Nous connaissons actuellement une situation qui sort de l’ordinaire à bien des égards, notamment sur le terrain de l’existence des libertés démocratiques et de la laïcité. La Fédération nationale de la Libre Pensée vient de tenir, après son Congrès national, son premier Comité général. Nous avons donc demandé à son Secrétaire général, Christian Eyschen, quelle était l’analyse de la Libre Pensée devant tous ces événements.
Ce qui m’a frappé est bien sûr l’assassinat barbare de l’enseignant Samuel Paty. On ne peut être que frappé et révulsé de cet acte ignoble. La Libre Pensée a publié, le soir même des rassemblements, un communiqué qui a eu un certain écho, où nous disions : « Nous y étions, car tuer un être humain, c’est assassiner l’Humanité toute entière. Nous y étions, car chaque être humain porte l’entière condition humaine. Nous y étions, sans ostentation ni publicité, simplement par respect et solidarité dans une discrétion assumée »…
Mais aussi : « Nous y étions, mais pas avec les porteurs de haine qui utilisent ce drame épouvantable pour marquer de leur xénophobie une partie de la population qu’ils vouent aux gémonies. Nous y étions, mais pas avec ceux qui parlent des autres pour mieux parler d‘eux-mêmes et se faire de la publicité à bon compte.
Nous y étions, mais pas avec ces médias, tels des vautours, qui s‘abreuvent du sang des victimes pour accroitre leurs audiences et qui donnent un perchoir toujours plus grand aux corbeaux de mauvaise augure, porteurs de haine et de xénophobie croissante. Nous y étions, mais pas avec les croque-morts qui se drapent dans les linceuls des autres pour mieux s’auto-glorifier et pour mieux justifier leur politique réactionnaire. »
On reste frappé de voir les écluses de la haine déverser un torrent de racisme contre tout ce qui s‘apparente de près et de loin aux musulmans. C’est la course à l‘échalote entre les liberticides gouvernementaux et leurs hommes de main de droite comme de gauche, d’extrême-droite et du centre mou, qui veulent faire un grand ménage dans la République et qui appellent au « limogeage » de tous ceux dont les propos et idées leur déplaisent. Brejnev n’aurait pas fait mieux lors de la normalisation à Prague en 1968.
Les mesures annoncées depuis peu nous rappellent les heures les plus sombres de la Guerre d’Algérie. C’est le règne, à nouveau, de la matraque et de la répression. C’est aussi la gendarmisation à outrance de la société. En rangs par deux, je ne veux voir qu’une tête ! Tous ceux qui déplaisent au gouvernement doivent être réprimés. Et ce, au nom frelaté de la « liberté d’expression » qu’ils encensent d’un côté, mais qu’ils répriment de l’autre quand les opinions les dérangent.
La Légion des Volontaires français contre l’Islamisme
Comme d’habitude, la réaction la plus noire se déchaine. Ainsi Robert Ménard déclare : « La Laïcité est un truc de faux culs qui sert à ne pas parler de l’islamisme. Je suis laïque, je défends les traditions judéo- chrétiennes. Tous ceux qui n’ont pas dénoncé l’islamisme sont des collabos. Le terrorisme islamiste, on peut en venir à bout. L’islamisme du quotidien, ce sera plus compliqué. La Charia commence par le voile. Je suis pour l’interdiction du voile dans l’ensemble de l’espace public, le voile est le porte-étendard de l’islamisme. Il y a des moments où il faut savoir limiter l’état de droit dans la balance, la Déclaration des droits de l’Homme, l’universalisme, sapent l’autorité de l’État et nous désarme. » (Source : BFM TV)
Il y a peut-être une différence de quantité, mais la qualité est la même sur tout l’échiquier politique, quand beaucoup réclament la tête des responsables de l’Observatoire de la laïcité, de Jean-Luc Mélenchon et des militants de la France Insoumise et de tous les présumés « islamo-gauchistes ».
