À propos de l’« appel pour un retour de l’honneur et du devoir au sein de la classe politique » publié le 14 avril sur le site « Place d’Armes » et repris dans Valeurs actuelles le 21 avril 2021
Il aura fallu plus de deux semaines à la ministre des Armées Florence Parly pour menacer de sanctions les militaires à la retraite ou d’active, signataires du texte de vingt anciens généraux. Adressé au Président de la République, au gouvernement et aux parlementaires, il stigmatise « le délitement qui frappe notre patrie » face notamment à « l’islamisme et aux hordes de banlieue ». Comme un écho au rapport Obin qui voit le « grand remplacement musulman » à l’œuvre dans toute la société…
Maréchal, nous voilà ! Montjoie Saint-Denis !
Se plaçant sous la curieuse bénédiction posthume du cardinal belge Désiré-Joseph Mercier (1851-1926), les conjurés annoncent une possible « intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national », si aucun politique n’agit pour sauver la patrie des islamistes qui prospèrent sur notre sol.
Ils concluent en agitant cette vision apocalyptique : « On le voit, il n’est plus temps de tergiverser, sinon, demain la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant, et les morts, dont vous porterez la responsabilité, se compteront par milliers. » C’est une offre de service à la Réaction : l’armée est toujours une ressource possible pour que « l’ordre règne ».
En ce 150e anniversaire de la Commune de Paris, cela fait plus référence à Gaston Alexandre Auguste de Galliffet et à Adolphe Thiers, qu’aux 4 généraux factieux d’Alger (même si la provocation a consisté à faire cet appel à la date anniversaire de leur pronunciamiento). Rappelons-nous quand même de la célèbre réplique du Général de Gaulle du 22 avril 1961 « « Ce qui est grave dans cette affaire, Messieurs, c’est qu’elle n’est pas sérieuse. »
Alors que le gouvernement engage un processus de mise en œuvre d’un État policier, sans commune mesure avec ce que l’on a pu connaître dans le passé, pour certains (comme pour la loi « Séparatisme »), il faut aller encore plus loin et frapper encore plus fort.
C’est là l’essentiel de cet appel dont le style matamore et le fond indigent ont bien du mal à dissimuler les véritables auteurs et par conséquent l’objet réel de l’opération. Il s’agit d‘une pierre de plus dans la campagne xénophobe antimusulmane menée par la Réaction, de Robert Ménard à Manuels Valls, en passant par Marine Le Pen et Emmanuel Macron.
À bas la Calotte et vive la Sociale !
Pourtant, l’hésitation eût été possible, car le spectre des auteurs et autrices potentiels est large, dans la période actuelle. Mais dès le 23 avril, le loup est sorti très vite du bois clamant son indéfectible soutien aux séditieux galonnés, se présentant comme la nouvelle Jeanne d’Arc qui boutera tous les anti-Français hors de l’Hexagone pour établir un ordre nouveau sur nos vénérables terres chrétiennes. La messe était dite.
Marine Le Pen, annoncée à cor et à cri dans tous les médias comme étant la seule rivale sérieuse du Président en exercice lors des élections de 2022, a avancé ses pions : un coup d’État n’en est pas un sans les militaires, or l’on sait depuis au moins 1964 et la parution d’un essai mémorable, que nous vivons dans le pays du « coup d’État permanent », par le fait d’une Constitution qui exacerbe le pouvoir exécutif et réduit le rôle du pouvoir législatif à celui de simple chambre d’enregistrement.
Les lois liberticides (Sécurité globale, Séparatisme et Décrets sur le fichage) accentuent le poids antidémocratique et policier de l’Exécutif tout-puissant et elles armeront le bras du Bonaparte élu lors du prochain scrutin. Voilà pourquoi tout progrès vers la République authentiquement sociale implique l’abrogation de ces lois et des institutions antidémocratiques de la Ve République.
Celles et ceux qui soufflent sur les braises de la guerre civile, de la xénophobie, nourrissent les visées totalitaires de forces politiques réactionnaires actives. Alors comment peut-on s’étonner que des militaires fassent de la politique ? Ils en ont toujours fait, dans les pas de César assassinant la République tout en assurant vouloir la sauver, jusqu’à Pinochet au Chili assassinant Salvador Allende et aux généraux birmans aujourd’hui, qui emprisonnent Aung San Suu Kyi et massacrent les manifestants opposés au coup d’État.
Les Piquemal et Fabre-Bernadac d’aujourd’hui sont les héritiers des antidreyfusards, de Pétain, de Barrès et de Maurras. De Foch, de Nivelle et de tous leurs collègues étoilés, ces fusilleurs « pour l’exemple » dans le but de terroriser la « chair à canon ». De Salan, Massu et consorts. L’Armée, au même titre que l’Église, est restée le terrain de prédilection des réactionnaires de tout poil, adeptes de l’alliance du Sabre et du Goupillon, comme c’était le cas sous l’Ancien-Régime.
La Libre Pensée n’est pas dupe du petit jeu politique qui se mène actuellement : en dressant l’épouvantail de Marine Le Pen, avec le spectre de l’extrême-droite, et assorti du fantasme de l’armée putschiste ; on favorise de fait Emmanuel Macron, comme « sauveur suprême » en 2022). C’est le “vice au bras du crime“, comme dans un célèbre dîner après Waterloo, premier dîner de cons, s’il en fut. « Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt ».
Que l’on ne compte pas sur la Libre Pensée pour courir après des leurres politiques et dresser des épouvantails à électeurs. Tout ce qui renforce Marine Le Pen renforce de fait Emmanuel Macron pour voler aux citoyennes et citoyens un véritable choix en 2022.
Si le gouvernement veut vraiment marquer l’armée d’une volonté démocratique, que ne réhabilite-t-il pas les 639 Fusillés pour l’Exemple de 1914-1918, afin de montrer –symboliquement certes– que ce n’est pas l’armée qui impose ses décisions et que celle-ci est subordonnée au « politique » ?
La « Grande Muette », cet État dans l’État, parle et insiste dans les couloirs feutrés de l’Élysée et des ministères. Elle est à l’origine de ce refus honteux. Réhabiliter les Fusillés pour l’exemple, rendre leur honneur à ces hommes tués par la France et à leurs familles, voilà qui serait pourtant à la fois un geste élémentaire de justice et une marque d’indépendance politique de la part de ceux qui sont censés représenter la République.
Le 1er mai 2021