Un désaveu cinglant du projet de loi « Séparatisme »
À la suite du vote en première lecture par l’Assemblée nationale du projet de loi renforçant le respect des principes de la République et à la veille de son examen par le Sénat à partir du 30 mars 2021, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a rendu, le 25 mars dernier, un second avis sur le texte en cours de discussion particulièrement sévère pour le Gouvernement. Si la CNCDH prend bien soin de recommander le maintien des différents régimes des cultes propres à la nouvelle collectivité européenne d’Alsace et au département de la Moselle (ce que nous condamnons comme atteinte aux lois laïques), d’une part, à l’Outre-mer, d’autre part1, en revanche, dès le préambule de son avis elle affirme l’essentiel de ses réserves : « Les dispositions du projet de loi posent problème en particulier à deux titres : elles ont vocation à être appliquées largement, alors qu’elles visent des situations très spécifiques et certaines d’entre elles portent atteinte aux droits et libertés fondamentales. » Elle souligne les trois abandons qu’elle appelle de ses vœux : celui du « du contrat d’engagement républicain » ; celui de « […] la mise en place d’un dispositif de double déclaration pour les associations et les unions cultuelles » ; celui de l’extension de « […] l’obligation de neutralité [à des] personnes [autres que celles] en relation directe avec les usagers du service public. »
Comme la Fédération nationale de la Libre Pensée (FNLP) l’a précisé depuis l’origine, la CNCDH met en évidence que le projet de loi renforçant le respect des principes de la République porte atteinte à quatre grandes libertés fondamentales, celles de l’enseignement, d’association, de conscience et d’expression.
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Sur la liberté de l’enseignement
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 28 mars 1882 sur l’obligation scolaire, dont les dispositions sont aujourd’hui reprises sur ce point notamment au premier alinéa de l’article L. 131-2 du Code de l’éducation, « L’instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l’un d’entre eux, ou toute personne de leur choix. » L’article 21 du projet de loi tend à substituer au régime déclaratif actuel exigé des parents, assorti de mesures de contrôle, un système d’autorisation préalable par l’administration. Cette modification « […] constituerait une restriction importante de la liberté d’enseignement » comme le note à juste titre la CNCDH, voire une atteinte inacceptable à ce droit fondamental. De façon judicieuse, la Commission préconise de « […] doter l’Education nationale des moyens nécessaires pour un accroissement de ces contrôles »
Dans sa recommandation n° 4, la CNCDH préconise « […] d’en rester au régime déclaratif s’agissant du choix fait par les parents de l’instruction en famille. »
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Sur la liberté d’association
La loi du 1er juillet 1901 sur le contrat d’association reconnaît le droit aux citoyens de constituer librement des groupements, déclarés ou non. La déclaration de création de l’association, le dépôt de ses statuts et la désignation de ses dirigeants auprès de l’administration ont pour effet de conférer la personnalité juridique au groupement qui peut ainsi conclure des contrats avec des tiers et saisir, le cas échéant, le juge. Seules trois stipulations doivent figurer obligatoirement dans les statuts d’une association déclarée : son objet, sa dénomination exacte et son siège. Sauf essentiellement pour les groupements armés, ceux de hooligans et ceux provoquant à la haine, à la violence et à la discrimination, la dissolution d’un contrat d’association appartient au seul juge.
Enfin, trois catégories particulières d’associations méritent d’être signalées : les associations cultuelles sur lesquelles nous reviendrons plus loin, les associations reconnues d’utilité publique qui bénéficient d’avantages fiscaux spécifiques (notamment la défiscalisation des dons et legs reçus) et les associations agréées qui peuvent se porter partie civile dans des instances contentieuses (par exemple les associations agissant dans le domaine de la défense de l’environnement).
Le projet de loi renforçant le respect des principes de la République met gravement en cause la liberté d’association sous deux angles : d’une part, il tend, par son article 6, à contraindre les associations à accepter préalablement un « contrat d’engagement républicain » (CER) avant de percevoir une subvention consentie par une collectivité publique et à rembourser cette contribution en cas de non-respect du CER ; d’autre part, il vise, par son article 8, à élargir les possibilités de dissolution administrative des associations, actuellement limitées comme il vient d’être dit.
