Congrès Voiron 2021. RESOLUTION LAÏCITE  : Un bel anniversaire pour la laïcité : elle a 150 ans

Pour nous suivre

En avril 1871, la Commune de Paris prenait un décret qui entendait (au-delà de la nécessaire Séparation des Églises et de l’État) pour la première fois mettre en œuvre la laïcité en France, tant sur le plan institutionnel que scolaire, après que la Révolution de 1789 a accordé le principe de liberté d’opinion, même en matière religieuse.

Ce décret disposait notamment :
« La Commune de Paris, Considérant que le premier des principes de la République française est la liberté ;
Considérant que la liberté de conscience est la première des libertés ;
Considérant que le budget des cultes est contraire à ce principe, puisqu’il impose les citoyens contre leur propre foi ;
Considérant en fait, que le clergé a été le complice des crimes de la monarchie contre la liberté.
Décrète :
Article 1″ : L’Église est séparée de I ’État.
Article 2 : Le budget des cultes est supprimé. »

Ajoutons que la Commune n’entendait pas s’arrêter là et a tenté de mettre en œuvre une laïcité scolaire avec un personnel laïque, en assurant la gratuité de la scolarité pour garçons et filles et l’égalité salariale des instituteurs et institutrices. Des mairies d’arrondissements proposaient des fournitures gratuites. La semaine sanglante a mis brusquement fin à l’expérience dont la portée est restée immense, saluée par la Première Internationale, toute tendance confondue.

Nous aurions aimé que 150 ans après la République puisse rendre l’hommage dû aux communards pour leur œuvre laïque. L’esprit de 1871 souffle encore sur la loi de 1905 qui vient parachever l’élan pris en 1789, quand la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen avait accordé la liberté d’opinion même en matière religieuse. Las, l’actualité de la laïcité donne plutôt lieu à des polémiques, des travestissements et des confusions, entretenus au plus haut sommet de l’État.

Ces confusions, nous le savons, ne viennent pas d’une méconnaissance de la laïcité, mais traduisent une instrumentalisation politicienne qui vise à se réclamer de la laïcité pour mieux nourrir un sentiment antimusulman dans la société. La laïcité pourtant, ne reconnaît aucun culte en particulier, et ne saurait donc déterminer quelle confession serait plus ou moins tolérée car plus ou moins tolérante.

Que dire alors de l’hypocrisie qui fait qu’en temps de pandémie, les cultes ont été plus choyés que les musées et centres culturels ? Cette année a au contraire été caractérisée par des attaques successives contre la laïcité : tentative de mainmise par le ministre de l’Intérieur, et la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté en décidant de supprimer l’Observatoire de la laïcité ; loi « sur le séparatisme » qui stigmatise les musulmans et entend renforcer le contrôle des associations ; « états généraux » de la laïcité qui n’ont de généraux que le nom, car décidés sans concertation avec les associations et mouvements laïques. Triste année pour la laïcité.

La loi de 1905 dans toute son étendue, pour tous les cultes

Dans ce contexte un rappel constant, et serein, aux principes de la loi de 1905 est plus que jamais nécessaire. La loi de 1905 est une loi de Séparation des Églises et de l’État, et par conséquent les diverses autorités ne sauraient exciper de la laïcité pour se prononcer sur les phénomènes sociétaux, fussent-ils religieux, tant que la loi commune n’est pas en cause, et quand c’est le cas, la loi ordinaire doit s’appliquer comme pour tout fait délictueux.

Or, des glissements progressifs ont lieu, voulant interdire certaines manifestations de la croyance religieuse au nom de la laïcité : récemment certains ont avancé qu’au nom de la laïcité une candidate voilée ne pouvait se présenter. La liberté de croyance s’applique à tous, et relève de la liberté d’organisation des partis politiques comme des associations. On ne s’étonne pas que des voix s’élèvent quand il s’agit de pratiques émanant des musulmans, mais se taisent lorsque des partis continuent à se réclamer de la chrétienté, ou que certains ne voient pas malice à ce que l’Europe se rengorge en arguant de ses prétendues racines chrétiennes. Liberté de conscience d’abord, pour tous.

Maniant la laïcité à géométrie variable, le gouvernement a prétendu vouloir lutter contre l’influence extérieure à propos de la construction d’une mosquée en terre concordataire, alors que plus que jamais le mot d’ordre doit être l’abrogation des dispositions concordataires. La laïcité doit s’appliquer sur tout le territoire de la République. Les lois de laïcisation de l’enseignement public ont précédé celle de 1905, mais elles continuent d’être bafouées, et les collectivités territoriales doivent subventionner encore plus les établissements privés du fait des dispositions Blanquer étendant l’obligation de scolarité : « loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance abaissant de six à trois ans l’âge de l’obligation scolaire ».

