10 mars 2019
Emission animée par Michel Godicheau, membre de la Commission Administrative Nationale de la Libre Pensée.
Madame l’académicienne,
Citoyenne,
Bonjour.
Danièle Sallenave : Bonjour citoyen.
Michel Godicheau : Nous sommes ici pour parler autour de votre livre « L’églantine et le muguet » qui a presque un an aujourd’hui et qui a déjà rencontré beaucoup de lecteurs.
Je commencerai par une question d’actualité. J’ai été un peu surpris de lire dans votre livre des réflexions sur la colonisation en Algérie alors que le sujet de votre livre est celui de vos racines angevines. Pouvez-vous m’en parler un peu ?
D.S. : Oui. Vous pouvez être surpris. Je l’ai été moi-même. Parce qu’en travaillant sur ce livre et en explorant de façon très minutieuse cette région de l’ouest de l’Anjou et qui a joué un très grand rôle dans notre histoire locale et dans notre histoire nationale c’est évidemment l’avant-révolution, la Révolution, après la Révolution avec la reconquête catholique dans la région. En travaillant sur cette région, sur les Vendéens au sud de la Loire, les Chouans au nord du département du Maine et Loire, je m’aperçois à ce moment-là que quelqu’un que je connaissais, le Comte de Bourmont qui commandait l’expédition qui pris Alger et la régence d’Alger en 1830 était né en Anjou et était un ancien Chouan.
C’est dire que la conquête de l’Algérie est liée à la fin de la monarchie de Charles X, est liée aussi à une idée générale de conquête liée à la reconquête catholique de cette partie du monde : l’Afrique du Nord.
Le Général de Bourmont est donc tout à fait à sa place. Il fait célébrer une messe avant de partir et en arrivant.
M.G. : Dans le Canard Enchainé de mercredi dernier on trouve une chronique d’un livre qui vient de paraître « Empires illusoires » de Bouda Etemad, qui cite le diplomate Louis André Pichon qui en 1840 se désolait : « Nous gouvernons ce pays comme s’il n’y avait ni maures, ni arabes, ni kabyles ».
J’ai eu cette idée en tête en venant vous rencontrer tout à l’heure, parce que d’aucuns aujourd’hui voudraient que de nouveau on se préoccupe de ce qui se passe en Algérie.
D.S. : Oui mais l’Algérie nous la portons avec nous depuis 1830. Continûment. A travers l’histoire de la pacification de l’Algérie à laquelle les officiers monarchistes ont participé. Mais à la fin de la monarchie, à partir de 1848, pendant la IIème République et après 1870, se sont des officiers républicains qui reprennent la tâche de pacification. Il y a un transfert de responsabilité dans la continuité. Il y a de grands antagonismes politiques et religieux mais sur le plan de l’Algérie pas tant que ça.
Du coup l’Algérie est quelque chose que nous portons, qui va se réveiller bien évidemment très violemment : même pas en 1954 avec le début des grands événements qui mèneront à l’indépendance mais dès 1945. Le lendemain même des grandes fêtes de la libération on « pacifie » Sétif. Et le nombre de morts on ne l’a toujours pas évalué. Il est de plus de 20 000, peut-être d’avantage.
L’Algérie c’est quelque chose qui est sans cesse avec nous. D’où en effet la difficulté de prendre des positions aujourd’hui. On voit bien que le gouvernement français et la diplomatie sont très très prudents avant d’aborder quoi que se soit. Il ne faut pas donner un signe d’ingérence mais pas non plus un signe d’indifférence.
L’Algérie est une plaie ouverte dans notre flanc, c’est certain.
M.G. : Revenons au cœur du livre : une pérégrination, un retour aux sources familiales, une réflexion sur l’actualité et j’avais ajouté un parfum d’universalisme. Mais aujourd’hui ce terme est parfois employé à contresens comme celui de la laïcité.
C’est un sujet qui traverse votre livre ce problème de contresens.
D.S. : Oui. Je voulais au fond rendre hommage à ce que j’ai reçu, moi, enfant d’une famille d’instituteurs dans une région de l’ouest de la France où l’école publique n’était pas particulièrement bien vue au lendemain de la guerre, quand mon père est revenu de captivité et a retrouvé son école, et jusque dans les années 50 et 60. La guerre scolaire n’est pas une chose abstraite, c’est quelque chose de très concret dans cette région.