Sur le premier point, la CNCDH rappelle qu’elle a recommandé, dès son premier avis, « […] l’abandon de cette disposition […] » et que le Conseil d’État a préconisé de retirer la référence aux « valeurs de la République » du contenu du CER, au motif que celles-ci ont « un contenu et une portée qui paraissent trop incertains pour qu’il soit exigé des associations qu’elles les respectent ». À cet égard, la CNCDH considère que les « exigences minimales de la vie en société » substituées auxdites valeurs dans le texte déposé au Sénat « […] encourent le même reproche […] », voire un risque sérieux d’inconstitutionnalité. Enfin, elle estime que ce dernier risque est accru en raison du dessaisissement du législateur au profit du pouvoir réglementaire auquel reviendrait le soin de fixer la liste des principes du CER au pouvoir réglementaire.
Sur le second point, l’extension des possibilités offertes à l’administration de dissoudre une association comporte deux volets : la double modification de l’article 212-1 du Code de la sécurité intérieure (CSI) ; l’introduction des nouveaux articles L. 212-1-1 et L. 212-1-2 dans ce code.
Actuellement, conformément à ce texte, le Gouvernement peut dissoudre les associations pour sept motifs. À l’avenir, au premier de ces motifs – la provocation à des « manifestations armées de rue » – s’ajouterait, première modification, le vaste domaine « des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». La CNCDH relève le caractère excessif de cet élargissement : « Si l’on comprend le souhait du législateur de prendre en compte les « agissements violents contre les personnes » retenir, sans autres limitations, les agissements contre les biens étend considérablement les pouvoirs de dissolution reconnus aux pouvoirs publics. ».
Actuellement, sur le fondement du sixième motifs énumérés à l’article L. 212-1 du CSI, le Gouvernement peut aussi dissoudre les groupements qui « […] provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes [ou] propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; » Dans le futur, il s’agirait, deuxième modification, non seulement de provoquer la commission de tels actes mais aussi de contribuer à celle-ci, une notion plus floue et plus large. La CNCDH conclut à cet égard que « La « contribution » est une notion beaucoup plus extensive que la provocation. »
L’article 8 du projet de loi tend à introduire un article L. 212-1-1 dans le CSI, ainsi rédigé : « Pour l’application de l’article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l’association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu’informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient. »
Sur ce point, la CNCDH réitère les termes de son premier avis : « Dans son premier avis, la Commission a recommandé de rejeter cet alinéa qui facilite l’imputation à l’association des actes répréhensibles dans des conditions qui s’apparentent à un renversement de la charge de la preuve. » Il vise également à insérer un article L. 212-1-2 nouveau dans le CSI ainsi libellé : « En cas d’urgence, la suspension de tout ou partie des activités des associations ou groupements de fait qui font l’objet d’une procédure de dissolution sur le fondement de l’article L. 212-1 peut être prononcée, à titre conservatoire et pour une durée maximale de trois mois, renouvelable une fois, par le ministre de l’intérieur. » Là encore, la CNCDH est impitoyable : « Cette disposition parait injustifiée dès lors que les pouvoirs publics disposent déjà et à juste titre de moyens légaux rapides et étendus pour empêcher ou mettre un terme à des agissements violents. »
La CNCDH réitère ses recommandations n° 1 et 2 : « […] l’abandon du contrat d’engagement républicain » et « […] ne pas retenir l’article L. 212-1-1 du nouveau du Code de la sécurité intérieure tel qu’il figure dans le projet de loi. »
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Sur la liberté de conscience
En préambule, la CNCDH rappelle le caractère fondamental de la liberté de culte, qui constitue une des expressions de la liberté de conscience, plus large et plus absolue. Elle considère aussi que le cadre juridique fixé par la loi du 9 décembre 1905 concernant la Séparation des Églises et de l’État n’est plus contesté. Elle en conclut tout à fait nettement qu’il serait sage de ne rien faire : « La liberté du culte est une liberté fondamentale. La loi du 9 décembre 1905, qui fonde le régime des cultes, n’est plus contestée depuis des décennies. Parce qu’il en modifie de multiples dispositions, le projet de loi prend le risque de rouvrir un débat qu’on croyait clos » alors que « […] les circonstances actuelles […] ne nécessitent pas la modification du cadre défini par la loi de 1905. » Elle réitère donc les recommandations qu’elle a énoncées dans son premier avis.
