La LPR (Loi de Programmation de la Recherche) : Une loi contre les Lumières !

Mme F Vidal

Il est rarement arrivé qu’un projet de loi concernant la recherche scientifique dresse contre lui l’immense majorité des chercheurs, des personnels de la recherche, et des universitaires. Il est rarement arrivé qu’un gouvernement soit totalement sourd aux cris d’alerte de sections entières du Comité National de la Recherche, de centaines de directeurs de laboratoires, d’intellectuels renommés dans leur discipline. C’est cependant ce qui est en train de se passer avec la Loi de Programmation de la Recherche, portée par Madame Frédérique Vidal à marche forcée devant le parlement. C’est ainsi que ce texte a été adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale le 24 septembre 2020, malgré le vote « contre » unanime du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), ce qui est rarissime. Elle doit être examinée par le Sénat à partir du 27 octobre.

La plupart des syndicats de l’enseignement supérieur et de la recherche ont condamné cette loi. Un communiqué intersyndical signé de quinze d’entre eux demande son retrait en titrant « La LPR tourne le dos aux revendications des personnels et des étudiant.es, elle doit être abandonnée ! » Une journée de manifestations a été appelée le 13 Octobre avec préavis de grève. La Libre Pensée soutient totalement son mot d’ordre de retrait de la loi.

En effet, de quoi s’agit-il ? D’abord d’un mensonge. Il s’agirait d’accroître les moyens de la recherche scientifique dont le Collectif RogueESR au début du confinement décrété face au COVID19 décrivait ainsi l’état : « Alors même que les espoirs de traitement du virus dépendent des chercheurs, cela fait quinze ans que la recherche scientifique à l’Université et dans les grands organismes comme l’Inserm ou le CNRS subit le primat donné à des projets de court terme, pilotés bureaucratiquement, et concentrant sur quelques thèmes définis comme “porteurs” des moyens globalement en déclin. Quinze ans de démolition ! »

Quinze ans de démolition de la part de gouvernements de droite et de gauche et que nous propose Madame Frédérique Vidal, du gouvernement de Monsieur Emmanuel Macron ?

Une loi de programmation qui ne permettra même pas d’atteindre les 1% du PIB sur 10 ans. Une loi de programmation qui, contrairement à la revendication unanime des laboratoires et de leurs directeurs, entérine la baisse des crédits réguliers annuels au profit de la loterie des appels d’offre à court terme. Une loi de programmation qui mettra à mal le statut des enseignants du Supérieur en généralisant la précarité envers et contre le statut de titulaire de la fonction publique.

Une loi de programmation qui place la recherche scientifique elle-même dans la précarité : alors qu’unanimement les chercheurs revendiquent un retour à des crédits annuels permanents, substantiels et garantis, la loi LPR n’annonce d’augmentation que pour les crédits de l’ANR (Agence Nationale de la Recherche procédant par appels d’offres). C’est annoncer d’avance que seuls les chercheurs et équipes qui décrocheront un contrat avec l’ANR auront les moyens de continuer leur recherche, du moins provisoirement, car les financements ainsi obtenus le sont pour seulement quatre ans. C’est l’inverse d’une aspiration grandissante dans tous les laboratoires. La recherche a besoin de continuité et d’actions à long terme, elle a besoin de liberté dans le choix des sujets, et d’indépendance par rapport à tous les intérêts particuliers, publics et privés. En ce sens, c’est la grande tradition de liberté du CNRS et des universités qui est mise à mal.

La précarité est aussi celle des postes : postes de stages post doctoraux, de maîtres de conférences et des professeurs, car la loi actuellement débattue crée une série d’emplois « à l’américaine » : sous contrats à durée déterminée inspirés du droit privé. A l’article 3, on voit apparaître la notion de « chaires de professeurs junior » et l’article 6 celle de « CDI de mission scientifique ». Dans les deux cas, ce ne sont plus des fonctionnaires. Ils deviennent licenciables. Se dessine ainsi la fin de la sécurité de l’emploi, un objectif poursuivi inlassablement par tous les gouvernements depuis des décennies.

L’Assemblée des directions de laboratoires, regroupant plus de 800 directeurs d’unités de l’Université, du CNRS, de l’INSERM et de l’INRA a publié une tribune dans Le Monde du 22 septembre 2020. Ces responsables de la recherche en France y ont déclaré notamment : « Face aux défis et aux crises à affronter, notre société doit avoir la capacité de produire des connaissances nouvelles, ouvertes, diverses et non inféodées à une vision utilitariste. Outre une programmation budgétaire qui ne permettra pas de compenser plusieurs décennies de désinvestissement, ce projet repose sur une idéologie inadaptée qui obère toute possibilité de relever les grands défis à venir, de soutenir la vraie innovation et d’assurer la qualité de la production scientifique. Il bat en brèche la conception de la recherche comme bien commun et continuera d’ébranler l’équilibre pourtant indispensable à nos collectifs de travail. »

Le Comité National du CNRS a procédé à une enquête d’opinion à laquelle 1 500 chercheurs ont répondu. L’enquête révèle un rejet très majoritaire : à 64% les enquêtés se déclarent contre la loi. C’est bien une opposition de toute la profession qui s’exprime.

La ministre Vidal ajouterait à ces ingrédients toxiques une tentative de placer l’information scientifique sous la tutelle d’une agence de communication, la « Maison de la science et des médias ». Cela n’apparaît pas dans la loi qui se contente d’incitations à la vulgarisation, mais a fait l’objet de déclarations détaillées de la ministre. Y-aura-t-il donc une voix de la science gouvernementale et officielle que les journalistes scientifiques devraient respecter ? Dans les pays où cela se pratique, les Science Media Centers gouvernementales sont connues pour être devenus la voix des firmes commerciales. La liberté de parole des journalistes et des chercheurs est-elle en jeu ?

En s’attaquant frontalement aux libertés académiques et à leurs garanties statutaires, matérielles et institutionnelles, en développant une conception opportuniste de la vérité objective, en ignorant les normes collectives de la rationalité scientifique, la LPR heurte frontalement tous les principes du rationalisme. Ce faisant, la loi remet en cause la possibilité même pour les parlementaires et les citoyens de pouvoir débattre de façon objective informée des choix technologiques, bioéthiques et sanitaires importants qui nous attendent dans les années à venir.

Peut-on attendre un sursaut de raison lors du passage au Sénat ? C’est bien peu probable, tant une loi inamendable ne saurait être amendée positivement. Chercheurs et universitaires ont raison de s’y opposer et de réclamer tout bonnement son retrait.

La Libre Pensée, se réclamant de la Raison et de la Science, ne peut que les appuyer dans cette révolte salutaire.

Oui, la LPR est une loi contre les Lumières ! La raison impose qu’elle soit retirée !

Paris – rue d’Ulm, le 16 octobre 2020

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