Emission présentée par Christophe Bitaud, Vice-Président de la Libre Pensée, qui reçoit Christian Eyschen, secrétaire général de la Libre Pensée.
Sujet : Le rôle de Jean Jaurès dans l’élaboration de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État.
Ch.Bitaud : Christian, bonjour.
Ch.Eyschen : Bonjour.
Tout d’abord nous constatons que Jean Jaurès est utilisé à tort et à travers dans les affaires de laïcité pour lui faire porter des propos qui n’étaient pas les siens.
Je voudrais donc rappeler l’historique des choses.
C’est Jaurès qui a été la clé de voûte et l’ouvrier de la loi de séparation des Églises et de l’Etat de 1905 parce qu’il en avait une conception très libérale au sens philosophique du terme.
Il y avait différents projets à l’époque, notamment de concordat gallican, de contrôle de la religion encore accru par l’État, et c’est la conception de Ferdinand Buisson, d’Aristide Briand et de Jean Jaurès qui a prévalu. On devait séparer les Églises de l’État mais pas par une loi de pression. Ce qui est extrêmement important c’est que Jaurès a compris à travers le débat sur l’article 4 de la loi de 1905, qu’il fallait absolument organiser les choses de manières démocratiques et ne pas constituer un traitement de défaveur vis-à-vis des religions.
C’est ainsi que l’article 4 de la loi de 1905 dit ceci :
« Dans le délai d’un an, à partir de la promulgation de la présente loi, les biens mobiliers et immobiliers des menses, fabriques, conseils presbytéraux, consistoires et autres établissements publics du culte seront, avec toutes les charges et obligations qui les grèvent et avec leur affectation spéciale, transférés par les représentants légaux de ces établissements aux associations qui, en se conformant aux règles d’organisation générale du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice, se seront légalement formées(…)».
Cela veut signifie que l’État disait qu’il ne fallait pas s’ingérer dans les affaires des cultes et dans l’organisation des cultes. C’est extrêmement important.
C’était la reprise de la loi de mars 1884 sur les libertés syndicales qui disait : « La loi du 21 mars relative à la création des syndicats professionnels, consacre la liberté syndicale, elle affirme que les syndicats pourront se constituer librement, sans l’autorisation du gouvernement. »
Ce qui a été repris ensuite dans la loi de 1901 sur les associations dans son article 2 : « Les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable, mais elles ne jouiront de capacités juridiques que si elles sont conformes aux dispositions de l’article 5. ».
La conception qu’avait Jaurès, c’était de dire que le culte devait s’organiser librement sans ingérence de l’État.
On voit bien là toute la différence qu’il y a avec aujourd’hui notamment concernant le débat sur l’islam.
Et Jaurès dira en 1905 « Quand l’article 4 sera voté, la séparation sera faite ». Et il ajoutera ce commentaire qui extrêmement important : « La France est révolutionnaire, elle n’est pas schismatique ». C’est-à-dire que la loi de 1905 ne visait pas à créer un ou des cultes à la manière ou à la façon dont l’État aurait souhaité qu’ils soient. Cela veut dire une totale indépendance de l’État et une totale indépendance des cultes, des syndicats, des associations vis-à-vis de l’État.
Or, quand nous prenons la “Charte de la laïcité” de M. Delafosse, maire de Montpellier, nous constatons que ce n’est pas du tout cet esprit là qui prédomine mais c’est la question de l’ingérence de la Mairie, de l’État, des pouvoirs publics, dans l’organisation des cultes. Par exemple l’article 7 : « Les associations subventionnées participent à la promotion de la laïcité ».
Les associations n’ont pas à participer à la promotion de la laïcité quand elles ne sont pas stricto sensu des associations laïques. On a le droit, en France, dans une démocratie, dans une république, de ne pas être d’accord avec la république, de ne pas être d’accord avec la laïcité et même de ne pas être d’accord avec la démocratie. Parce que si l’on est obligé d’être d’accord avec la république et ses « valeurs », et bien il faut commencer par interdire les associations royalistes, interdire les organisations anarchistes, interdire les organisations révolutionnaires qui ne se reconnaissent pas dans ces différentes conceptions.
