Aux militants de la laïcité et au mouvement laïque

Chers amis,

La Fédération nationale de la Libre Pensée s’est adressée au Ministre de l’Intérieur pour protester contre le traitement différent  des interlocuteurs dans ce débat, fait par le gouvernement au sujet de son projet de révision de la loi du 9 décembre 1905 de Séparation des Eglises et de l’Etat.

Alors que les représentants des cultes et des obédiences maçonniques avaient un document gouvernemental sur le sujet, dès janvier 2019 , monsieur Christophe Castaner  recevait les représentants de 7 associations laïques le 8 janvier 2019 en indiquant que rien n’était écrit. La note gouvernementale est datée du même jour : le 8 janvier 2019 .

Monsieur le ministère de l’Intérieur nous a répondu et nous as transmis les notes en question.

Vous trouverez ci-joint la réponse de la Libre Pensée à la réponse du Ministre et l’analyse qu’elle fait des pistes gouvernementales.

Salutations laïques

La Libre Pensée

Le ministre de l’Intérieur à la FNLP :

Monsieur le Vice-Président,

Vous avez bien voulu appeler mon attention sur le projet de réforme de la loi du 9 décembre 1905 portant séparation des églises et de l’Etat.

Lors de notre rencontre et comme je vous l’ai affirmé, aucune base écrite n’avait encore été préparée, notre échange intervenant à un stade très préliminaire de la réflexion et conformément à ma volonté d’associer l’ensemble des acteurs concernés le plus en amont possible.

Le document qui a été remis lors de la rencontre avec la Conférence des responsables de culte en France a été réalisé ultérieurement ; je l’ai d’ailleurs, et comme vous le soulignez, communiqué à tous les interlocuteurs avec qui j’ai eul’occasion  d’échanger  ensuite,  notamment  les  représentants  des  loges maçonniques, ainsi que des parlementaires intéressés par ce sujet, preuve s’il en est besoin de la transparence qui accompagne notre démarche.

Comme je vous l’ai indiqué lors de notre rencontre, une telle réforme ne pourra se faire que dans le dialogue et la confiance avec l‘ensemble des parties prenantes. Vous trouverez ci-joint le document mentionné: vous constaterez qu’il se borne à reprendre strictement les pistes que nous avons évoquées ensemble  en  janvier  dernier.Je  prendrai  connaissance  avec  intérêt  des éventuelles contributions dont vous souhaiteriez me faire part en réponse à ces pistes, pour poursuivre ainsi le dialogue initié depuis le début de l’année.

Je vous prie de croire, Monsieur le Vice-Président, à l’assurance de ma considération distinguée.

Christophe CASTANER

La Libre Pensée répond au ministre :

Monsieur le Ministre,

La Libre Pensée vous remercie d’avoir répondu à sa lettre du 25 mars 2019 qui s’insurgeait du traitement différent par votre ministère des différents interlocuteurs à propos du projet de révision de la loi de 9 décembre 1905 portant Séparation des Eglises et de l’Etat.

Nous vous remercions aussi de l’envoi de la note « Sur les pistes législatives » qui n’avaient pas été porté à notre connaissance, ni à celle de nombreuses associations laïques, alors que les cultes et les obédiences maçonniques en avaient été destinataires dès leur rédaction.

Conformément à votre souhait, vous trouverez ci-joint l’analyse de la Libre Pensée sur les propositions contenues dans ces pistes législatives.

Nous réaffirmons notre opposition ferme et résolue à toute modification de la loi de 1905, par voie législative ou réglementaire.

Recevez, monsieur le Ministre, l’expression de nos sentiments les plus distingués.

Christian Eyschen, vice-Président de la Libre Pensée

 

Notre analyse du texte

RÉVISION DE LA LOI DE 1905 : ANALYSE DU DOCUMENT REMIS PAR LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR

À sa demande, la Fédération nationale de la Libre Pensée a reçu de la part du ministre de l’Intérieur, le 24 avril 2019, la note préparatoire à l’ample révision de la loi du 9 décembre 1905 concernant la Séparation des Églises et de l’État qu’envisagerait le Gouvernement, document qu’il avait omis de communiquer aux associations laïques présentes lors de la réunion d’information du 8 janvier 2019, mais qu’il avait remis ultérieurement aux représentants des cultes et du Grand Orient de France.

Le document du ministre confirme ce qu’il avait annoncé aux associations laïques, le 8 janvier 2019 : il entend « […] fixer des contreparties minimales en termes d’ordre public aux avantages ouverts au culte par le régime associatif de la loi de 1905 – tout en veillant à rendre celui-ci plus attractif. » Surtout, il détaille les trois axes de la contre-réforme de la loi : « renforcer la transparence du financement des cultes » ; « garantir le respect de l’ordre public » ; « consolider la gouvernance des associations cultuelles et responsabiliser leurs dirigeants ».