Il suffit de regarder les journaux télévisés en continu pour croire entendre et voir Joseph Goebbels à toutes les heures. Comment ne pas partager ce que dit l’Union Juive Française pour la Paix : « L’atmosphère empoisonnée d’aujourd’hui peut permettre de comprendre ce qui a dû se passer en France et en Allemagne pendant les années 1930. Comment une société entière a pu être petit à petit contaminée par des discours politiques et la presse antijuive, pour se retrouver embrigadée dans une croisade exterminatrice. »
Dans cette situation, beaucoup offrent leur concours au pouvoir en échange de quelques retombées médiatiques, voire d’avantages sonnants et trébuchants. Il en est ainsi d’un appel de 49 personnalités, publié dans le Journal du Dimanche exigeant : « il est du devoir des responsables politiques d’insuffler une nouvelle dynamique. Des organismes publics adaptés à cet horizon politique transformé doivent voir le jour. » En un mot comme un cent, toutes les places sont bonnes à prendre.
Mais le véritable enjeu est la fondation d’un nouvel ordre corporatiste
Dans son discours du mercredi 21 octobre 2020, Emmanuel Macron donne la clé : « On s’était progressivement habitué à être une société d’individus libres. Mais nous sommes une nation de citoyens solidaires. Nous ne pouvons pas nous en sortir si chacun de nous ne joue pas son rôle, ne met pas sa part. Voilà la clef. Nous avons besoin les uns des autres ! » Où est la différence avec Ménard ?
C’est la reprise de la Doctrine sociale de l’Église catholique, c’est le corps mystique du Christ. Voici ce que dit le pape François dans sa dernière encyclique « Fratelli tutti » : « Personne ne peut affronter la vie de manière isolée… Nous avons besoin d‘une communauté qui nous soutient… Dans ce schéma, la possibilité de se faire prochain est exclue… Ainsi le terme « prochain » perd tout son sens, et seul le mot « partenaire », l’associé pour des intérêts déterminés a du sens… La fraternité n’est pas que le résultat des conditions de respect des libertés individuelles… »
Devons-nous tous être des « partenaires » de la politique gouvernementale ? Tel semble être l’objet de la quête macroniste. Or, les syndicats ouvriers ne sont pas des « partenaires », mais des interlocuteurs qui représentent l’intérêt de leurs mandants, les salariés. Tout comme les organisations laïques comme la Libre Pensée ne sont pas les partenaires du gouvernement, mais représentent un courant historique et leurs adhérents.
Le choix de Jean Castex comme Premier ministre a été fait, car « il avait une bonne relation avec les partenaires sociaux ». Mais la crise est tellement importante qu’elle le conduit tout au contraire à organiser la répression partout au risque de faire coaguler toutes les positions, de provoquer une explosion sociale qui sourde de toutes parts et de mettre ainsi en échec l’opération Macron/Le Pen au deuxième tour des présidentielles en 2022.
La CFDT, organisation cléricalo-patronale a même dû signer une déclaration avec les autres confédérations syndicales pour demander le retrait pur et simple de la réforme des retraites, qu’elle avait soutenu de bout en bout. C’est la crainte de l’explosion sociale qui les terrorise et c’est pourquoi le gouvernement accentue la répression pour terroriser le peuple. Mais tout à une limite.
Emmanuel Macron devrait réfléchir sur cet avertissement du pape : « La paix sociale est difficile à construire, elle est artisanale. Il serait plus facile de limiter les libertés et les différences par un peu d’astuce et de moyens. Mais cette paix serait superficielle et fragile ».
Et oui, tout est devant nous et tout est possible. Et il est loin d’être sûr que les « astuces » empêchent quoique ce soit.
Ce gouvernement est le coup de force permanent contre la démocratie ! Nous appelons tous les laïques, les démocrates, les véritables républicains à réagir et à se mobiliser contre le Coup d‘État permanent.
Christian Eyschen
Cet article est paru sur le blog Mediapart de la Libre Pensée