La Libre Pensée sur France Culture – Dimanche 14 mars 2021

Chères auditrices, chers auditeurs, Bonjour.

Au micro Christophe Bitaud, vice-Président de la Fédération Nationale de la Libre Pensée ; j’ai le plaisir de recevoir aujourd’hui Carine Delahaie, porte-parole de l’association « Femmes solidaires » pour un échange sur le thème « Féminisme et Libre Pensée ».

C.B : Carine Delahaie, pouvez-vous vous présenter et présenter l’organisation dont vous êtes porte-parole ?

C.D. : Bonjour. Je suis journaliste, porte-parole de l’association « Femmes solidaires » et rédactrice en chef de « Clara magazine » qui est un magazine papier édité tous les deux mois.
« Femmes solidaires » c’est une association féministe, un mouvement d’éducation populaire sur toute la France. Nous avons un réseau de 10 000 femmes réparties dans 190 associations de 190 villes de France.
C’est un mouvement d’éducation populaire qui est né juste après la guerre. Il est né du comité féminin de la Résistance, de cette idée qu’il fallait que les femmes, qui venaient d’avoir le droit de votre, se forment, s’éduquent et puissent participer aux grands débats de notre siècle. Encore aujourd’hui nous avons 190 points d’écoute pour des femmes qui ont besoin de nous, qui sont parfois victimes de violences. Mais notre vrai combat est que les femmes prennent en mains leur vie et participent à la vie publique et soient maîtresses de leur destin.

C.B. : Comment définiriez-vous le féminisme ?

C.D. Le féminisme, ça dépasse clairement la question des droits des femmes. Le féminisme c’est un mouvement de transformation sociale et sociétale. C’est un mouvement qui vise à inverser les rapports de domination entre les hommes et les femmes, plus généralement aujourd’hui à travailler sur la question du genre. C’est-à-dire tout ce qui est de l’ordre de l’imprégnation sociale et du clivage femme-homme. Mais nous, nous avons l’habitude de dire que le féminisme, pour nous, c’est l’abolition de toutes les formes de domination. On sait que ces rapports de domination sont inter-dépendants. Si nous sommes arrivés à un moment de notre histoire à avoir des empires coloniaux aussi importants, c’est d’abord parce que le fait premier de la domination c’est la domination patriarcale. Depuis des millénaires les hommes ont déclaré que parce qu’ils détenaient la force physique ils avaient le droit de disposer de leur femme et de leurs enfants.
Nous pensons que lorsque le féminisme sera enfin une réalité dans ce pays, on pourra aussi envisager l’arrêt des rapports de domination. C’est important car longtemps on a pensé le contraire. On a pensé qu’il fallait faire la révolution et qu’après on aurait le féminisme.
Nous, nous pensons que le féminisme est la première des batailles et permettra d’avoir gain de cause sur les autres grands combats humains.

C.B. : Il y a peut-être un rapport dialectique.
À l’heure où d’aucuns, pour des raisons pas toujours avouables d’ailleurs, se focalisent sur la seule religion musulmane, pour la Libre Pensée, ce sont toutes les religions du Livre qui sont intrinsèquement patriarcales et misogynes.

Au verset 34 de la quatrième sourate du Coran, il est écrit « Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs biens. Les femmes vertueuses sont obéissantes, et protègent en secret ce qu’Allah a protégé. Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d´elles dans leurs lits et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles, car Allah est certes, Haut et Grand ! »

La Bible n’est pas en reste, il n’est que de lire la « Lettre de Paul aux Éphésiens » : « Femmes, soyez soumises à vos maris, comme au Seigneur car le mari est le chef de la femme, comme Christ est le chef de l’Église, qui est son corps, et dont il est le Sauveur. Or, de même que l’Église est soumise à Christ, les femmes aussi doivent l’être à leurs maris en toutes choses. »

Quant au judaïsme, le Talmud ne brille pas toujours par son féminisme : « Dix mesures de bavardages furent données au monde, les femmes ont en pris neuf, le monde entier, une. » (Kiddoushine 49), « La femme a l’esprit léger » (Chabbat 33), « Il n’y a de savoir pour la femme que dans le métier [à tisser] » (Yoma 66).
Qu’en pensez-vous ?

