La Libre Pensée reçoit la Ligue des Droits de l’Homme et la Ligue de l’Enseignement à propos de la loi de1905

Décembre 2018

Chers auditeurs, bonjour. Au micro de la Libre Pensée, Sylvie Midavaine, membre de la Commission administrative nationale de la Libre Pensée.

Nous sommes le 9 décembre. C’est une date anniversaire importante pour tous les laïques, les libres penseurs, les humanistes, les républicains, les syndicalistes. C’est celle de l’adoption de la loi de Séparation des Églises et de l’Etat du 9 décembre 1905.

Le Président de la Commission parlementaire qui fait le projet de loi est Ferdinand Buisson, Président de l’Association Nationale des Libres Penseurs. Le rapporteur en est Aristide Briand, lui aussi éminent libre penseur. La position officielle de la Libre Pensée est décidée dans une assemblée, le 21 Mars 1905, réunie au siège du Grand Orient de France. Elle invite la Chambre, « à élaborer sans retard et sans interruption, une loi de séparation des Eglises et de l’Etat », selon des indications précises que Ferdinand Buisson déposera à la Chambre. Ferdinand Buisson explique : « Nous nous sommes battus, nous nous battons pour savoir qui de l’Eglise ou de la Révolution, en ce moment, aura le dernier mot en France ».

La Ligue des Droits de l’Homme écrira à « L’Humanité » de Jean Jaurès pour : « saluer avec joie ce mémorable événement ». Jaurès s’écriera : « La loi de séparation c’est la marche délibérée de l’esprit vers la pleine lumière, la pleine science et l’entière raison ».

Pour parler de cette grande loi républicaine, démocratique et laïque, nous recevons aujourd’hui :

  • Christian Eyschen, vice-Président de la Libre Pensée
  • Jean-Michel Ducomte, Président de la Ligue de l’Enseignement
  • Daniel Boitier, responsable « Laïcité » au Comité central de la Ligue des Droits de l’Homme

Avant de leur donner la parole, je voudrais vous lire la lettre que la Libre Pensée a adressée en début de semaine à monsieur Christophe Castaner, Ministre de l’Intérieur :

Monsieur le Ministre,

La Fédération nationale de la Libre Pensée est très inquiète des projets du gouvernement de révision de la loi du 9 décembre 1905 de Séparation des Eglises et de l’Etat. Cette loi a permis le maintien d’une paix civile depuis 113 ans dans notre pays.

La liberté de conscience est assurée pour tous les citoyens et citoyennes. Chacun est libre de pratiquer son culte ou de n’en pratiquer aucun. C’est la non-reconnaissance des religions et le non-financement des cultes qui ont permis d’édifier cette œuvre républicaine et démocratique.

Or, selon ce qui a été divulgué par la presse, ce sont ces deux principes de non-reconnaissance et de non-financement qui sont directement visés par le projet de révision gouvernementale. Selon les mêmes sources, près d’un tiers de la loi serait modifié.

Aussi, à l’occasion de l’anniversaire de l’adoption de la loi, les Fédérations départementales de Libre Pensée organisent 87 rassemblements devant les préfectures et sollicitent des rendez-vous avec les Préfets. Ce qui n’est que l’exercice normal de la démocratie qui permet la liberté d’expression, d‘opinion et de dialogue avec les représentants de l’Etat.

Nous avons été contraints de prendre ces initiatives, car le 25 mai 2018, nous avions sollicité une entrevue avec monsieur le Président de la République sur ce sujet et nous n’avons jamais eu la moindre réponse.

Il ne nous restait donc plus qu’à saisir les représentants de l’Etat au niveau des départements pour faire valoir nos doléances.

Selon les informations que nous avons, dans un certain nombre de départements, la Libre Pensée accompagnée par d’autres associations laïques, des syndicats et des Elus sera reçue en Préfecture. Mais dans plusieurs autres, nos responsables départementaux nous indiquent n’avoir encore reçu aucune réponse des Préfets.

Cette situation n’est pas normale du point de vue de la démocratie et du nécessaire dialogue républicain. La voix de la France laïque doit être entendue dans les départements par les plus hauts représentants de l’Etat, à savoir Les Préfets.

C’est pourquoi, monsieur le Ministre, la Libre Pensée souhaiterait que vous indiquiez aux préfets qu’ils doivent recevoir les délégations de la Libre Pensée.

En vous remerciant par avance de cette marque de respect de la démocratie républicaine, nous vous adressons nos sentiments les plus distingués.

 

* * *

 

Sylvie Midavaine : Daniel Boitier, que pense la Ligue des Droits de l’Homme de cette remise en cause de la loi de 1905 ?

