L’Eglise synodale ou sinusoïdale ?

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En octobre 2022 s’ouvrira à Rome le synode sur la synodalité de l’Église catholique. Ne croyez pas qu’il s’agit d‘un simple oxymore comme un « concile sur la conciliation ». Le Pape François y tient beaucoup. En ouverture du numéro de Communio, revue catholique internationale consacré à cet évènement, il y démontre toute l’importance qu’il y attache. Il s’agit de réaffirmer le primat du clergé sur le peuple de Dieu, tout en faisant semblant de lui concéder une petite place dans les affaires courantes.

Tout d’abord  il convient de noter que les épiscopats locaux ne se sont pas jetés là-dessus comme le mal français (syphilis) sur le bas clergé. Ils  y ont été la plupart à reculons, le pouvoir a toujours du mal à se partager, même en apparence. Le « peuple de Dieu » n’a guère été au rendez-vous, cela n’a intéressé quasiment aucun jeune et seulement, en France, 10% des catholiques âgés et pratiquants. Ce n’est guère mieux ailleurs et même parfois pire.

Selon Florent Urfels, prêtre à Paris, il y a trois grands moments dans la gestion de l’Église, le premier est la communion des Églises sous l’autorité du Vicaire du Christ pendant le premier millénaire. Le deuxième par la Réforme grégorienne (XIe siècle) qui marque le centralisme romain, le troisième est Vatican II avec une apparence de collégialité.

Mais soyons clair « : « L’Eglise n’est pas structurée selon les principes d’une société politique séculière et n’est donc pas une démocratie »… « Le synode tend à devenir, sous l’impulsion du Pape François, un organe plus ambitieux combinant consultation des laïcs et décisions des évêques ». Le cardinal Kurt Koch sera très clair pour populariser la communication synodale en reprenant Cyprien de Carthage : « Rien sans l’Evêque, rien sans la consultation des prêtres, rien sans le consensus du peuple ». On voit bien où est le pouvoir. Cela rappelle fortement la définition de Coluche de la différence entre la dictature (« Ferme ta gueule ») et la démocratie (« cause toujours »).

Il poursuit (Kurt Koch, pas Coluche) : « le synode n’est pas un parlement où l’on s’appuie sur des négociations, des arrangements ou des compromis pour parvenir à un consensus ou à un accord commun. La seule méthode du synode est au contraire de s’ouvrir à l’Esprit Saint avec un courage apostolique, une humilité évangélique et une  prière confiante, fin que ce soit Lui qui nous guide. » On voit bien le mépris profond pour la démocratie qui se résume pour les mitrés à des combines. Comme tout le monde n’a pas la chance d’avoir un décodeur avec Lui, seulement le « Saint-Père » sans doute qui est son représentant sur terre. Le Pape toujours le Pape, tout le Pape,  rien que le Pape !

 D’ailleurs, le dossier de ce numéro de Communio est consacré en plus à « la religion des poètes ». En voici un qui est mis en exergue pour bien se faire comprendre : « Soyez béni, mon Dieu, qui m’avez délivré de moi-même…. Heureux non  pas qui est libre, mais celui que vous déterminez comme une flèche dans le carquois ! ». Voici leur ambition : être une flèche tirée par Dieu ! Être une flèche est sans doute mieux qu’être une buse, même si celle ci- est un rapace magnifique qui vole haut et est libre. La flèche, elle, appartient à l’archer qui la tire.

Selon Walter Kasper, cardinal et éminent théologien, ceux qui pensent voir dans le synode une avancée révolutionnaire se trompent lourdement, il s’agit pour lui de « la réforme la plus conservatrice que l’on puisse imaginer ». C’est la reprise des écrits bibliques qui vantent « la discussion » et qui  se trouve partout : « L’indaba en Afrique, la choura dans l’Islam, le Sénat chez les Romains, le sanhédrin dans le judaïsme,  le Grand conseil chez les Lutheriens, le Concile des Apôtres à Jérusalem ». En France, on aurait dit : » Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais elle cause ».

La revendication d’un concile Vatican III n’a aucune réalité en dehors du cercle restreint des catholiques de gauche et encore !. Elle est portée notamment par Christine Pedotti, de Témoignage Chrétien.  Quand on étudie les textes actuels du Vatican, on s’aperçoit que le Concile Vatican II est loin d’avoir épuisé tous ses effets, loin s’en faut. Il reste une source inépuisable de choses à faire et à entreprendre.

Comme le note Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions et ancien  éminent jésuite, dans une interview à Ouest-France du 28 mars 2022 : « Je fais partie de ceux qui pensent, comme le théologien Hans Küng, un ami que j’ai traduit et édité, et beaucoup d’autres, qu’il n’y a pas eu « trop de concile », mais trop peu, qu’en fait il n’a pas été réellement appliqué. Il a produit des textes magnifiques, dynamisants, libérateurs, mais après, il fallait passer à des réformes concrètes, par exemple quant à la place des femmes, à l’ordination d’hommes mariés, au mode de nomination des évêques, etc. Non pas pour « sauver l’Église », mais parce que ces réformes correspondent à une vérité et une demande « démocratique » de notre temps. Mais il n’y a pas eu ces suites pratiques. Au contraire, tout a été freiné. »

En ce sens, le Synode de 2022 à Rome, n’est ni un ersatz de Concile Vatican III, ni une diversion pour l’éviter. Mais au contraire, il est un moyen de prolonger Vatican II. L’arbre n’est pas encore sec, il peut, pour l’Église, encore donner des fruits.