J’ai acquis des convictions très fermes concernant l’école publique, concernant la nécessaire séparation des Etats et des Eglises et concernant aussi une lutte continue d’un principe que je partage et propage, et qui est toujours mal vu, qui est l’anticléricalisme.
L’anticléricalisme est très mal vu. On pense que se sont des gens stupides et étroits, qui racontent des choses vulgaires voir obscènes sur l’Eglise, alors qu’anticlérical veut dire au sens propre : qui s’oppose au pouvoir clérical sur la société et sur les citoyens qui la compose. Donc je pense que cette lutte là elle est toujours présente.
Qu’on puisse l’étendre à toutes les religions, je le crois vraiment. C’est ça la dimension universaliste. Mais ce que j’ai appris c’est que nous devons aussi entrer dans la considération des situations et développements historiques pour chacun, et de sa place par rapport à sa religion, ses origines etc.
M.G. : Dans le même ordre d’idée, comme vous le savez, le Président de la République a déclaré peu après son élection, vouloir réparer le lien abimé entre l’Eglise catholique et l’Etat. Monseigneur Charles Emile Freppel, évêque d’Angers et député monarchiste de Brest, que vous épinglez un peu, disait en son temps (il s’agissait alors d’une décision de la municipalité républicaine d’Angers dans les années 1880, donc avant la séparation, supprimant les subventions aux écoles congréganistes ce qui a fait grand scandale) : « Les Frères des écoles chrétiennes seraient-elles odieuses au parti radical parce qu’au lieu d’y apprendre à chanter la Marseillaise et à coiffer le bonnet rouge, on y apprend la crainte de Dieu, le respect de l’autorité, l’amour de la discipline, l’esprit de dévouement et de sacrifice, toute chose qui ne porte ni de près ni de loin à faire des émeutes, à incendier les monuments et à fusiller les prêtres. Est-ce là ce qui déplaît ? ».
D.S. : Il est évident que Monseigneur Freppel, né non pas en Anjou mais en Alsace, député du Finistère, a joué un très grand rôle à Angers. C’est un homme de grande envergure et du point de vue qu’il représente, c’était vraiment un combattant de premier ordre. On lui doit entre autres la création de « l’Université Catholique » de l’Ouest et on lui doit beaucoup de choses si on peut dire, en tous cas l’Eglise et les catholiques lui doivent beaucoup dans cette région. Monseigneur Freppel a vraiment dans l’esprit et la raison, l’enseignement et l’enseignement primaire en particuliers, il pense que c’est à ce niveau que se jouent profondément les choses. Je crois qu’il n’a pas tort.
Forcément il est indigné de la suppression des subventions, et ensuite il y aura une expulsion des congrégations, c’est de la Commune qu’il parle évidemment quand il dit « fusiller les prêtres, incendier les monuments ». Mais évidemment l’image qu’il donne en face de la religion qu’il représente ne serait que paix, sacrifice et dévouement. La Commune est une chose redoutable, c’est l’un des grands moments de l’histoire de France, mais l’on pourrait raconter l’histoire de la chrétienté et du catholicisme ce n’est pas uniquement l’esprit du dévouement. Sans vouloir tout de suite lui opposer l’Inquisition il pourrait y avoir un mauvais esprit qui lui en parlerait tout de même !
M.G. : Les identitaires, puisque le mot est à la mode, se réclament parfois aujourd’hui dans la frange de l’extrême droite de l’échiquier politique de Mgr Freppel et de ses œuvres, puisqu’il avait par ailleurs organisé une procession du Saint Sacrement à Saumur pour reconquérir les terres protestantes. On n’est plus sur les protestants mais souvent sur les musulmans et cet aspect de laïcité identitaire, si ces deux mots peuvent coexister, est quelque chose que vous stigmatisez dans votre livre.
D.S. : Vous parlez de la procession de Saint Sacrement, il a aussi fait renaitre un pèlerinage dans l’ile de Béhuard qui avait totalement disparu et qu’il présente comme une tradition.
Les identitaires sont toujours prêts à montrer une tradition qui ne s’est jamais interrompue. C’est complètement faux. Il y a des traditions qui s’interrompent. L’ile de Béhuard, depuis Louis XI n’était plus du tout un lieu de pèlerinage.