La laïcité de l’État est un principe politique et pas une valeur morale

La laïcité demeure un principe d’organisation institutionnel et non une valeur morale. Celui-ci est d’émanation profondément démocratique en ceci qu’il affirme que la loi doit procéder de la volonté générale, s’appliquer à tous en égalité, sans distinctions fondées sur de prétendues origines ou orientations spirituelles. Pour que l’espace commun existe, il doit être en effet séparé des particularismes, et la loi énonce les bornes de la liberté. Séparer n’est pas nier, ni réduire à néant.

Prétendre à la « laïcité de la société » est ambigu : si l’on désigne le fait de la « sécularisation des institutions », alors toute la société est concernée ; si l’on voulait que la société civile soit soumise à une interdiction des croyances, alors la laïcité serait bafouée. L’article premier de la loi de 1905 le proclame bien haut : la laïcité commence par la liberté de conscience et le libre exercice des cultes. Pour assurer la liberté de conscience, alors l’organe d’élaboration de la loi comme celui de son exécution doit être séparés des cultes ; mais les individus constituant le corps social eux conservent la liberté à titre privé de croire ce qu’ils veulent, et de pratiquer les rites – dans la limite du respect de l’ordre public– qu’ils souhaitent. La neutralité de l’État ne s’applique pas aux particuliers qui peuvent vivre leur citoyenneté et leurs croyances comme ils l’entendent.

Rappelons-le avec force : il y a une loi de Séparation des Églises et de l’État, il n’y a pas de loi de Séparation du « religieux et/ou du métaphysique » et des sociétés.

On confond parfois plusieurs mouvements profonds : la laïcité, la tolérance, la sécularisation de la société. Ces dynamiques sont multiples : là où la tolérance a pu précéder la laïcité, elle ne la contenait pas nécessairement en germe, et rappelons les paroles fortes des Révolutionnaires français dénonçant la tolérance comme domination d’une religion sur les autres, ou que des apôtres de la tolérance comme Locke refusaient de l’accorder aux athées. Institutionnellement les réalités sont variables.

Aux États-Unis, la laïcisation des institutions s’accroît, mais la société présente encore une forte attache aux pratiques religieuses. Les Pays-Bas possèdent des institutions monarcho-cléricales, mais on assiste à une profonde sécularisation de la société. Seule la France se trouve à des phases très avancées de la laïcité des institutions et d’une sécularisation importante de la société. Laïcisation et sécularisation ne sont pas des termes identiques. On laïcise les institutions, on sécularise les sociétés.

Le regain des questions religieuses ne donne pas droit au propos apocryphe de Malraux sur le caractère religieux du XXI° siècle : les revendications des nouveaux convertis comme la pesanteur des anciennes institutions ne doivent pas masquer le fait de la baisse tendancielle des pratiques religieuses, quand une majorité de la population se déclare désormais « sans religion » dans les enquêtes sociologiques.

Des offensives multiples

En prenant l’initiative d’une loi contre le « séparatisme », rebaptisée loi pour le renforcement de la République et la laïcité, le gouvernement a montré sa véritable intention : de renforcement de la laïcité, aucune trace, seules des dispositions contraignantes, portant y compris atteinte à la liberté d’association sont prévues.

Rendons à César ce qui est à César : les attaques contre la laïcité ne viennent pas que du gouvernement. L’extrême-droite, historiquement anti-laïque et antirépublicaine, continue de mener un combat pour l’hégémonie culturelle et présente son combat contre l’Islam comme un combat pour la défense de la laïcité. Ses idées s’étendent hélas à un champ politique de plus en plus grand. Le syndicalisme étudiant a été l’objet de plusieurs attaques, avec des polémiques infondées. Il appartient au mouvement syndical de choisir ses représentants et ses formes d’organisation.

N’oublions pas cependant que l’offensive contre la laïcité émane aussi de certaines pratiques cultuelles. Certaines pratiques rigoristes de la religion prétendent refuser la laïcité. Elles sont d’autant plus extrémistes qu’elles demeurent minoritaires, ne les ignorons cependant pas : les cultes et leurs pratiques doivent être considérés à égalité et combattus quand ils entendent déroger à la loi de 1905, ou transformer une revendication de la liberté de conscience en un nouvel ordre moral.

Adopté à l’unanimité par le Congrès le 27 août 2021

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