Cette « charte de la laïcité » – comme toutes les « chartes » que l’on voit apparaître ici ou là – sont totalement contraires à cette question de l’indépendance des associations vis-à-vis de l’État.
Les associations ne sont plus libres de s’organiser en fonction de leurs buts et avec les moyens qu’elles veulent. Mais c’est la puissance publique, par l’intermédiaire de la subvention – donc de l’argent – qui va dicter aux associations ce qu’elles doivent faire ou non. C’est une ingérence qui est totalement inadmissible et qui est le contraire de l’indépendance des associations.
C’est dans cette situation là qu’il y a tout le débat sur le séparatisme, sur la question de l’islam, de l’islamisme, du terrorisme, etc.
Il est donc assez incroyable de constater que ce gouvernement fait tout pour se faire dégager et accumuler toutes les forces de rejet qui ne peuvent que s’agglomérer dans une gigantesque explosion sociale. Le Président de la République s’en prend à la loi de 1901 qui fonde la liberté d’association dans notre pays et qui est une institution à elle seule, et dans le même temps il veut s’attaquer à la loi de 1905 qui institue la liberté de conscience.
Ce gouvernement a effectivement un gros appétit mais il risque de finir étouffé par ses ambitions.
Derrière le débat « loi de 1901, loi de 1905, Charte de la laïcité », c’est en fait la reprise déguisée de ce que l’on a appelé à une époque le rapport Machelon, commandité par Nicolas Sarkozy, qui prévoyait une sorte de fusion entre les associations loi de 1901 et les associations loi de 1905.
Nous avons réussi, grâce à une mobilisation unitaire extrêmement importante à faire reculer Macron sur la question de la révision directe de la loi de 1905. Mais il est clair qu’aujourd’hui il tente à nouveau de remettre en cause cette loi par des mesures qui sont tout à fait liberticides.
Vous remarquerez que, notamment à travers la question de la pandémie et à travers la question de l’État d’urgence sanitaire exceptionnel, on restreint de plus en plus les libertés démocratiques et cela pose un véritable problème.
La Libre Pensée va agir en défense de la démocratie, des libertés démocratiques et nous ne serons pas les seuls.
Je vous invite à lire sur internet une brochure numérique qu’a fait la Libre Pensée : Arguments n°14. Vous verrez en regardant le sommaire que nous avons avec nous dans ce combat pour la défense des libertés démocratiques beaucoup de monde : LDH, Ligue de l’Enseignement, MRAP, Union Rationaliste, organisations syndicales etc.
Ce combat-là est devant nous même s’il est empêché quelque temps par les mesures antidémocratiques de remise en cause du droit de rassemblement et de manifester. Mais inévitablement la confrontation aura lieu et c’est à celle-ci que l’on vous appelle.
°0°
Ch. Bitaud : Après cette page d’histoire je vous propose de revenir à l’actualité. Une actualité au combien douloureuse, avec la lecture du communiqué de presse de la Libre Pensée du 18 octobre 2020 intitulé :
« Pour la plus absolue liberté de conscience, pour le droit à l’instruction, en hommage à Samuel Paty »
La Libre Pensée est saisie d’effroi devant le crime barbare contre l’enseignant Samuel Paty. Elle assure sa famille, ses proches, ses collègues, ses amis de sa profonde empathie dans ce drame. La Libre Pensée leur témoigne sa profonde solidarité dans cette cruelle épreuve.
La Libre Pensée condamne fermement et énergiquement cet acte odieux d’un fanatique religieux qui s‘ajoute à d’autres assassinats commis par des religieux épris de haine envers l’Humanité.
Le dimanche 18 octobre 2020, la Libre Pensée était présente dans les rassemblements qui ont eu lieu :
Nous y étions, car tuer un être humain, c’est assassiner l’Humanité toute entière.
Nous y étions, car chaque être humain porte l’entière condition humaine.
Nous y étions, sans ostentation ni publicité, simplement par respect et solidarité dans une discrétion assumée.
