La Raison : Bonjour. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Nicolas Cadène : Bonjour, j’ai 37 ans, je suis Nîmois et actuel rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité. Juriste de formation, après un parcours de bénévole associatif (Samu social, Médecins du Monde, Amnesty International, etc.), j’ai travaillé dans différentes administrations, notamment au Parlement, puis au Gouvernement, et, le 4 avril 2013, en raison de mon engagement sur le sujet, j’ai été nommé par le Premier ministre Rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité. En cette qualité, je suis notamment plusieurs fois par semaine sur le terrain pour former des professionnels, acteurs associatifs et élèves.
LR : L’Observatoire de la laïcité vient de publier un récent sondage qui montre l’attachement profond des Français à la laïcité. Notamment, il montre qu’une grande majorité redoute une instrumentalisation de la laïcité par des « politiques ». Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de tout cela ?
NC : Ce sondage est riche d’enseignements, d’autant qu’il a été réalisé auprès d’un échantillon plus large que d’habitude (2 000 personnes) et donc plus fiable. Le point que vous soulignez est très important et devrait retenir — espérons-le — l’attention de certains de nos politiques. 67% des répondants estiment en effet que « la laïcité est trop souvent instrumentalisée par les politiques », la transformant parfois en élément de conflit ou de divisions, alors qu’elle devrait être un élément de cohésion nationale essentiel. Il faut ajouter à cela que 60% des répondants estiment que « trop souvent on ne parle de laïcité qu’à travers la polémique », et 49% qu’on « ne parle de la laïcité qu’à travers l’Islam ». Bref, les Français ne sont pas dupes de l’utilisation politicienne que peuvent faire certains prescripteurs d’opinion de la laïcité, pourtant principe de concorde majeur.
LR :Plus généralement, pensez-vous que la laïcité est menacée dans notre pays et si oui par quoi ?
NC :Ce que nous apprend aussi ce sondage, c’est que près de trois Français sur quatre (73%) se déclarent attachés à la laïcité telle que définie par le droit (après rappel de la définition). C’est–à-dire, pas la laïcité « dans les têtes » (qui peut varier largement), mais bien celle « des textes ». Et surtout, cet attachement est proportionnel à leur niveau de connaissance (mieux on connaît la laïcité telle que définie par le droit, plus on y est attaché personnellement). Dès lors, la laïcité, telle que traduite en droit (notamment par la loi de 1905), n’est évidemment pas « mal vue » des Français. Mais il y a pourtant des menaces qui pèsent sur elle. On pense aux terroristes se revendiquant de Daech ou d’Al Qaeda qui refusent le système démocratique et, dans celui-ci, la liberté d’expression, de convictions ou de croyances, et qui ont commis d’horribles attentats en ce sens. On pense aussi, dans un autre registre et heureusement sans que cela ne fasse de morts, à certains mouvements conservateurs chrétiens ou traditionnalistes — et parfois avec des relais politiques — qui n’acceptent pas que l’Etat soit séparé de l’Eglise catholique ou que le pouvoir politique puisse adopter des mesures qui seraient contraires à ce qu’ils pensent (on se souvient des « ABCD de l’égalité à l’école », du « mariage pour tous », de la PMA, etc.). Enfin, du côté des non-religieux, certains se disent « laïques », tout en instrumentalisant la laïcité à des fins identitaires, pour protéger une pseudo-identité française qui, pour caricaturer, serait « forcément » « blanche et d’inspiration chrétienne ». Ici, on pense à certains polémistes ou « militants » de l’extrême-droite, mais aussi d’une ancienne gauche effrayée par un Islam essentialisé.
LR : Que fait concrètement l’Observatoire pour la laïcité dans notre pays ?
NC : L’Observatoire de la laïcité, malgré un budget de fonctionnement très faible, mène un travail de grande importance. Outre ses avis au Gouvernement sur la mise en place de certaines politiques publiques ou l’évolution de certaines règlementations, l’Observatoire conçoit et assure de nombreuses formations à la laïcité qui ont déjà touché plusieurs centaines de milliers d’acteurs de terrain (fonctionnaires, éducateurs, encadrants associatifs, etc.). Il est aussi devenu un véritable service public de la laïcité en répondant dans un délai maximum de 48 heures aux sollicitations quotidiennes des citoyens, des associations ou des administrations. Plus concrètement, l’Observatoire a par exemple recommandé et obtenu l’optionalité (et non plus l’obligation) de l’enseignement religieux et la suppression du délit de blasphème en Alsace-Moselle, ou l’obligation pour les futurs aumôniers de tous les cultes d’être formés à la laïcité. Il a bien sûr largement participé à l’élaboration de la Charte de la laïcité à l’Ecole et de l’enseignement moral et civique (EMC). C’est également lui qui a obtenu que le 9 décembre soit une journée nationale de la laïcité dans l’éducation nationale et la fonction publique. Les nombreux travaux de l’Observatoire de la laïcité ainsi que les guides pratiques qu’il a édités sont téléchargeables gratuitement sur son site Internet : www.laicite.gouv.fr.
LR : Récemment, une polémique de mauvais aloi a été commise à propos du Service National Universel, contre une étude de l’Observatoire. Qu’en est-il réellement ?
