La Libre Pensée sur France Culture – Dimanche 14 novembre 2021
Présentation : Christophe Bitaud, vice-président de la Fédération Nationale de la Libre Pensée.
Intervenants :
- Egoitz Urrutikoetxea : conseiller communautaire au sein de la Communauté d’agglomération Pays basque, élu de la commune souletine de Lichans-Sunhar.
- Jean-Marc Schiappa : Président de l’Institut de Recherche et d’Étude de la Libre Pensée
Jean-Marc Schiappa : Bonjour. Le sujet de notre émission est assez étonnant pour ceux qui ne le connaissent pas, et la question que j’aimerais poser à Egoitz est plutôt simple : pourquoi ce dossier d’incrimination, d’intimidation, de persécution contre Josu ? Est-il possible de présenter ce dossier que, à dire vrai, bien peu de nos auditrices et auditeurs connaissent ?
Egoitz Urrutikoetxea : Il me semble que cette procédure, comme tant d’autres, a plus à voir avec l’origine du conflit au pays Basque qu’avec une volonté de résolution à l’heure actuelle.
On est en train de vouloir poursuivre une personne qui a contribué à un changement de scène au pays Basque en ce qui concerne le conflit et a contribué à alimenter le processus au sein de la gauche indépendantiste pour mettre un terme à l’affrontement violent et avancer dans la résolution du conflit.
Le paradoxe se situe à ce niveau-là : on est en train de poursuivre pour contribution à une association de malfaiteurs, une personne qui a contribué par sa participation et son implication, à une tentative de résolution du conflit au pays Basque.
JMS : En principe Josu est un messager de paix dans ce processus. La dernière fois que nous nous sommes croisés tous les deux, il était en prison et on va dire que nous n’étions pas très optimistes. En principe un messager de paix bénéficie d’une immunité totale. Toutes les civilisations procèdent ainsi. Quelqu’un qui est porteur d’un message de paix, qui essaye de trouver une solution, et j’insiste – personne n’a à juger des méthodes, des mœurs, des formes de combat que tel peuple, telle organisation, telle association décide – mais là il y a cette chose extraordinaire : un messager de paix, donc à priori porteur de bonnes nouvelles, est victime d’un processus de répression. C’est assez barbare comme méthode non ?
EU : Je ne sais pas si j’utiliserais le qualificatif de barbare mais ce qui est sûr c’est-qu’on se retrouve fasse à une intervention des États qui met en évidence, comme je le disais tout à l’heure, l’origine du conflit et qui s’inscrit plus dans une logique de récit de vainqueurs et de vaincus et met en évidence une volonté de ne pas prendre en compte les racines et origines du conflit.
Si on s’inscrit à l’échelle universelle, se sont deux États qui se disent démocratiques, qui n’acceptent pas ou ne reconnaissent pas le rôle d’une personne dans un processus qui avait vocation à dépasser un affrontement violent et à ouvrir une scène politique dans laquelle, bien que le politique puisse être l’outil d’une dialectique, d’une recherche de solutions à des questions qui sont posées de manière légitime par une grande partie de la population.
Si on s’inscrit à l’échelle locale, c’est quelque chose qui est incompréhensible. Et si on s’inscrit à l’échelle universelle, cela met en évidence un problème notoire c’est-à-dire que cela nous met dans une situation où s’inscrit dans le marbre l’impossibilité de régler des conflits à partir du moment où l’on se met à pourchasser des personnes qui sont des messagers de paix ou qui interviennent dans leur propre camp pour trouver une issue et sortir de la spirale de la violence. On le dit trop souvent : il est plus facile de démarrer un conflit que d’y mettre un terme. Une fois le conflit violent amorcé se sont des logiques de vengeances qui prennent le dessus et dénaturent, de fait, les origines de ce même conflit.
Aujourd’hui, on se rend compte que l’intervention, la position des États s’inscrivent plus dans une logique de vengeance et dans un registre de maintien d’un discours manichéen que dans la recherche d’une solution.
La question que l’on doit se poser c’est : est-ce que cette position ne tient pas au fait que des États, français et espagnol, n’ont pas de réponses démocratiques à apporter à des aspirations légitimes ?
JMS : Cela pose aussi, de notre point de vue et de ceux qui ont contresigné l’appel international pour la protection des émissaires de paix en général et de Josu en particulier, la question de la criminalisation de la politique.
On voit, et cela dépasse largement la question du pays Basque, la manière avec laquelle les États, on peut dire tous, ont tendance à traduire en justice n’importe quel opposant. On l’a vu au Brésil avec Lula. On le voit actuellement en Algérie avec ces centaines de prisonniers politiques parce qu’il y a un mouvement très fort de contestation. On peut le voir, j’espère que ce ne sera pas le cas, mais, qu’en savons-nous, d’un certain point de vue avec le début de la campagne électorale en France et ce système de boules puantes. On voit tel député, Bastien Lachaud, si je peux le citer, et que je salue au passage, être mis en accusation.
Il y a quand même une volonté de la part des États de s’affranchir de toute norme internationale.
Est-ce que c’est un point de vue personnel ou bien est-ce quelque chose qui peut être partagé comme appréciation ?
EU : Moi j’irai même au-delà. Nous assistons à une véritable dépolitisation des débats. Aujourd’hui ces États qui se disent démocratiques s’inscrivent dans une logique de judiciarisation du politique. Si on reprend le problème basque ou l’histoire du conflit au pays Basque, je dirai que l’arbre du terrorisme est celui qui cache un conflit d’une teneur politique majeure. Dans laquelle on retrouve une problématique de l’approche de la diversité, du multiculturalisme, du droit à l’autodétermination, du processus d’émancipation.