Daniel Boitier : Et bien l’on pense, comme les autres associations laïques : Non à la révision de la loi de 1905. Nous disions déjà en 2015, il ne faut pas toucher à la loi de 1905, il faut défendre les libertés publiques. La défense des libertés publiques, c’est le corps de doctrine de la Ligue des Droits de l’Homme et nous pensons que dans ce cas les libertés publiques seront touchées. Elles seront touchées en particulier si l’on touche directement ou indirectement à l’Article 4 qui fonde l’autonomie des cultes.

Mais elle sera aussi touchée si, comme il est annoncé, il s’agit de renforcer la police des cultes dans un sens concordataire quasiment. Le Concordat étant un régime de lourde police. Nous disons, avec les autres associations, que la police des cultes telle qu’elle est dans la loi de 1905 est suffisante. Que les articles 26, 31, 35, et en particulier le 35, sont des articles qui interdisent la confusion du cultuel et du politique. Ce qu’il nous faut c’est une application réelle de ces articles de la police des cultes.

Donc défendons les libertés publiques, la liberté de conscience, mais aussi la liberté de culte car elle est inscrite dans l’article 1 de la loi de 1905.

S.M. :Jean-Michel Ducomte, vous êtes Président de la Ligue de l’enseignement. Vous avez été à l’initiative d’une déclaration commune de 22 premières associations « Non à la révision de la loi de 1905 ! ». Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Jean-Michel Ducomte : Pour des raisons qui sont à peu près les mêmes que celles que l’ensemble des associations laïques ont exposées. Je suis d’abord étonné de la méthode utilisée. On a le sentiment de ballons d’essai qui sont ici où là lancés par le gouvernement de façon désinvolte, considérant que la question de la loi de 1905 et finalement une question un peu secondaire. Que la question des cultes, de la liberté de conscience  de la question plus globale de la laïcité est une question secondaire dans le débat public. Et donc nous avons considéré qu’il était utile de mettre en avant l’exigence de conserver ce qui doit l’être de l’architecture qui a été mise en place patiemment en 1905. Et particulier cela me rappelle un souvenir un petit vieux, puisqu’il date de pratiquement 12 ans : j’avais au nom de la Ligue de l’Enseignement, étant auditionné par la Commission Machelon, demandé la possibilité de voir reconnaitre le statut de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, les dispositions des deux premiers articles de la loi de 1905. Garantie de la liberté de conscience pour le premier et non reconnaissance pour le second. Le rapporteur m’a répondu, mais de façon un peu boiteuse, en me disant « oui pour l’article Premier, car il a déjà valeur constitutionnelle, mais on ne dit rien sur l’article 2 qui est susceptible de faire l’objet de modifications législatives ». On en est là aujourd’hui. Donc je pense qu’il faut que les associations laïques se mobilisent fortement pour éviter ce qui peut apparaître comme une mauvaise manière de faire contre le principe de laïcité.

J’ai entendu dire hier soir que le Ministre de l’Intérieur avait envie de discuter avec les associations laïques comme il a discuté avec les représentants des cultes. Je trouve que c’est un petit peu tardif, mais pourquoi ne nous rendrions nous pas à une telle incitation ? Etant précisé quand même, que la façon aussi d’organiser le débat en mettant d’abord en avant les représentants des cultes et en second lieu les associations laïques, laisse apparaitre des arrières pensés qui ne me paraissent pas toujours transparentes.

Donc nous continuerons de nous battre afin que cette loi reste comme elle a été voulue par ses auteurs, pour que ne soient pas touchés les deux premiers articles, pour qu’on ne touche pas non plus, comme cela a déjà été indiqué par le représentant de la Ligue des Droits de l’Homme, à l’article 4, et pour que très banalement on vérifie si, en l’appliquant intégralement, on n’est pas en mesure de répondre à la totalité des questionnements qui, semble-t-il, sont en train de gratouiller le gouvernement qui ferait mieux de s’occuper de question plus importantes comme celles que lui renvoi le débat social.

S.M. :Je donne la parole maintenant à Christian Eyschen, pour la Libre Pensée.

Christian Eyschen : Je voudrais dire trois choses.

Premièrement : nous avons été informés par la presse que Monsieur Castaner souhaitait recevoir la Libre Pensée. Cela été dit dans plusieurs articles de journaux. Pour l’instant, nous n’avons reçu aucune demande et aucune lettre du Ministère de l’Intérieur nous indiquant qu’il souhaitait nous voir. J’espère que cette information est tout à fait juste.

Deuxièmement : nous partageons tout à fait avec les 22 associations qui se sont réunis avec la Ligue de l’Enseignement les 21 et 22 novembre, l’idée qu’il ne faut pas toucher à la loi de 1905 et qu’elle permet de régler tous les problèmes. Viendrait-il à l’idée de quelqu’un de modifier la Déclaration des Droits de l’Homme du 26 août 1789 sous prétexte que les problèmes des droits de l’Homme pourraient être un peu différents aujourd’hui ? Non. Y compris aussi sur la Déclaration Universelle, se serait un débat intéressant.