Nous y étions pour marquer notre refus absolu que la chaine d’union de l’Humanité soit séparée d’un de ses maillons
Nous y étions, parce que la Fraternité doit toujours être plus forte que le rejet de l’autre
Nous y étions, mais pas avec les porteurs de haine qui utilisent ce drame épouvantable pour marquer de leur xénophobie une partie de la population qu’ils vouent aux gémonies.
Nous y étions, pour rendre hommage à cet enseignant dévoué à son métier qui est d‘instruire, c’est-à-dire de construire des êtres humains conscients, libres d’assurer leurs destinées.
Nous y étions, mais pas avec ceux qui parlent des autres pour mieux parler d‘eux-mêmes et se faire de la publicité à bon compte.
Nous y étions, parce que nous voulons un monde meilleur où chacun peut avoir sa place dans l’égalité de tous.
Nous y étions, mais pas avec ces médias, tels des vautours, qui s‘abreuvent du sang des victimes pour accroitre leurs audiences et qui donnent un perchoir toujours plus grand aux corbeaux de mauvaise augure porteurs de haine et xénophobie croissante.
Nous y étions, car la liberté, en premier lieu, la liberté de conscience et d’expression est notre bien le plus précieux.
Nous y étions, mais pas avec les croque-morts qui se drapent dans les linceuls des autres pour mieux s’auto-glorifier et pour mieux justifier leur politique réactionnaire.
Nous y étions car le véritable tombeau de Samuel Paty sera toujours dans le cœur de celles et ceux qui l’ont aimé et dans la mémoire de celles et de ceux qui se souviendront de lui.
Les Egyptiens, dans la Haute-Antiquité, pensaient qu’il y avait deux morts : d’abord quand l’âme quittait le corps et quand mourrait la dernière personne qui avait prononcé votre nom.
Nous y étions, pour que le nom de Samuel Paty ne s’efface jamais dans nos mémoires et dans nos cœurs.
Nous y étions…. Pour plus jamais cela.
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Ch. Bitaud : Chers auditrices, chers auditeurs, il me revient de conclure cette émission qui aura fait le lien entre l’histoire et l’actualité.
Je ne saurais trop vous inviter à visiter notre site internet fnlp.fr.
Vous pourrez y trouver les podcasts de nos dernières émissions sur France-Culture. Podcasts que vous pouvez également écouter sur le site de France culture à la rubrique Divers aspects de la pensée contemporaine.
Il vous est également possible de découvrir notre revue mensuelle, La Raison, dont j’ai l’honneur d’être le rédacteur en chef, et de vous y abonner en ligne.
De même pour notre revue culturelle l’Idée Libre, dirigée par mon camarade et ami Claude Singer.
Vous pourrez également, bien sûr, adhérer à la Libre Pensée.
Notre librairie en ligne vous permettra d’acquérir nos dernières publications.
A ce sujet j’attire votre attention sur deux ouvrages très récents et remarquables à mon humble avis :
– Une campagne laïque en défense de la loi de 1905. Pour la Libre Pensée les choses sont simples : il ne peut y avoir de laïcité des institutions sans séparation des Églises et de l’Etat. Celle-ci garantissant la liberté de conscience. Toucher à l’un de ces trois principes c’est faire preuve de cléricalisme. L’esprit, l’analyse des propositions gouvernementales, a toujours rejoint la matière, la réactivité de la Libre Pensée. A chaque fois la Libre Pensée a parlé. A chaque pas la Libre Pensée a agi.
Ce livre collectif montre toutes les étapes de ce combat nécessaire et indispensable car la loi de 1905 est le socle fondamental qui institut et garantit la laïcité des institutions publiques dont la liberté de conscience est le corollaire.
– La Libre Pensée par Sébastien Faure. Les Editions Libertaires, en partenariat avec la FNLP, publient à nouveau cet article de l’Encyclopédie anarchiste augmenté de commentaires actuels. C’est un voyage dans le temps et dans l’espace. On y voit la force intellectuelle de Sébastien Faure (1848-1942). Un orateur déplaçant des milliers de personnes à chacune de ses conférences.
Défenseur immédiat du militaire Dreyfus, militant pour l’unité entre toutes les tribus libertaires, et fondateur de la Ruche, première des écoles libertaires. C’est un régal pour l’esprit. A lire sans retenue.
Rendez vous au mois prochain.