Sommes-nous libres ?

Appel solennel du Congrès national de la Libre Pensée d’Alizay (Eure)

La liberté de conscience, la simple expression d’une opinion, est menacée.

Elle est menacée sur tous les plans, sur tous les terrains.

Elle est malmenée, brutalisée.

Pas de bruits de bottes et pourtant …

Tout le monde a vu ou a vécu la violence de la répression des manifestations : les Gilets jaunes mutilés, les tabassages réguliers, les « nassages », l’utilisation d’armes considérées comme armes de guerre, les lycéens à genoux les mains sur la tête, les jugements expéditifs, les emprisonnements, les contrôles préventifs… Si de telles images avaient concerné le Vénézuela, la Russie, la Turquie, que n’aurions-nous pas entendu ?

Mais, en cas de plainte suite à des violences policières, alors qu’Emmanuel Macron avait refusé le 7 mars l’expression « violences policières », ces plaintes sont systématiquement classées sans suite. La justice étant déclarée indépendante. Il n’y a donc aucune violence policière. Devant le tollé, « critiqué pour la timidité présumée de son parquet à poursuivre les auteurs de violences policières, le procureur [de Paris] assure que personne ne bénéficiera d’une quelconque impunité. Et annonce pour la première fois les suites données aux enquêtes visant les forces de l’ordre. » (Le Parisien du 30 mai 2019).

Car la France est une démocratie ! Parait-il …

D’ailleurs, M. Castaner rend hommage à la police d’avant la Libération, dont le sens républicain ne s’était guère manifesté et décore les chefs cogneurs.

Sur réquisition du Préfet, à Lons-le-Saulnier, le 29 mai 2019, pour briser la grève des personnels des urgences, « Les forces de l’ordre ont sonné chez des médecins et soignants en pleine nuit, vers 1h du matin, pour leur ordonner d’être aux urgences, en poste, à 7h. Un soignant raconte qu’une infirmière, seule avec ses enfants, a passé sa nuit à s’organiser pour les faire garder. Contacté par France Bleu Besançon, le Dr Eric Loupiac, médecin urgentiste à Lons dénonce la méthode : « Ce sont des méthodes dignes du régime de Vichy, qui rappellent une autre époque ».

Tout le monde a été révolté par la mort du jeune Steve suite à une agression policière lors d’une manifestation festive et par la mort de Zineb Redouane lors d’une manifestation à Marseille en décembre 2018.

Tout le monde a été écœuré par le comportement gouvernemental et celui de l’IGPN, IGPN chargée en théorie de veiller au respect de la « déontologie policière »…

Pas de Ministre de l’Information et de la Propagande et pourtant …

Lors d’une interview sur CNEWS, le 6 mai 2019, une journaliste, Elisabeth Levy, a été traitée de « dingue » et ses propos qualifiés de « criminels » pour avoir affirmé que le scepticisme en science est une bonne chose. Elle est incrédule ; est-ce un crime ? Dans la foulée, une campagne a exigé du CSA qu’il censure toute critique des thèses « officielles » à propos du climat.

Nous ne parlons pas du contenu du débat ; nous parlons de la criminalisation du débat : « Tu n’es pas d’accord avec moi, donc tu es un(e) criminel(le) ». Les chercheurs peuvent-ils chercher sans contrôle ? Y a-t-il une science officielle comme en URSS sous Staline avec Lyssenko ? Va-t-on révoquer un scientifique pour ses opinions, comme on le fit avec Joliot-Curie en 1950 ?

La liberté individuelle est remplacée par la responsabilité collective

Emmanuel Macron, en Corse, le 4 avril 2019, affirmait « ceux qui veulent aujourd’hui défendre l’identité corse, doivent aussi faire ce travail mémoriel et savoir dire les choses. Autant la page a été tournée sur Aléria, autant je n’ai pas entendu les mêmes regrets sur l’assassinat du préfet Érignac » ; il met en avant la notion de responsabilité collective et stigmatise toute une population. Qui peut croire qu’il ne s’agit que de la Corse ? C’est donc le chef de l’Etat qui met en avant la notion de responsabilité collective. Comme on le sait, celle-ci a existé dans l’Histoire, dramatiquement ! Associer cet assassinat et « l’identité corse » stigmatise toute une population. Qui pourrait l’accepter ?

La Libre Pensée n’accepte pas cette stigmatisation. Cette stigmatisation prépare la violence politique. La Libre Pensée se prononce clairement contre les condamnations à double peine. Tous les prisonniers concernés, quel que soit leur statut, doivent être rapatriés en Corse. Les familles n’ont pas à subir les frais considérables que leur occasionnent les déplacements sur le Continent.

On stigmatise la population supposée « musulmane », comme est stigmatisée la population qui a le vocabulaire d’un « boxeur gitan ». Encore un exemple : alors que la laïcité, c’est la liberté de conscience pleine et entière pour tous et pour toutes, certains utilisent le terme en détournant le sens pour viser ceux et celles qui seraient « en trop ». Quand certains disent « laïcité », l’écho hurle « xénophobie » et exclut l’étranger, le « migrant », l’immigré, le descendant d’immigrés, celui qui ne pense pas comme il faut. Tous coupables.