En premier lieu, la CNCDH condamne le système, à caractère néo-concordataire, de double déclaration qu’entend imposer le Gouvernement aux associations cultuelles. Actuellement, celles-ci sont soumises aux seules obligations déclaratives imposées par les articles 5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901 applicables aux associations de droit commun. Or, l’article 27 du projet de loi contraindrait, en l’état actuel de sa rédaction, les cultuelles à déposer auprès du préfet, outre la déclaration ordinaire, une déclaration spéciale assortie de différentes informations.
L’administration aurait deux mois pour s’opposer à la qualification d’association cultuelle qui ouvre droit à des avantages particuliers, notamment fiscaux. Cet examen du caractère cultuel ou non d’une association relevant de la loi du 9 décembre 1905 concernant la Séparation des Églises et de l’État reviendrait tous les cinq ans.
En deuxième lieu, la CNCDH conteste la modification de la loi du 2 janvier 1907 par l’article 30 du projet de loi qui prévoit d’assujettir les associations de droit commun ayant un objet partiellement cultuel aux principales obligations pesant spécifiquement sur les cultuelles. Elle note en particulier que les organismes de gestion de l’enseignement catholique (OGEC), voire certains groupements de scouts, en tant qu’ils s’impliquent parfois dans l’exercice public du culte, pourraient tomber dans le champ d’application de ces dispositions. Elle en déduit que « Faute d’une rédaction plus précise, les alinéas 13 et 14 de l’article 30 emportent des conséquences sans rapport avec l’objectif recherché. » Par ailleurs, elle rappelle sans le critiquer que l’article 30 prévoit également de donner au Préfet le pouvoir d’apprécier le caractère cultuel ou non de l’objet d’une association de droit commun agissant dans le cadre de la loi du 2 janvier 1907.
Enfin, il importe de souligner que la CNCDH n’aborde pas au fond dans ce second avis l’aggravation considérable du régime des peines encourues par les auteurs d’atteinte aux dispositions relatives à la police des cultes, dispositions que la FNLP a fortement critiquées.
La CNCDH préconise, dans sa recommandation n° 6, « l’abandon de l’obligation de déclaration quinquennale imposée aux associations cultuelles pour bénéficier des avantages propres à ce cadre législatif. »
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Les observations ci-dessus n’épuisent pas, loin s’en faut, les remarques formulées par la CNCDH dans son avis du 25 mars 2021, notamment celles ayant trait aux informations à inscrire dans le fichier judiciaire national des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT), à la lutte contre la polygamie – déjà interdite formellement par la loi du 24 août 1993 -, à l’interdiction de délivrer de certificats de virginité, que la Commission qualifie de « contre-productive » au regard des risques de violences encourus par les femmes concernées, ou encore aux mesures dirigées contre les étrangers.
À cet égard, il importe de préciser que si la CNCDH « souscrit pleinement à la nécessité de lutter contre la haine en ligne », pour autant, « elle exprime des réserves sur les dispositions [de l’article 18] du projet de loi. » Elle conclut que l’article 18 du projet de loi est inacceptable sur ce point :
« En raison de la définition de ses composantes et des risques que présenterait une interprétation large, l’infraction prévue par le projet de loi est contraire tant au principe de la légalité des délits et des peines qu’au respect de la liberté d’expression et du droit à l’information et devrait par conséquent être supprimée. »
Plus généralement, la CNCDH conclut son second avis par une appréciation particulièrement sévère pour le Gouvernement : « Mais quelles représentations le projet de loi promeut-il en prévoyant que les associations devront signer un contrat d’engagement républicain, que les familles auront à demander une autorisation pour éduquer leurs enfants en leur sein, que la transparence des associations cultuelles est à renforcer … ? À quelle image de la République les mesures envisagées renvoient-elles ? »
« Pour la CNCDH, le projet de loi en l’état ne répond pas à l’ambition que porte son titre : « conforter le respect des principes de la République » ».
Paris, le 30 mars 2021
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Voir recommandations n° 8 et 9.
voir recommandations 8 et 9 ↩