C.D. : Je vais peut-être vous choquer mais je suis quelqu’un qui a pour principe de ne pas commenter les textes religieux et pourtant cela fait des années que je travaille sur les faits religieux. Je le ferai en ayant un rapport rationnel donc pour parler de ces textes, moi qui ai une formation littéraire, il faudrait savoir quand, comment et dans quel contexte historique ils ont été écrits. Je ne suis pas théologienne donc pour moi ces textes sont la mise en mots de ce que l’on vient de se dire : des rapports de domination depuis des siècles. Les religions ont mis des mots sur ces dominations.
Moi, ce qui m’intéresse, parce que l’on ne va pas les interdire et que je ne suis pas pour la censure, c’est comment on peut réguler les conséquences de ces textes ? On voit bien qu’au cœur de ces textes il y a le contrôle du corps des femmes.
C’est comme cela que je me suis intéressée à la question de la laïcité. Pour moi la laïcité est un bouclier, une façon de penser, un mode de pensée, un mode d’action qui permet de réguler le rapport du religieux à l’individu et notamment à la question des femmes.
Je ne m’intéresse pas tant aux textes religieux car je trouve toujours un plus fort que moi qui me dit « vous parlez de la Sourate 22 mais moi je connais la Sourate 23 » ou d’autres qui me disent « vous avez tel psaume mais moi selon les Evangiles selon Paul je peux vous dire que … » donc on peut rentrer dans des débats sans fin qui ne sont pas des rapports rationnels. Ce qui m’intéresse c’est de créer un cadre qui soit bon pour tous quelles que soient nos religions, nos croyances. C’est plutôt ça mon travail.

C.B. : Revenons plus spécifiquement à la question du féminisme et du droit des femmes. La situation mondiale semble très contrastée. L’avortement est officiellement légalisé en Argentine. Après plus de 30 ans d’un régime théocratique qui légalisait la lapidation, la flagellation et l’excision des femmes, le Soudan vient d’adopter une constitution laïque qui libère les femmes, mais dans le même temps, le Brésil durcit sa réglementation sur l’avortement en cas de viol, la Slovaquie restreint le droit à l’avortement, la Pologne a élu un président, Andrej Duda qui s’oppose à la convention européenne sur la violence domestique, la fécondation in vitro et « l’idéologie LGBT » qu’il estime « plus destructrice que le communisme »…
Alors ? Progrès ou/et reculs ? Quelle est votre analyse de cette situation mondiale au regard du droit des femmes ?