Selon l’archevêque Péter Erdö : » La synodalité ne doit pas être confondue avec la collégialité qui n’est pas un principe sociologique dans l’Église, ni un simple héritage du droit romain, mais se réfère au corps des évêques qui,  avec son chef le Pape, constitue l’autorité suprême de l’Église selon les documents du concile Vatican II ». En résumé l’Archevêque plaide pour son diocèse, il revendique une part du pouvoir. Que l’on amuse le bon peuple soit, mais le prélat veut aussi passer à la caisse.

En clair aussi, il y a une diffusion apparente du pouvoir et non une distribution du pouvoir, c’est le Pape qui décide toujours. Alors pour amuser le bon « peuple de Dieu », on ergote sur les termes des dimensions  « Communautaire (les fidèles), collégiale (les Evêques), primatiale (le Pape) ». Et tout cela fait d’excellents catholiques ! Cela reprend les formules d’Aristote sur les trois formes de gouvernement possibles : « régimes démocratique, aristocratique, monarchique » pour donner quelque lustre au propos.

Rappelons que le Pape a initié des conférences synodales en Amazonie et en Afrique pour tenter de trouver des solutions à la crise de vocation et de gestion : prêtres mariés, diacres avec un peu plus de pouvoir spirituel, participation des fidèles et des femmes aux affaires courantes. Mais surtout, il faut empêcher la protestantisation de l’Église qui verrait la disparition du clergé. Brassens chantait « Pas d’argent, pas d’épices », le Vatican le suit en claironnant « Plus de clergé, plus d’Église ».

La tendance est forte dans certains milieux catholiques de vouloir s’adapter aux formes et contenus du protestantisme pour que l’Église tienne dans la tourmente en se « modernisant » par une suppression du caractère sacré du clergé, intermédiaire « entre Dieu et le croyant ». Or, supprimer ce caractère sacré qui seul permet le rachat des péchés par son intermédiaire, c’est détruire l’appareil de  l’Église, donc détruire l’Eglise elle-même, car l’Eglise c’est le clergé.  Je prends souvent l’image du stalinisme, il n’est que son appareil, quand celui-ci disparait, il n’y a plus de stalinisme, même s’il reste encore des staliniens.

Il y  a aussi une dimension internationale très forte dans l’opération « Synode » qui est un terme commun à toutes les religions chrétiennes et pas uniquement catholique, même si elles n’y mettent pas toutes le même contenu. Pour le Vatican, c’est continuer en apparence la volonté œcuménique (qui est un appeau à la chasse aux canards) du retour du rêve de l’unité des chrétiens du premier millénaire. Mais comme disait Paul VI : « Il y a plusieurs troupeaux, il ne saurait y avoir qu’un seul berger ». Devenez qui ?

L’expérience nord-américaine des synodes a beaucoup été étudiée. Au moment de l’Indépendance, la question de l’organisation de l’Église catholique aux États-Unis va se poser dans un pays qui émerge et qui était alors sous la domination religieuse de l’Église anglicane anglaise. C’est en 1791 que le premier synode catholique  va se réunir à Baltimore, qui va devenir l’équivalent de la Conférence de Lambeth pour les anglicans  (40 Eglises nationales sur les 5 continents) et Rome pour les catholiques du monde entier.

Il fallait bien un dupe, ce fut le tour de Rowan Williams, ancien évêque de Cantorbéry, chef donc de l’Église anglicane, qui voit dans le synode de François être « Ensemble sur le même chemin », mais il indique aussi : «  si nous cheminons ensemble, cela veut dire que nous ne sommes pas encore arrivés à destination » (pas si dupes  que cela peut-être ?)… « Mais en tant que pratique et progression, la synodale consiste essentiellement à se laisser inspirer par l’espérance (qui fait vivre selon le vieil adage) ». Sur le fond, il partage la théorie du Vatican : « Si la synodalité n’est rien de plus qu’une vague version idéalisée de la démocratie profane, elle n’a guère de chances de devenir proclamation de la Bonne Nouvelle. » Rappelons que Évangile veut dire « bonne nouvelle », il s’agit donc bien de recléricaliser le monde derrière l’opération de communication sur le Synode.

Le Synode est une vaste opération de communication pour tenter de replacer le Vatican aux cœur des choses et problématiques religieuses et politiques. C’est aussi sans doute pour cela que beaucoup regarde cela avec énormément de méfiance. C’est aussi une opération interne pour indiquer que le Pape François a fait quand même avancer les choses dans la Curie romaine. Les bilans, il vaut mieux les tirer que les déposer.  Il n’est pas sûr  que là aussi, la méfiance ne l’emporte pas.

Pourquoi la Libre Pensée doit alors s’y intéresser ? Parce qu’un médecin qui ne s’occuperait pas d’étudier les maladies serait un piètre soignant. Et puis comme Communio est, à juste titre, une revue de référence, je vous invite à la lire. Et cela est totalement désintéressé, le Vatican ne me rémunère point et je le comprends !

Christian Eyschen

L’Église synodale, avant-propos du pape François –  Communio, revue catholique internationale – Tome 47 – 2022 – 192 pages – 20€

 

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