Il est clair qu’il faut toujours dire les choses avec beaucoup de simplicité et de calme. La laïcité c’est la séparation des Eglises et de l’Etat, c’est la neutralité de la sphère publique, c’est aussi la liberté dans l’espace public de se vêtir comme on le souhaite, de pratiquer le culte que l’on souhaite dans la mesure où l’on n’empiète pas sur les autres et qu’on l’exprime selon ses propres convictions.
La laïcité c’est ça. Chaque citoyen se doit de respecter les lois fondamentales de la République. Mais dans l’espace public et pas seulement dans l’espace privé, on peut pratiquer et faire connaitre les engagements religieux que l’on a. Au moment de 1905 il y a eu un grand débat sur le fait que les religieux et les prêtres puissent continuer ou non de porter l’habit dans la rue. Finalement Aristide Briand et la sagesse l’emportent : oui c’est tout à fait possible dans l’espace public mais pas dans l’espace de la sphère publique. Ce qui est autre chose. Quant à la sphère privée elle est totalement libre.
Je crois qu’il ne faut pas une laïcité à dimension variable, ouverte ou fermée, mais une laïcité ferme mais que l’on donne bien les lieux où elle s’applique et jusqu’à quel point on doit imposer les règles et sous quelles formes.
M.G. : Vous m’avez fait part tout à l’heure hors micro, de quelques-uns de vos projets. Nous en avons un à l’Association Internationale de la Libre Pensée (AILP) qui aura lieu en 2020 à Madrid, à l’initiative en particulier de l’association espagnole Europa Laïca et le thème de cette manifestation internationale – entre 40 et 50 pays représentés si tout va bien – sera un échange le plus large possible sur la promotion de l’école publique et laïque. Et nous avons une ambition qui est de faire que ce congrès soit aussi fondateur que celui de 1904 qui avait préparé la loi de Séparation non seulement en France mais aussi dans le canton de Genève etc.
Sur cet aspect international et sur votre éventuelle disponibilité à travailler avec nous là-dessus ?
D.S. : Moi je pense qu’il serait bon que l’on fasse comprendre de nouveau là encore, calmement et fermement, sans hostilité particulière à l’égard de tel groupe, il ne s’agit pas d’apporter le feu partout : l’école laïque c’est l’école de tous !
La question des rapports entre école publique et école privée est très compliquée en France. Ecole sous contrat, école avec contrat. Il est clair que l’on a voulu à un moment que l’on pourrait réunifier un grand système éducatif. C’est une question sur laquelle je ne veux pas entrer car nous n’avons pas le temps de la poser clairement.
Mais je crois que faire comprendre à tous que l’école est un lieu dans lequel la neutralité, bien évidemment, des enseignants s’impose, mais aussi la neutralité de l’enseignement lui-même. Les enfants, adolescents sont là ensemble, mettant entre parenthèses le temps de l’école les convictions religieuses, qui dans le cas des enfants sont souvent celles des parents et non pas les leurs. Ne parlons donc pas de religion car cela va susciter des reflexes de défense ou d’agression que les enfants développent pour défendre leur famille : « on attaque la religion de ma mère, ou de mon père ». Non ! Faisons des maths, du français, de la technologie etc.. Apprenons leurs tous ce qui doit être appris en commun par des enfants tout en tenant compte des difficultés singulières, des expériences personnelles etc… Mais par pitié laissons la religion à la porte.
Il y a tout le temps en dehors de l’école pour que les parents donnent tous l’enseignement religieux qu’ils veulent aux enfants.
Mais que l’école soit tenue à l’écart. Ainsi les enfants pourront se souvenir qu’ils ont été ensemble. « Je ne savais même pas qu’il appartenait à telle religion » pourra-t-on dire !
M. G. : Merci beaucoup pour ces propos.
Avez-vous de nouveaux projets littéraires ?
D.S. : Littéraires, toujours. Je suis très intéressée pour l’instant par ce phénomène des gilets jaunes. J’ai le sentiment, avec toutes les réserves, toutes les critiques que l’on peut faire sur certaines déviances ou dérives, je l’ai fait, qu’un couvercle s’est soulevé. Quand un couvercle se soulève il ne retombe pas forcément tout de suite et il peut se passer de mauvaises choses mais aussi de très bonnes.
M.G. : On peut donc s’attendre à ce que vous commenciez à écrire sur cette question-là ?
D.S. : On peut !
M.G. : Je vous remercie beaucoup Madame l’académicienne.