Aujourd’hui, au lieu d’apporter des réponses politiques à ces questions qui sont éminemment politiques, on essaye de les enfermer dans une case et d’évacuer ces débats en les judiciarisant.
C’est le constat que l’on a aujourd’hui au pays Basque. On se situe dans une période qui correspond à l’anniversaire de la conférence d’Aiete qui avait marqué la fin de la lutte armée. Événement qui a eu lieu il y a dix ans. Aujourd’hui l’État, et la justice qui l’accompagne, poursuivent des procédures antiterroristes alors que toute expression de violence a disparu de la scène politique.
Si je peux me permettre, la seule violence qui existe encore aujourd’hui au pays Basque c’est la violence structurelle de l’État qui continue à alimenter un conflit qui est éminemment politique.
Ce sont toutes ces questions-là qui apparaissent aujourd’hui et le contexte actuel met en évidence cette intervention malhonnête de la part de l’État. D’autant plus grave car l’on s’inscrit dans une logique de dépassement d’une scène d’affrontement violent et dans l’ouverture d’une scène éminemment politique où la dialectique politique est au centre.
Il y a une volonté de judiciarisation du politique car aujourd’hui l’État est dans l’incapacité de contribuer démocratiquement à un débat et à y apporter des réponses.
C’est quelque chose qui a une ampleur planétaire. Cela ne se réduit pas ni au pays Basque ni à la France comme vous venez de l’indiquer, mais ce sont des phénomènes que l’on retrouve à l’échelle planétaire.
JMS : Absolument. Et c’est vraiment, je crois, tel que cela a été formulé, la question de fond. Est-ce qu’il y a place pour un débat politique, pour le débat politique, et par définition le débat politique est sans limite, ou bien, dès qu’il y a demande de débat politique assiste-t-on, et c’est ce que nous vivons, à un discours manichéen ? Il y a les bons, désignés par le pouvoir. Il y a les mauvais, désignés également par le pouvoir, et qui ne sont jamais les mêmes par ailleurs.
Ce sont des gaulois réfractaires, des islamo-gauchistes, des wokistes, tous ce que vous voulez avec une sorte de méchants, de mauvais, de négatifs à géométrie variable qui sont toujours stigmatisés et cette manière de refuser le débat politique, de stigmatiser de fait, c’est cela qui crée les conditions, le terreau à tout dérapage de violence quel qu’il soit.
C’est pour cela que, de notre point de vue, à la Libre Pensée, l’appel international auquel je faisais allusion est extrêmement important parce qu’il voulait poser les questions du débat politique de fond : est-ce que la réponse c’est la démocratie ou est-ce que la réponse c’est la répression ? J’ai cru comprendre que le verdict qui s’en est suivi, heureusement d’ailleurs, a été un verdict d’apaisement dans la mesure où il y a eu une intense mobilisation internationale, on pourrait citer certains des signataires (Gerry Adams et beaucoup d’autres, philosophes, écrivains, libres penseurs, syndicalistes …). Cette mobilisation internationale a joué un rôle important dans le verdict, non ?
EU : Il me semble que cette mobilisation internationale a participé à mettre en évidence les faiblesses du récit qui accompagnait les procédures contre Josu. Je pense que c’est un élément important.
Cela mettait en évidence les risques de cet acharnement contre Josu, l’entêtement de vouloir s’inscrire dans un récit de vainqueurs et de vaincus et également la difficulté pour le gouvernement français de maintenir sa position à l’échelle internationale d’intermédiaire dans la résolution du conflit, des conflits.
Cette mobilisation internationale et même au niveau national avec des signataires de différents bords politiques, des intellectuels, cela a affaiblit un récit et ouvert la porte à une prise en considération du rôle de Josu dans le processus de résolution du conflit au pays Basque et au-delà. À partir du moment où cette décision de justice acte le rôle de Josu dans ce processus du conflit et de négociation, elle met en évidence l’existence d’un conflit politique. S’il y a eu tentative de négociation et de résolution c’est qu’il y avait un problème et qu’il y a toujours un problème à régler.
Cette mobilisation internationale a permis de sortir le cas de Josu d’une volonté de simplification de ce qui se passe au pays Basque, de tout le processus qui a été lancé et de sortir également de ce registre manichéen et mettre en évidence la complexité de tout conflit mais également la nécessité de contribuer à la mise en place de ces discussions et d’accompagner les personnes qui s’inscrivent dans ces logiques-là pour qu’on puisse arriver à la construction et la pérennisation d’une scène politique.
Je pense que cette mobilisation a été primordiale mais il faut tout de même rester en alerte car les procédures continuent. Le dernier dossier a été renvoyé à l’instruction. On attend le retour de la chambre d’instruction. On ne sait pas quelle sera la décision du juge d’instruction et il pourrait y avoir un autre procès dans les mois qui viennent.
JMS : La question de la vigilance est d’autant plus nécessaire qu’à l’autre bout, si j’ose dire, où, en Corse, l’État a refusé le rapprochement des prisonniers, ce qui est un déni de justice absolu contre lequel la Libre Pensée s’est prononcée avec beaucoup d’autres très nettement, et qui montre que la logique répressive, la logique manichéenne, la logique de discrimination de la part de l’État n’est pas du tout quelque chose de définitivement arrêté bien au contraire ! Il s’agit toujours, de la part de l’État, de frapper ou d’essayer de frapper, de stigmatiser ou d’essayer de stigmatiser.
Merci infiniment.
Ch.B. : nous arrivons à la fin de notre émission. Je tenais à préciser, ce qui n’a pas peut-être pas été assez clair à mon avis, que Josu dont nous avons parlé, n’est autre que le père de notre interlocuteur. Il a été arrêté alors même qu’il menait des négociations de paix.