C.D. : Je crois qu’il faut voir ces avancées et ces reculs comme le résultat des sommes des rapports de force dans le monde. Il ne faut pas voir la question du droit des femmes comme une sorte de locomotive qui fonctionnerait à plein régime. Qui parfois accélère, parfois recule et qui parfois ralentit.
On s’aperçoit aujourd’hui qui si en Argentine on a eu cette avancée sur l’IVG c’est parce que les rapports de forces dans ce pays ont été favorables. Parce que les femmes ont obtenu des choses.
Quand on a eu l’IVG en 75 puis définitivement en 79, évidemment c’est médiatiquement le fait d’une femme, Simone Veil, mais c’est d’abord la somme d’un rapport de forces dans la rue. Les femmes ont arraché l’IVG parce que c’était une nécessité dans leur vie.
Je vois toutes ces avancés et tous ces reculs comme les marqueurs d’un rapport de force qui parfois nous est favorable et parfois non. Si l’on prend le cas de la Pologne, l’IVG a été obtenue en 56. Il a fallu quelques mois en 91 pour remettre en cause l’IVG dans ce pays qui avait plusieurs décennies de contraception et d’IVG. On voit bien, après une histoire très complexe en Europe, après la chute du Mur de Berlin, il a fallu quelques mois pour que ce rapport de forces s’inverse !
Ce que je voudrai dire aussi, et c’est ce que nous défendons à « Femmes Solidaires », c’est l’universalité des droits des femmes. Ce qui est bon pour nous en France, est bon pour des femmes en Pologne, pour des femmes en Argentine et je veux sortir la question du droit des femmes du relativisme culturel. Il est hors de question de considérer que certaines cultures seraient plus propices aux droits des femmes ou à la contraception ou à la laïcité, et que dans d’autres pays, parce que peut-être ils n’en sont pas là de leur histoire, les femmes pourraient accepter des choses terribles pour leur vie.
Je crois que c’est cela que l’on doit en tirer. Il y a des rapports de force, il y a l’universalité des droits, il faut se battre pour, et enfin il faut partout dans le monde sortir le féminisme et les droits des femmes de la question des religions au sens politique du terme.
Dès que les religieux prennent le pouvoir, on le voit en Pologne, en Iran, on voit que le contrôle du corps des femmes revient comme un fait d’actualité.
Moi j’aime ce slogan « ni curé, ni imam, ni rabbin, mon corps m’appartient ».

C.B. : Vous évoquez la question du contrôle du corps des femmes. Je sais que nous avons quelques convergences mais aussi quelques divergences sur certains points.
La Libre Pensée s’est intéressée au débat sur la bioéthique.
Voici, en substance, nos positions : La FNLP demande, d’une part, l’application aux couples de femmes qui recourront à la PMA avec tiers donneur des règles de détermination de la filiation prévues actuellement pour les couples hétérosexuels faisant appel à cette technique (consentement préalable à la PMA ; filiation maternelle pour la femme qui accouche ; présomption de paternité pour l’homme d’un couple marié ; reconnaissance de l’enfant avant ou après naissance pour l’homme d’un couple non marié), d’autre part, la suppression de toute mention des conditions de leur venue au monde dans les actes de naissance des enfants issus d’une PMA conduite par deux femmes.

– La FNLP continue d’exiger la légalisation de la GPA altruiste, c’est-à-dire menée sans but lucratif, de manière à répondre au désir d’enfant des femmes dépourvues d’utérus et des couples homosexuels masculins. Au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant garanti par la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, elle demande également la transcription automatique des actes de naissance des enfants nés d’une GPA légalement menée à l’étranger à l’état-civil français.

Quelles sont vos points de vue et propositions sur la question ?

C.D. : En termes de procréation médicalement assistée on est sur la même position.
Nous sommes en retard dans ce pays. Les femmes n’ont pas attendu cette transformation de la loi de bioéthique pour avoir des enfants issus de PMA. Donc je crois qu’aujourd’hui la société est prête, ces enfants sont en France et malheureusement pour eux ils n’ont pas la sécurité affective et psychologique que pourrait leur apporter cette loi. Je m’explique.
Ces enfants, aujourd’hui, ont des mentions d’adoption sur leur fiche d’état civil. Le mariage pour tous a permis que les conjointes puissent adopter ces enfants mais vous avez aujourd’hui des enfants qui ont ces mentions d’adoption alors qu’ils étaient nés avant que ces femmes soient en couple.
La deuxième chose c’est que ces enfants connaissent les conditions dans lesquelles ils sont venus au monde. C’est une différence avec ceux nés de couples hétérosexuels car généralement dans ces couples quand il y a une PMA, l’enfant n’est pas toujours au courant et le découvre très souvent à l’adolescence.
Il est temps que la loi se mette en concordance avec la société dans laquelle on vit.
Il faut surtout que ces enfants soient mis en sécurité : il est impossible que la question de la reconnaissance de la conjointe soit mise entre les mains d’un juge. Ces personnes subissent des enquêtes sociales alors qu’elles élèvent ces enfants depuis leur naissance.
Pour la PMA nous sommes absolument d’accord avec vous, il faut que l’on accélère !