Cette loi n’est pas vieille, elle n’est pas dépassée, elle permet de répondre pleinement à la situation. La preuve, c’est que vous avez une autre religion que personne ne cite et dont personne ne parle dans ce pays, qui est la religion bouddhiste qui représente entre 800 000 et 1 million de fidèles, environ 4 millions de sympathisants, selon les sources officielles. Cette religion, qui a besoin de bâtiments religieux, a construit des pagodes dans toute la France, c’est complétement inscrite dans le débat et dans le contenu de la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat, a pu faire et agir comme elle l’entendait, construire ses bâtiments religieux, sans solliciter pour autant un euro de fonds publics. En respectant donc le principe du non-subventionnement des cultes.

Nous sommes étonnés : comment une religion qui représente un million de fidèles en France et qui pour le coup est vraiment nouvelle en France, peut s’insérer dans la loi de 1905 et pourquoi il faudrait modifier la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat pour la religion musulmane qui n’est pas du tout une religion nouvelle en France ?

On entend des choses très curieuses comme « Avant il n’y avait pas de musulmans en France, maintenant il y en a 4 à 5 millions, donc il faut suspendre la loi de Séparation pour essayer de les intégrer ».  Je rappellerai qu’en 1905 ? il y avait 10 millions de musulmans en France, puisqu’il y avait notamment trois départements en Algérie et que l’article 44 de la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat prévoyait tout à fait l’application de la loi dans ces départements. Si cela n’a pas été fait se sont pour des raisons autres que religieuses : raisons politiques, de colonialisme, de domination de l’indigène.

Si on peut intégrer une religion totalement nouvelle de 1 million de fidèles en France, comme le culte bouddhiste sans problème, on ne voit pas pourquoi il faudrait modifier la loi de 1905 pour la question de l’Islam. La vraie raison derrière c’est celle-là : domestiquer l’Islam et le contrôler.

On entend aussi dire dans cette situation beaucoup de choses étonnantes. Par exemple que la loi de Séparation a été modifiée dans le passé 17 fois, voire 50 fois pour certains, et le Ministère dit « cette loi n’est pas sacrée ». Bien sûr que cette loi n’est pas sacrée, pas plus que la Déclaration des Droits de l’Homme, pas plus que la Constitution, pas plus que l’idée de République, pas plus que l’idée de démocratie et de liberté ! A ce compte là rien n’est sacré et le sacré n’est pas une donnée religieuse. C’est une donnée qui se définit par un respect qu’il suscite. Et nous sommes pour que la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat suscite un grand respect et donc un caractère sacré.

Troisièmement : il n’y a eu qu’une seule véritable modification de la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat. C’est celle qui a été opérée par l’ex-Maréchal Pétain le 25 décembre 1942, qui a porté un coup terrible à la loi de Séparation sur la question des financements. La loi prévoyait que par exemple les associations cultuelles mises en place n’avaient pas le droit d’avoir ce que l’on appelle « la capacité civile et testamentaire ». C’est-à-dire le droit de recevoir des dons et legs défiscalisés.

Pourquoi les républicains ont fait ça ? Parce que l’on connaissait à l’époque, avant la loi de Séparation, sous le Concordat, ce que l’on appelait le pari de Pascal : selon la fortune du défunt, il y avait la visite du bedeau, du sacristain, de prêtre, de l’évêque, de l’archevêque ou du cardinal, qui lui disait « Peut-être que Dieu existe, peut-être que Dieu n’existe pas, mais si vous nous donnez une libéralité, vous aurez un passeport pour l’au-delà et si Dieu existe vous aurez rentabilisé votre mise de fond. Si Dieu n’existe, vous n’aurez fait au fond qu’un placement à risque. » Le Régime de Vichy a donné aux associations religieuses la capacité civile et testamentaire et c’est de là que date cette remise en cause de la loi de Séparation.

Autre remise en cause dans cette loi de 1942 :  la loi prévoyait que tous les bâtiments construits avant 1905 étaient propriété des communes, des départements ou de l’Etat pour les cathédrales, et que l’on pouvait réparer les bâtiments s’ils étaient caractérisés comme monuments historiques. Cela faisait partie du patrimoine. La loi du 25 décembre 1942 a supprimé cette notion de patrimoine historique et l’a ouvert à tous les bâtiments religieux et c’est depuis cette date que les communes, les régions, l’Etat, financent les bâtiments religieux.

Donc la loi a été modifiée dans le même sens que nous propose Emmanuel Macron, en 1942 et pas avant.

Sylvie Midavaine : Chers auditeurs, merci de votre écoute. Vous pourrez retrouver l’ensemble des documents cités à cette antenne sur notre site FNLP.FR

Ensemble, défendons la loi de 1905 !

Pour écouter l’émission : https://www.franceculture.fr/emissions/divers-aspects-de-la-pensee-contemporaine