La Raison n°662 – JUIN 2021

L’éditorial :

La culture dans La Raison

L’actualité préoccupante s’aggrave sous l’état d’urgence. Les lois restreignant les libertés publiques sont votées les unes après les autres. La loi « séparatisme » s’est vue adjoindre le terrible « amendement UNEF » qui prétend injecter le regard de l’État dans l’organisation interne des syndicats et associations. Une ministre annonce la liquidation de l’Observatoire de la Laïcité, indocile du point de vue du pouvoir. Tout cela est très grave et dûment commenté dans nos colonnes. Cependant, j’insisterai cette fois sur le contenu culturel et historique de notre revue, remarquable dans le présent numéro.

Christian Eyschen revient sur la guerre d’Espagne, révolution vaincue et prélude à la guerre mondiale. Notre dossier souligne l’originalité de la révolution espagnole, avec le considérable développement de l’anarcho-syndicalisme et la puissance du fond anticlérical dans la classe ouvrière de ce pays. Ainsi des organisations comme la FAI et la CNT ont joué un rôle essentiel dans la révolution et la guerre civile. Mais la guerre d’Espagne, c’est aussi la révélation au grand jour de la monstruosité du stalinisme exerçant une répression violente contre les militants du POUM et les anarchistes. C’était une guerre civile au sein de la guerre civile, magistralement illustrée par le beau film de Ken Loach « Land and freedom ». La révolution espagnole, c’est aussi l’exercice réel de la « dictature du prolétariat » indépendamment de la coloration idéologique de ses dirigeants. Derrière ce mot, souvent utilisé comme épouvantail contre la révolution socialiste, c’est sa simple définition par Karl Marx qui se réalisait : la dictature de la majorité des exploités contre la minorité de leurs exploiteurs. Occupation des terres, contrôle des banques, occupation des usines. Triste est de constater que dirigeants marxistes et anarchistes en vinrent à renier tous leurs principes théoriques, finissant par freiner la collectivisation, par participer au gouvernement bourgeois de Catalogne (le POUM), et par accepter la mise en cause de l’indépendance des milices (CNT), les uns et les autres acceptant par ailleurs le chantage aux armes de Staline et des staliniens.

On peut analyser les causes de leur défaite, les blâmer a posteriori de leurs erreurs et cependant révérer les militants de cette génération comme des géants. Marxistes, socialistes, anarchistes et républicains peuvent en tirer des leçons communes. Réellement, ce dossier est passionnant et, pour les libres penseurs de diverses sensibilités n’est pas qu’historique. La révolution espagnole est si proche, en fait ! Ajoutons à cela que la note de lecture sur « Le petit livre noir » devrait inciter nos militants et sympathisants à lire ce livre.

Culture, après l’histoire : Deux articles sur Anatole France, libre penseur jugé démodé mais bien agréable à lire en dépit des injures très sectaires répandues contre lui par les surréalistes (ne nous trompons pas, je suis très admiratif du surréalisme mais ne partage pas leur sectarisme parfois outrancier). L’article de Dominique Goussot lui rend hommage sans rien cacher de ses zones d’ombre. Si vous ne l’avez encore fait, vous trouverez plaisir à lire ou relire « La rôtisserie de la reine Pédauque » ou « l’île des pingouins », et vous pourrez vous abstenir de « Les dieux ont soif » pamphlet fortement antirépublicain de ses jeunes années. L’article de Dominique Goussot vous donnera un avant-goût de son livre, et la recension qu’en a fait Christian Eyschen vous donnera envie de le lire. Anatole France Dreyfusard, ce fut indubitablement un tournant dans sa vie et son œuvre.

Culture et philosophie : Benoît Schneckenburger nous entretient de Thomas Hobbes, un géant précurseur des lumières. Rousseau le critique mais s’en inspire. Thomas Paine le contredit mais lui doit beaucoup. Hobbes a bâti un système qui sécularise l’État à une époque où l’État est de droit divin. Autre incitation à la lecture et à la réflexion.

Autre recension, sur le dernier ouvrage de Georges Minois consacré à Héloïse et Abélard. Au-delà de leur tragique histoire, la théologie de Pierre Abélard est un jalon important dans le retour du rationalisme dans la pensée du moyen-âge. Son enseignement empreint de réalisme dans la fameuse « querelle des universaux » annonce les grands franciscains hérétiques que furent Roger Bacon, Guillaume d’Occam et le laïc Raymond Lull. C’est la raison pour laquelle Abélard est cité plusieurs fois dans « Le nom de la rose » d’Humberto Ecco.

Sans oublier l’anniversaire de la mort de Georges Feydeau !

Bonne lecture.

Jean-Sébastien Pierre
Président de la FNLP

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