Pour la GPA on a quelques divergences. Bien sûr la GPA altruiste nous n’avons pas de problème moral avec ça. Au fond si une femme a envie d’aider sa sœur, sa belle-sœur à avoir un enfant je n’ai rien à en dire. Seulement on sait qu’en réalité en Inde et ailleurs ces femmes sont des femmes pauvres. Il n’y a pas de femmes riches (ou très peu) qui portent des enfants pour d’autres femmes riches. Cela nous pose la question de ce que certains appellent la « rémunération » et qui dans la GPA altruiste s’appelle la « compensation financière », qui est surtout réclamée par des femmes en rupture d’emploi, en difficulté financière. Nous ne croyons pas à la GPA altruiste.
Par contre, là où l’on se rejoint je pense, c’est que nous sommes toujours du côté de l’intérêt de l’enfant. Il est donc impossible d’accepter que pour des enfants nés de PMA il y ait une insécurité quant à leur filiation et la possibilité de vivre avec leurs deux parents et que nous l’acceptions pour des enfants nés de GPA.
Il est impossible, dans notre pays, que l’on laisse des enfants avec un des deux parents qui ne peut pas faire valoir ses droits.

La GPA altruiste, nous ne l’avons pas rencontrée, donc nous ne pouvons pas dire que nous sommes pour. Mais l’intérêt de l’enfant est quelque chose qui nous intéresse en premier lieu.

C.B. : J’entends bien vos arguments.
Maintenant venons-en un petit peu sur la question du travail, la question économique.
Une récente étude du ministère du travail (qu’on ne peut pas soupçonner de gauchisme forcené) stipule : « Plus de 46 ans après l’inscription du principe « à travail de valeur égale, salaire égal », il demeure 9% d’écart de salaire injustifié entre les femmes et les hommes. ». Une récente tribune publiée dans Le Monde, cosignée par Sabine Salmon, présidente de « Femmes solidaires », s’intitule « La réforme des retraites pénalisera encore plus les femmes. » Pouvez-vous développer un petit peu sur cette question d’inégalités salariales, d’inégalités économiques et sociales ?

C.D. : La première chose c’est que 9% c’est une moyenne ! Il y a beaucoup de domaines dans lesquels on est plus près des 17 ou 19% que des 9 %.
C’est très simple : les retraites sont adossées à votre période d’activité. Si les femmes gagnent moins que les hommes, et l’on sait que c’est vrai, elles ont une retraite inférieure.
La première chose c’est qu’il faut mener une bataille pour que cette loi Roudy qui a quelques décennies derrière elle soit normalement appliquée. On voit ces écarts de salaires y compris dans la fonction publique, dans le corps enseignant, dans des endroits où repérer une carrière pour un homme et une femme est facile. Vous prenez deux enseignants qui entrent et sortent de l’Education Nationale en même temps : il y a un décrochage entre les deux !
C’est dû aussi au fait que ce sont plus souvent les femmes qui s’arrêtent pour les enfants, les accidents de la vie. On ne veut pas dire que les hommes sont des affreux machos mais quand ils gagnent 17% de plus la décision est vite prise.

Augmentons les salaires des femmes et l’on augmentera leurs retraites.

C.B. : Carine, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

C.D. : J’ai envie de dire je suis féministe, soyez-le ! Et merci de m’avoir invitée car à l’heure où l’on parle de la libération de la parole des femmes c’est bien aussi de leur donner la parole ! Merci de nous avoir invitées.

C.B. : Notre émission arrive à son terme, il ne me reste plus qu’à remercier Peire Legras à la réalisation, Nicolas Deapasgraf à la technique et Claire Poinsignon à la production.
Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un entretien avec Maître Arié Alimi, avocat et membre du bureau national de la LDH autour de son livre « Le coup d’état d’urgence ».

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