, la neutralité de l’État interdit à ce dernier d’interférer en quoi que ce soit dans l’élaboration ou le contenu des doctrines religieuses ou philosophiques, mais aussi de s’ingérer dans l’organisation interne des groupes religieux ou convictionnels. Il doit aussi assurer l’égalité civile de tous les individus, indépendamment de leur éventuelle appartenance religieuse ou philosophique. Le principe de laïcité de l’État séculier oblige enfin ce dernier à assurer l’indépendance absolue des instances et décisions politiques vis-à-vis des normes religieuses. Inversement, les organisations religieuses doivent s’abstenir de contester ce qui relève du domaine de l’État et sont dans l’obligation de reconnaitre la supériorité des lois civiles sur les lois religieuses.

LR : Que pensez-vous du débat actuel sur la place de l’Islam dans notre Pays ?

VZ : Le débat sur l’Islam, toujours érigé en « problème » dans les débats publics depuis une trentaine d’années, est fondamentalement biaisé. En caricaturant la foi de millions de nos concitoyens, en prétendant vouloir se défendre contre une religion soi-disant étrangère à notre histoire et à notre culture, ce discours alarmiste en dit plus sur nos peurs que sur l’Islam proprement dit. La focalisation des débats sur des pratiques religieuses visibles qui « dérangent » prouve surtout notre difficulté à accepter l’expression d’un réel pluralisme culturel et religieux dans notre société bousculée par la globalisation. Plus qu’une incapacité supposée des Français croyants musulmans à partager notre mode de vie, ces débats, au racisme toujours plus décomplexé que l’on entend à droite comme à gauche, révèlent nos frilosités et notre fermeture au monde. En instaurant un clivage dangereux entre « eux » et « nous », il met surtout en danger la nécessaire coexistence sociale dans l’élaboration d’un avenir commun.

Il faut le rappeler, l’Islam est incroyablement divers, traversé par les mêmes contradictions que toutes les autres expressions culturelles ou religieuse humaines. On y trouve, comme dans toutes les autres religions, des tenants d’une approche fondamentaliste, comme des partisans d’une adaptation aux principes libéraux du monde moderne. Réduire l’Islam à sa frange politique et terroriste, ne le penser que dans les catégories de la violence et de l’intolérance, est le signe d’une véritable malhonnêteté intellectuelle.

LR : Doit-on traiter les religions de manière différente ?

VZ : Il n’y a pas de raisons objectives à traiter de manière différenciée les religions présentes sur notre territoire. Pratiquées -intensément ou non- par nos concitoyens, elles sont un fait social incontournable, car elles engagent ceux qui les professent bien au-delà de toute rationalité instrumentale. Ce sont les religions vues par leurs adeptes comme des identités exclusives qui sont dangereuses pour la société et qu’il s’agit de bien recadrer. C’est pourquoi, l’indépendance et la neutralité de l’État, garantie par une pratique juridique non-discriminatoire du principe de laïcité, nous permet de tout de même de continuer à vivre ensemble et même de nous projeter au-delà du seul présent.

LR :Vous avez été insultée (comme la Libre Pensée) par un triste sire, Charles Arambourou de l’UFAL. Que pensez-vous de ses propos ? Votre droit de réponse en quelque sorte.

VZ : On a l’impression que lorsque l’on étudie objectivement les formes prises par la laïcité dans l’histoire, lorsque l’on pointe aussi les paradoxes inévitables de sa mise en œuvre en France, on touche parfois aux limites d’un « sacré proprement laïc ». Toute relativisation est alors interprétée comme une mise en cause insupportable qui heurterait une croyance particulière. Cette dernière autorise certains à proférer des propos plus dogmatiques que véritablement réflexifs.

Mon travail se veut, au contraire, plus distancié que militant. Je regrette que l’exigence académique fondée sur la mise ne lumière minutieuse et scrupuleuse de la complexité des faits, la production d’arguments scientifiquement étayés à l’appui des thèses proposées, soit ainsi vulgairement déformée et ravalée à une simple opinion parmi d’autres.

Ce ne sont pas tant les désaccords ponctuels entre nous qui me touchent que la forme véhémente qu’ils ont pris sous la plume de ce monsieur. Les conflits d’interprétation doivent pouvoir s’exprimer si l’on souhaite un véritable débat démocratique, mais il ne me paraît pas nécessaire de faire de ceux-ci des armes de combat, seulement voués à disqualifier l’adversaire.

Le débat est constructif, mais la polémique est stérile. Si l’on ne prend pas au sérieux la parole de l’autre, on se condamne à de vaines incantations.

Propos recueillis par Christian Eyschen et David Gozlan

Ouvrages de Valentine Zuber :

– L’origine religieuse des droits de l’homme. Le christianisme face aux liberté modernes, Genève, Labor et Fides, 2017.
– La laïcité en débat. Au-delà des idées reçues, Paris, Le Cavalier bleu, 2017.
– La Laïcité en France et dans le monde, Paris, La Documentation photographique, n°8119, 2017
– LeCulte des droits de l’homme, Paris, Gallimard, 2014.
– Les Conflits de la tolérance,Michel Servet entre mémoire et histoire (XIXe– XXe s.), Paris, Honoré Champion, 2004.

– avec Jean Bauberot, Une haine oubliée. L’antiprotestantisme avant le pacte laïque (1870-1905), Paris, Albin Michel, 2000 (prix Eugène Colas de l’Académie française, 2000).

 

Ce monde inquiet les rend fous

Dans le Figaro du 20 mars a été rendu public un « appel de 100 intellectuels » qui dénoncent l’Islam qui « serait séparatiste ». On a du mal à comprendre. Un jour, on dénonce l’Islam qui veut dire « soumission » comme était une conception unique et totale, donc un totalitarisme où tout le monde devrait se soumettre. Le jour suivant, on dénonce que les « islamistes » (entendez : tout musulman potentiel) veulent un monde séparé des autres, c’est-à-dire ignorer les non-musulmans, donc ne pas les soumettre à une oppression commune. Il faudrait s’entendre.

Tout le gratin de l’extrême-droite à une certaine « gauche » (entendez les réseaux de Manuel Valls qui sont à la laïcité et à la tolérance ce que la syphilis est à l’amour) a signé ce texte. Pour organiser les nouvelles ratonnades, on ne regarde pas, on ne lésine pas. Ainsi, ceux qui poussaient hier des cris d’orfraies (justifiés) contre Charles Millionqui avait du son élection aux voix du Front Nationalpour la présidence du Conseil régional de Rhône-Alpes, se retrouvent sans piper mot à côtés de Chantal Delsol, compagne et soutien du même Charles Million

Quand on déteste, on ne compte pas, il est vrai. Rien de ce qui est réactionnaire ne leur est étranger

On a connu naguère la chanson de Didier Bénureau qui faisait rire « Chanson pour Morales », aujourd’hui, on assiste, sans rire, à une « Chanson pour Aussaresses ». Figaro ci, Figaro là.  Triste époque

Christian Eyschen