Sur la transparence du financement des cultes

Le projet du ministère de l’Intérieur envisage d’imposer les obligations pesant sur les cultuelles (présentation de comptes annuels ; inventaire annuel du patrimoine affecté au culte ; approbation annuelle des actes de gestion financière et patrimoniale par une assemblée générale) aux associations relevant de la loi du 1er juillet 1901 ayant, partiellement ou totalement, un objet cultuel, comme l’autorise la loi du 2 janvier 1907. Il s’agirait ainsi d’éviter « […] la solution consistant à imposer le statut de « loi de 1905 » à l’ensemble des associations ayant le culte pour objet […] ».

Initialement, le législateur avait prévu, en effet, de soumettre toutes les associations ayant un objet cultuel à la seule loi de 1905. Parce que les catholiques ont refusé de les constituer, il a été contraint de permettre l’exercice public du culte par le truchement d’associations relevant de la loi du 1er juillet 1901. Or, celle-ci ainsi que son décret d’application du 16 août 1901 fixent seulement trois obligations déclaratives aux associations de droit commun : se doter d’un nom, déterminer leur objet et établir leur siège social. Les associations reposent avant tout sur un ensemble de droits et obligations fixés librement par le contrat noué entre les associés. C’est pourquoi, par exemple, la convocation d’une assemblée générale annuelle n’est pas pour elles une formalité légale(1), à la différence des associations cultuelles.

Par suite, le Gouvernement entend non seulement modifier la loi du 9 décembre 1905, mais ouvrir indirectement une brèche dans le droit commun de la liberté d’association, qui est un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République depuis la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971(2), aux fins de contrôler davantage le culte musulman, très souvent exercé au moyen d’associations relevant de la loi du 1er juillet 1901 à double objet cultuel et culturel.

Sur les impératifs tenant à l’ordre public

Bien que jusqu’à preuve du contraire, ce dispositif offre à la puissance publique un ensemble suffisant d’instruments pour maintenir l’ordre public dans les lieux de culte, le Gouvernement entend remanier en profondeur le titre V de la loi du 9 décembre 1905 relatif à la police des cultes, qui est essentiellement administrative (emblèmes et signes religieux, sonneries de cloches, interdiction de tenir des réunions politiques dans les lieux de culte, processions, cérémonies et autres manifestations extérieures du culte), mais comporte quelques dispositions à caractère pénal (amende pour les contraventions de cinquième catégorie et peines de police en général).

D’une part, il souhaite mettre en cohérence la loi de 1905 avec le Code pénal et y introduire des sanctions correctionnelles en matière de culte. En l’état du texte, le premier objectif paraît un peu nébuleux. S’agissant du second, il prévoit d’introduire une peine correctionnelle (un an d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende) réprimant les « propos appelant à la haine […] tenus dans un lieu de culte ». Il faut rappeler que, proférés dans un lieu de culte ou non, l’injure publique, l’incitation à la haine raciale, l’apologie du terrorisme et l’outrage sexiste sont déjà des délits (3). De plus, s’en tenir à la catégorie générique de haine, sans autre qualification, paraît si large que le champ des poursuites serait trop étendu au regard des libertés individuelles. La lecture des passages de la Bible où la violence et la haine suintent à chaque mot pourrait-elle donné lieu à de telles poursuites ?  La même peine pourrait également sanctionner « […] le fait d’entraver, par des menaces, la liberté de culte […] », visé à l’article 31 de la loi du 9 décembre 1905 et actuellement passible d’une amende pour contravention de cinquième catégorie.

D’autre part, le Gouvernement entend faciliter la dissolution « des associations au sein desquelles se déroulent des troubles graves à l’ordre public ». À cette fin, il préconise de recourir à un procédé inacceptable. Il s’agirait de faire peser la responsabilité des troubles imputable à un individu sur l’association assurant l’exercice public du culte dans son ensemble, dès lors que celle-ci n’aurait pas pris les mesures adéquates pour les faire cesser. Toutefois, mesure extrême, les conditions à réunir pour dissoudre l’organisme, fixées à l’article L. 212-1 du Code de sécurité intérieure, ne seraient pas modifiées.

Enfin, les libéralités, dons manuels et aides en nature de plus de 10 000 euros apportés par un État étranger à une association ayant pour objet l’exercice public du culte feraient l’objet d’une déclaration. L’application d’une telle disposition pourrait réserver quelques surprises.

En bref, des mesures répressives nouvelles et des moyens pour l’État de s’insinuer dans le fonctionnement des cultes !

Sur « la consolidation de la gouvernance des associations cultuelles »

La révision de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État qu’envisage le Gouvernement emporterait, d’un côté, un accroissement des avantages auxquels les associations cultuelles peuvent prétendre ou un accès exclusif à certains d’entre eux, de l’autre, un renforcement de leurs obligations.

Trois nouveaux avantages à caractère financier leur seraient consentis.

D’une part, en dépit du rejet par la représentation nationale de l’essentiel des termes de l’article 38 du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance, définitivement adopté le 10 août 2018, le ministre de l’Intérieur entend introduire à nouveau la possibilité pour elles d’acquérir un patrimoine immobilier de rapport en vue de le faire fructifier (4). Par conséquent, au prétexte de leur ouvrir des sources nouvelles de financement, le Gouvernement effacerait d’un trait de plume les dispositions du premier alinéa de l’article 19 de la loi du 9 décembre 1905 aux termes duquel les associations cultuelles ont pour unique objet l’exercice public du culte et, par ricochet, dénaturerait l’article 4.

