En direct avec Martina Anderson Représentante du Sinn Féin en Europe

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La Raison : Bonjour, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Martina Anderson, représentante du Sinn Féin pour l’Europe. Ancienne prisonnière politique qui a purgé près de 14 ans de prison pendant le conflit en Irlande a été libérée aux termes de «l’Accord du Vendredi Saint» de 1998. Je suis une ancienne députée européenne qui a été traînée hors de l’Union Euroépenne contre la volonté démocratique des habitants du Nord qui ont voté pour rester, une ex-secrétaire d’Etat du regretté Martin McGuinness. Je suis une femme de Derry, née et élevée dans le Bogside et l’épouse de l’ancien prisonnier politique Paul Kavanagh, sœur d’une fratrie de 10 enfants. Je suis une républicaine irlandaise dévouée et j’ai donné 50 ans de ma vie pour améliorer la vie des autres.

LR : Comment ressentez-vous la Partition imposée de l’île depuis 1921 et analysez-vous les «Accords de paix du Vendredi Saint» de 1998 qui ont conduit à une paix relative et à la libération des prisonniers politiques en Irlande ?

En tant que Républicaine, j’ai toujours été opposée à la partition de l’Irlande. Je suis née dans un État-croupion qui ne m’a ni voulu ni accueilli et qui m’a servi une dose quotidienne de discrimination, d’oppression et de violence d’État. Bien que «l’accord du Vendredi saint» comporte des lacunes politiques, il offre aux Républicains l’occasion de poursuivre la réunification de l’Irlande à travers un processus démocratique. Pour la première fois de notre histoire, ce sera au peuple irlandais, par référendum, de décider de l’avenir de notre pays. La majorité des électeurs britanniques ont peu ou pas de liens avec le nord de l’Irlande et une majorité d’électeurs irlandais discutent d’un accord constitutionnel différent pour l’île d’Irlande.

LR : A la veille des élections générales du 5 mai en Irlande du Nord, le Sinn Féin se prononce pour la République unie et libre de toute l’Irlande, sans aucune frontière entre le Nord et la République. Pouvez-vous nous indiquer pourquoi l’unité de l’Irlande, dans le cadre d’une république peut garantir les droits égaux pour tous ?

Au cours de ce processus de réflexion constitutionnelle, le gouvernement britannique et l’Irlande seront liés par les obligations juridiques internationales pertinentes, y compris, par exemple, les concepts de continuité en ce qui concerne les garanties existantes en matière de droits de la personne en cas de modification constitutionnelle. Tous deux sont membres des Nations-Unies et du Conseil de l’Europe et ont, par exemple, siégé au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies.

Cependant, les deux États sont toujours réticents à intégrer les traités internationaux sur les droits de la personne dans leur droit national, à quelques exceptions notables, notamment la Convention européenne des droits de l’Homme.

La Loi sur les droits de l’Homme fait partie intégrante de la structure de «l’Accord du Vendredi saint», dont le texte invoque la Convention européenne des droits de l’Homme comme l’une des nombreuses mesures de protection visant à assurer le fonctionnement efficace des institutions créées par l’accord. Cependant, le gouvernement britannique a menacé à plusieurs reprises d’abroger le Human Rights Act et de le remplacer par une déclaration des droits «britannique».

Le Sinn Féin s’engage en faveur d’une Charte des droits pour le nord de l’Irlande qui consacrerait les droits économiques, sociaux et politiques de «tout le monde». Les promesses sur la «parité d’estime» votées par une majorité à travers l’île d’Irlande dans «l’accord du Vendredi Saint» (GFA) n’ont pas été réalisées, parce qu’il n’y a pas eu de déclaration des droits mise en œuvre dans le nord de l’Irlande, il n’y a pas non plus de Charte des droits pour l’île, qui ont toutes deux été convenues dans le GFA. En outre, la Commission des droits de l’homme du nord de l’Irlande a subi de graves pressions budgétaires. Par conséquent, la discussion sur l’avenir de l’Irlande et le changement constitutionnel serrait plus facile si ces valeurs étaient plus largement pratiquées au présent. Les droits de tous doivent être codifiés dans une nouvelle Irlande unie.

LR : Comment l‘Irlande du Nord vit-elle le Brexit ? Quelles en sont pour vous les conséquences politiques, économiques et sociales ?

L’impact du Brexit est ressenti différemment dans le Nord. La première chose à noter est que le nord de l’Irlande a voté pour rester au sein de l’UE, mais a été traîné hors de l’Europe contre le mandat démocratique de ceux qui ont voté pour rester. Beaucoup croient que nos droits ont été ou seront dégradés en raison des plans du gouvernement britannique pour mettre en œuvre sa propre déclaration des droits diluée qui n’englobera pas les droits perdus. Dans le Nord, à cause du Brexit, nous n’avons pas la Charte européenne des droits fondamentaux et le récent licenciement sec de 800 travailleurs chez P&O montre que sans accès à une cour d’appel supérieure comme la Cour européenne de justice, les travailleurs auront plus de difficulté à contester ce que P&O a fait.

Le nord de l’Irlande a perdu sa représentation au Parlement européen. Le gouvernement irlandais pourrait modifier ses règles électorales d’un simple trait de plume pour permettre aux habitants au nord de la frontière de voter aux prochaines élections européennes. Le gouvernement irlandais est l’un des rares États membres à priver de leur droit de vote les ressortissants qui ne résident pas dans un État membre : 22 autres États membres autorisent leurs ressortissants à le faire.