Les journalistes sont-ils mieux lotis ? Le Monde du 30 mai 2019 écrit « Affaire Benalla : notre journaliste Ariane Chemin et Louis Dreyfus, directeur de la publication, ont été interrogés par la DGSI » Sur la question de la vente d’armes françaises au Yemen, un autre journaliste Michel Despratx a été également interrogé par la DGSI. Le journal conclut : « À ce jour, huit journalistes ont été auditionnés en quelques semaines par les renseignements français, provoquant l’inquiétude de la profession. »

Une actrice, Corinne Masiero, donne son point de vue de citoyenne et refuse d’aller à l’Elysée, elle est publiquement rabrouée et des menaces de sanction à peine voilées sur sa carrière sont proférées. Blacklist pas morte. A l’initiative de libres penseurs et d ‘artistes, une pétition est lancée, elle recueille un grand nombre de signatures. Elle indique : «  La fonction sociale des artistes, acteurs, comédiens, auteurs, réalisateurs est la liberté de comportement pleine et entière et d’avoir le pouvoir de dire Oui et le droit de dire Non. Par cet appel, nous voulons soutenir la liberté de Corinne Masiero de dire ce qu’elle pense, de défendre la liberté de conscience et de tous, et de manifester notre refus des interdits professionnels pour cause de « blasphème » vis-à-vis de l’Elysée et des cercles décideurs, politiques, financiers et économiques. »

Pas de police politique et pourtant …

Les lanceurs d’alerte sont réduits au silence. Les manifestants hospitalisés sont fichés. Un médecin est sommé de devenir un auxiliaire de police. Faut-il réécrire le Serment d’Hippocrate ?

De plus en plus, des enseignant(e)s qui parlent publiquement de la politique gouvernementale dans l’enseignement sont convoqué(e)s et sanctionné(e)s (parce qu’un(e) enseignant(e), convoqué(e) par la haute hiérarchie, aura obligatoirement une conséquence sur sa carrière et sa fonction, ce qui constitue une sanction).

L’argument est important : le gouvernement invoque le devoir de réserve des fonctionnaires, dont la portée varie d’ailleurs en fonction de la place occupée par les intéressés dans la hiérarchie administrative, mais oublie de souligner que cette obligation, fixée essentiellement par la jurisprudence, est subordonnée au principe fondamental de libertés d’opinion des agents publics posé par l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

Ce devoir de réserve s’applique surtout aux fonctionnaires d’autorité comme les préfets et autres dignitaires en uniforme. Mais quand ceux-ci participent à des cérémonies religieuses, comme pour la « sainte-Geneviève, patron des gendarmes », le gouvernement n’a rien à y redire. En utilisant cet argument, le gouvernement avoue le rôle qu’il veut confier aux enseignant(e)s et rendre obligatoire le port de l’uniforme moral. En 1961, au moment du Manifeste des 121 contre la guerre coloniale en Algérie, Pierre Vidal-Naquet avait été suspendu et Laurent Schwartz révoqué. Qui va être suspendu ? Qui va être révoqué ?

Clarisse Taron, au nom du Syndicat de la Magistrature, résume le texte de loi voté contre le droit à manifester, loi visant essentiellement les salarié-e-s et leurs organisations : « Certaines mesures sont prises sans l’intervention d’un juge, et certaines restrictions sont prises à l’encontre de personnes en raison de supposées pensées qu’elles auraient, ce qui me paraît dangereux ». Cette loi cible ceux dont le visage sera « partiellement masqué ». Des lunettes teintées ? Un chapeau ? Un pansement sur la joue en sortant de chez le dentiste ? Une perruque trop longue ?

La liberté est entière et pour tous, ou elle n’est pas

La liste est obligatoirement incomplète ? mais elle suffit déjà. Chaque menace en elle-même ou chaque fait en lui-même peut sembler grave ou secondaire, mais, assemblés, ils ressemblent à des liens multiples et entrecroisés avec lesquels on attrape les animaux sauvages pour les dompter. Répétons-le, la liste est incomplète et chacun la complètera à son gré.

La question est : sommes-nous libres ?

Si vous ne marchez pas dans le rang, si vous ne courbez pas l’échine, vous êtes « complotiste », « communautariste », « climato-sceptique », « populiste », « poujadiste », « révisionniste », « chemises brunes », « munichois » et, bien évidemment, même si cela n’a aucun rapport avec le sujet, surtout si cela n’a aucun rapport avec le sujet, « antisémite ».

L’essentiel n’est pas d’argumenter mais de stigmatiser, de condamner et, pour être sûr que le condamné ne puisse parler, de le réduire au silence, de le noyer sous un déluge d’accusations. Pour faire croire à une « opinion publique », le gouvernement utilise par milliers et milliers les faux comptes sur les réseaux sociaux. Et, « en même temps », il condamne les pratiques qu’il met en œuvre. En un mot, une camisole de force est passée sur la pensée, c’est-à-dire sur le droit de réfléchir par soi-même, de ne pas être d’accord, de le dire, de le faire savoir, de dialoguer, d’écouter, d’argumenter.

Dans cette logique, le Congrès national de la Libre Pensée se prononce pour l’abrogation des lois liberticides, notamment celle sur l’Etat d’urgence et celle contre le droit de manifester qui alimentent ce climat général.

Le Congrès national de la Libre Pensée s’adresse solennellement à toutes celles et à tous ceux pour qui la liberté n’est pas un vain mot, aux associations, aux syndicats, aux partis :

Il faut défendre la liberté de conscience, la liberté d’expression, la liberté d’organisation, la liberté de manifestation !

La Libre Pensée prendra toute sa place dans ce combat. Il doit être le combat de toutes et de tous.

Adopté à l’unanimité