D’autre part, il entend réserver le bénéfice de la réduction d’impôt au titre des dons manuels (5) aux seules associations cultuelles. La rédaction du texte étant très imprécise, il faut probablement en déduire, non pas que l’article 200 du Code général des impôts serait pour l’essentiel anéanti, mais que les associations relevant de la loi du 1er juillet 1901 ayant en partie un objet cultuel seraient privées de cet avantage. En droit, l’affaire n’est pas simple : pour une même activité, les donateurs contribuant au financement d’organismes ayant des statuts juridiques différents, ne seraient pas égaux devant l’impôt. Selon un raisonnement identique, il souhaite limiter aux seules associations cultuelles le bénéfice des garanties d’emprunt accordées par les communes et les départements (6) ainsi que la possibilité de conclure un bail emphytéotique administratif (7). Sur ce dernier point, le texte du ministre de l’Intérieur n’est pas à jour : non seulement le Code général des collectivités territoriales vise déjà uniquement les associations cultuelles, mais le Conseil d’État a jugé qu’elles seules pouvaient les conclure avec les communes (8)

Enfin, le Gouvernement est prêt à autoriser les collectivités publiques à consentir des aides aux associations cultuelles au titre de la « rénovation énergétique des édifices affectés aux cultes ». Ainsi, il élargirait les possibilités de financement public des religions offertes par le dernier alinéa de l’article 19 de la loi du 9 décembre 1905 dans sa version modifiée par la loi du Régime de Vichy du 25 décembre 1942.

En contrepartie de ces avantages, dont une partie importante consiste simplement interdire leur accès aux associations relevant de la loi de 1901 ayant pour partie un objet cultuel, comme l’autorise la loi du 2 janvier 1907 (9), le Gouvernement s’apprête à imposer deux séries d’obligations nouvelles aux associations cultuelles, dont il espère manifestement favoriser l’essor. D’une part, elles seraient tenues de « respecter non seulement l’ordre public, mais aussi les droits et libertés garantis par la Constitution. » Ainsi, il serait exigé d’elles, ce qui ne l’est d’aucun autre groupement privé (associations, syndicats, partis politiques). Le respect de ces droits et libertés incombe au premier chef aux institutions de la République. D’autre part, l’assemblée générale de l’association cultuelle verrait ses pouvoirs renforcés. Elle délivrerait notamment par délibération son accord préalable à l’admission d’un nouveau membre, à la cession d’un bien immobilier, au recrutement d’un nouveau ministre du culte. Il est très probable d’ailleurs que ces obligations sont déjà prévues dans les statuts de nombreuses associations cultuelles.

*En définitive, en l’état, le projet du Gouvernement paraît encore fragile juridiquement sur certains points. Sans le dire, il vise essentiellement à corseter le culte musulman, au prix notamment d’une remise en cause partielle et indirecte de la loi du 1er juillet 1901 sur la liberté d’association, d’une dénaturation des associations cultuelles dont l’objet serait étendu à la gestion d’un patrimoine immobilier de rapport et les obligations élargies au respect des « droits et libertés garantis par la Constitution », d’une probable atteinte à l’égalité des citoyens devant l’impôt et de l’introduction superfétatoire d’une peine correctionnelle sanctionnant des délits déjà réprimés par ailleurs.

Pour cet ensemble de raisons, la Fédération nationale de la Libre Pensée ne peut que réitérer sa position : il ne faut pas toucher à la loi du 9 décembre 1905 concernant la Séparation des Églises et de l’État. Il ne faut pas davantage modifier par voie réglementaire le cadre juridique actuel des relations entre l’État et les cultes : il assure la paix civile dans la République française depuis plus de cent treize ans.  « L’Église chez elle et l’État chez lui » comme disait Victor Hugo combattant la loi Falloux.

 

Notes :

1- Même si, dans l’immense majorité des cas, existe une obligation statutaire de nature contractuelle.

2- Décision n° 71-44 DC.

3- Voir articles 23, 24, 32, 33, 50-1 et 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée en ce qui concerne les propos publics d’injure, de diffamation ou incitant à la haine, article R. 625-6 du code pénal (propos non publics), article 421-2-5 du code pénal en ce qui concerne l’apologie du terrorisme et article 621-1 du même code en ce qui concerne les outrages sexistes.

4- Le texte ne précise pas s’il s’agit d’acquisitions à titre gratuit (donations ou legs non grevés de charges cultuelles) ou onéreux. Le défunt article 38 visait seulement les premières.

5- 66 p. cent.

6- Articles L. 2252-4 et L. 3231-5 du code général des collectivités locales.

7- Article 1311-2 du code général des collectivités territoriales.

8- Voir CE, 10 février 2017, Ville de Paris à propos du BEA conclu avec la Société des Habous et des lieux saints de l’islam.

9- Ce faisant, compte tenu de la réalité, le culte musulman est implicitement mais nécessairement visé.