La plupart des secteurs d’activité bénéficient des avantages de l’accès aux marchés européen et britannique. Bien qu’il y ait eu une certaine perturbation du commerce, la faute en partie réside dans le fait que certaines entreprises au Royaume-Uni ne veulent pas remplir les formulaires requis. La mise en œuvre du protocole irlandais a connu quelques améliorations bienvenues.

Il y aura cependant toujours des conséquences à cause du Brexit et Sinn Féin a été clair dès le début, il ne doit pas y avoir de durcissement de la frontière en Irlande (la Partition est déjà de trop) et l’UE devait protéger le GFA dans toutes ses dispositions, y compris celle sur l’unité irlandaise. Le débat constitutionnel en cours en Irlande qui a été propulsé par le Brexit et est cadré par la déclaration du Conseil européen d’avril 2017 qui a déclaré que si l’Irlande était réunifiée, l’ensemble de l’Irlande resterait dans l’UE. Nous avons une voie démocratique de retour dans l’UE via la disposition sur l’unité irlandaise du GFA.

LR : Comment rendre la liberté et le droit réel à maitriser leur destinée à tous les Irlandais ? Un des moyens d’assurer l’égalité et la concorde entre tous n’est-il pas de faire respecter la liberté de conscience de chacun par la Séparation des Eglises et de l’Etat dans une future République de toute l’Irlande ?

Le Sinn Féin veut s’assurer que chacun a la liberté de conscience, l’égalité et l’harmonie et à cette fin, notre Ard Fheis (Congrès national) a adopté des motions soutenant la Séparation de l’Église et de l’État.

LR : La sécularisation de la société, comme par exemple le droit au divorce, à l’IVG ou au mariage pour tous, a connu de grands progrès récemment en République d’Irlande ; comment analysez-vous cela ?

L’Irlande devient un pays plus progressiste, nord et sud. Le pouvoir des Églises a décliné face aux preuves de plus en plus nombreuses concernant les abus dans lesquels elles étaient impliquées et dissimulées. Il y aura toujours des fondamentalistes qui prêcheront contre les positions progressistes, mais les changements apportés à la loi en ce qui concerne le divorce, le mariage et l’avortement montrent qu’ils sont minoritaires et qu’ils n’ont plus l’influence qu’ils avaient.

LR : L’opinion publique française a été fortement sensibilisée par l’annonce de la découverte en 2014 de centaines de tombes d’enfants au Couvent de Tuam ; quelle est votre analyse de ces faits ?

Le fait que de tels abus ont eu lieu témoigne du pouvoir que l’Église détenait sur les institutions politiques. Le fait que les corps d’enfants aient été empilés les uns sur les autres témoigne de l’impunité dont jouissaient les institutions religieuses dans un environnement, dont elles croyaient ne jamais être tenues responsables. Heureusement, cette époque est révolue. Les Églises et l’État sont tenus responsables des exactions barbares commises dans le passé, comme en témoignent le nombre d’enquêtes menées et les recours mis en place pour répondre aux besoins des victimes.

Malheureusement, le camouflage, par l’Église et l’État, a duré si longtemps que bon nombre de ceux qui ont perpétué les abus sont décédés et ne seront jamais tenus responsables de leurs actes. En tant que ministre de feu Martin Mc Guinness, j’ai participé à la mise sur pied de l’enquête dans le nord de l’Irlande sur les abus institutionnels et j’ai entendu directement les témoignages poignants de victimes et de survivants.

LR : Vous venez d’éditer une lettre d’information largement diffusée pour faire connaitre votre action.

Vous avez reçu le premier bulletin européen du Sinn Féin disponible en anglais, français, espagnol, allemand et danois. Sinn Féin a produit des bulletins pendant des années, mais celui-ci est un bulletin européen dédié.

LR : Voulez-vous rajouter quelque chose pour les lecteurs de La Raison ?

C’est un plaisir de voir que la question de la réunification irlandaise fait maintenant partie du discours politique normal à travers l’Europe continentale.

La crise dans l’Exécutif de partage du pouvoir dans le nord de l’Irlande exige une attention européenne, car le gouvernement britannique utilisera les terribles événements qui se déroulent en Ukraine pour saper davantage «l’Accord du Vendredi Saint» et l’accord de retrait. Les Unionistes s’emploient à démanteler le GFA et à utiliser le protocole comme une provocation, parce qu’ils ne veulent pas activer un éventuel résultat démocratique qui pourrait émerger d’un référendum d’unité en faveur de la réunification irlandaise. Ainsi, le Parti démocrate-unioniste qui retire son premier ministre de l’Exécutif est le même DUP qui tente d’exercer un veto sur l’institution de partage du pouvoir et donc un veto sur le GFA, tout comme ils exercent un veto sur les droits linguistiques et sur le progrès.

La raison en est le soutien croissant que reçoit le Sinn Féin à travers l’île, ajouté à cela les manœuvres politiques du gouvernement britannique qui a signé un accord avec l’UE, mais n’a jamais eu l’intention de le mettre en œuvre. Le gouvernement britannique tente d’utiliser la situation politique en Irlande comme un mécanisme pour détruire la cohésion européenne. L’Europe doit prendre conscience de cette réalité.

Le Sinn Féin s’opposera à toute tentative conservatrice visant à dénaturer le droit international sur lequel repose le Protocole.

(Propos recueillis le 20 mars 2022 par Philippe Besson).