NC : Cette polémique a été lancée par un article mensonger du magazine Marianne et reprise sur les réseaux sociaux par des militants que l’on pourrait justement qualifier « d’identitaires ». Elle visait à faire croire que l’Observatoire de la laïcité « recommandait le port de signes religieux par les jeunes accueillis » (les « appelés ») dans le cadre du futur service national universel (SNU). Or, l’Observatoire de la laïcité n’a jamais proposé cela. Il n’a fait que rendre une étude (et non un avis), sans émettre la moindre recommandation. Cette étude, à la demande du ministère de l’Education nationale, se borne à rappeler le droit positif. En l’espèce, sur la question évoquée, elle rappelle le fait incontestable que la loi du 15 mars 2004 ne peut pas s’appliquer en l’état aux futurs « appelés », puisque ce texte de loi ne vaut que pour les élèves des « écoles, collèges et lycées publics », alors même que le SNU concernera toute une tranche d’âge, et donc notamment des élèves issus du privé confessionnel, de l’enseignement à domicile ou par correspondance (qui aujourd’hui ne sont pas soumis à la loi de 2004). L’Observatoire a donc simplement rappelé que, sur ce point et en faisant attention à respecter certaines normes de valeur constitutionnelle ou conventionnelle, le législateur devait, s’il souhaitait étendre l’interdiction prévue par la loi de 2004 aux jeunes du SNU, faire voter un nouveau texte.
Pour lire la brochure d’analyse de la Libre Pensée sur le SNU : https://www.fnlp.fr/download/get/arguments-snu/48.html
LR : Le Président de la République a annoncé qu’il entendait réviser au moins d’un tiers la loi de 1905 de Séparation des Eglises et de l’Etat. Qu’en pensez-vous ?
NC : Au final, il ressort de nos échanges avec l’Exécutif que le projet du Président de la République serait de « conforter la loi de 1905 » en en modifiant quelques dispositions techniques aux titres IV (sur les associations pour l’exercice des cultes) et V (sur la police des cultes). Les pistes s’articulent autour de trois axes. Le premier entend « renforcer la transparence du financement des cultes ». Il s’agirait pour cela d’étendre les obligations de transparence comptable des associations cultuelles sous le régime de la loi de 1905 aux associations constituées sous le régime de la loi 1901. Le deuxième axe vise à « garantir le respect de l’ordre public », d’abord en rénovant les dispositions pénales de la loi de 1905. Les sanctions pour « les propos haineux » tenus dans un lieu de culte seraient renforcées ; la dissolution des associations au sein desquelles se déroulent des troubles graves à l’ordre public serait en outre facilitée ; et au-delà de 10 000 euros les financements étrangers seraient soumis « à une procédure de déclaration » préalable. Enfin, le troisième axe a pour objectif de « consolider la gouvernance des associations cultuelles » et de « mieux responsabiliser leurs dirigeants ». Les premiers articles de la loi, en particulier les 1 et 2 – liberté de conscience et Séparation des Églises et de l’État – ne seront pas touchés. Bien sûr, l’Observatoire de la laïcité sera très vigilant à ce projet de réforme et sera normalement saisi par le Gouvernement. Mais nous craignons, il est vrai, qu’un débat législatif au Parlement soit l’occasion de relancer d’inutiles polémiques et offre une « tribune » à tous ceux qui veulent modifier l’équilibre de la loi, pourtant toujours parfaitement adapté.
LR : La Libre Pensée estime qu’il faut être très prudent sur les déclarations gouvernementales sur le fait que ne seront pas touchés les deux premiers articles de la loi. Le Régime de Vichy a modifié de manière importante cette loi, notamment sur la question du financement public des religions, sans toucher à ces deux articles. Pensez-vous que cela soit une garantie aujourd’hui ?
NC :Dire que les deux premiers articles de la loi ne seront pas touchés ne suffit effectivement pas. Mais, à l’occasion de plusieurs rencontres, le ministre de l’Intérieur est allé plus loin en expliquant que l’équilibre de la loi de 1905 ne serait aucunement remis en cause. Le Président de la République a lui-même assuré à l’occasion d’un débat avec des maires à Grand Bourgtheroulde le 16 janvier qu’il était « très attaché à la philosophie de la loi, celle d’Aristide Briand ». Reste que sur le sujet très sensible de la laïcité, il faut effectivement tout faire pour éviter de donner une occasion à ceux qui s’opposent au cadre laïque, tel que posé par la loi de 1905, de pouvoir s’y attaquer.
LR : Voulez-vous rajouter quelque chose pour nos lecteurs ?
NC : Simplement remercier la FNLP et tous ses adhérents pour leur travail quotidien en faveur de la laïcité. Je les invite également à lire sur notre site Internet les résultats complets de l’enquête d’opinion évoquée plus haut. Celle-ci confirme l’importance de la pédagogie de la laïcité auprès du plus grand nombre. En n’oubliant jamais les mots prononcés en 1905 par Aristide Briand, éminent libre penseur : « Il ne faut pas fournir aux adversaires de la République des armes que demain ils puissent retourner contre elle. »
(Propos recueillis par David Gozlan)