Jeudi 10 novembre a eu lieu la journée organisée par la Libre Pensée du Rhône et « l’Association des abusés de l’Eglise – Tous ensemble ! », avec la participation de Keith Porteous Wood, président de la National Secular Society britannique, et porte-parole de l’Association Internationale de la Libre Pensée, accrédité auprès de l’ONU et auteur de rapports internationaux sur les crimes d’Eglise. Après la conférence de presse du matin, la réunion publique s’est tenue sous la présidence de Maître Jean Sannier, avocat de victimes, qui a tenu un discours critique sur les limites du rapport de M. Jean-Marc Sauvé, rapport qui n’engage en rien les réparations par l’Eglise.
Il s’agissait d’abord d’alerter l’opinion sur les crimes sexuels de l’institution catholique. Il fallait dénoncer la faillite de cette dernière à apporter une vraie écoute et une réparation aux victimes à la hauteur des préjudices subis, compte tenu du nombre et de la gravité des faits. Chaque semaine continue d’ailleurs à donner lieu à de nouvelles révélations !
Comme le déclarait Nanou Couturier, présidente de l’association : « Peut-on encore croire en la sincérité de cette institution qui a sciemment menti et dissimulé et qui continue via l’affaire Santier dévoilée par la presse ces dernières semaines ? Nous le redisons ici, l’institution catholique n’a ni les compétences professionnelles et encore moins les qualités humaines pour gérer ce genre d’affaires. »
Les deux instances de réparation créées par l’Eglise, l’INIRR et la CRR, apparaissent donc comme des paravents destinés à protéger l’institution et ses deniers.
L’association a pu détailler ses revendications, parmi lesquelles : une expertise médico-légale individualisée réalisée par des professionnels pour chaque victime, l’indemnisation des survivants parfois en situation de grande précarité qui est la conséquence des traumatismes liés à ces agressions, un provisionnel pour les soins médicaux et psychologiques (parfois à vie) de manière urgente, distincte et sans préjudice de toute indemnisation à venir ; sans oublier le suivi des recommandations du rapport Sauvé, par exemple la prévention des crimes. C’est peu dire que nous sommes loin du compte, et l’Eglise refuse toute expertise indépendante.
Mais au-delà, c’est la responsabilité de l’Etat français qui apparaît de plus en plus comme le principal obstacle à un vrai traitement du problème. S’il ne s’agissait que de cas isolés, cela se comprendrait, mais avec l’ampleur et le caractère « systémique » relevés par le rapport de la Ciase, la responsabilité de la hiérarchie catholique à tous les niveaux est engagée. L’Eglise ne saurait être juge et partie. Il ne s’agit pas de laïcité (le viol, que l’on sache, n’a rien à voir avec la liberté religieuse) mais d’ordre public. Il s’agit de victimes en souffrance et de potentielles victimes en danger. On aurait donc pu s’attendre à la création d’une commission d’enquête parlementaire, comme cela aurait certainement été le cas pour d’autres sectes ou religions.
Le gouvernement n’a jamais répondu aux questions du Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU, ce qu’il est pourtant tenu de faire. Keith Porteous Wood étant à l’origine de ces questions, s’est longuement exprimé sur la situation à l’échelle mondiale, très disparate, mais où des réponses ont été apportées, comme en Nouvelle-Zélande ou en Australie, à un degré moindre en Europe. Mais qu’en est-il de l’Afrique et de l’Asie ? Les rapports présentés à Lyon par Keith Porteous Wood sont à présent en ligne sur le site de la FNLP. Il y démontre le caractère dérisoire, et invraisemblable du nombre de prêtres mis en cause : pourquoi sont-ils si peu nombreux compte tenu du nombre de victimes ? Il reste des zones d’ombre à explorer, en France et ailleurs.
Et d’abord quant au rôle de l’Etat : chacun en est persuadé, et c’est un acquis de cette journée du 10 novembre, il ne peut plus se taire. C’est pourquoi une question au gouvernement sera posée par un parlementaire (lettre reproduite en annexe) sur les demandes précises de l’ONU.
Question au gouvernement
Le 6 novembre 2020, le comité des droits de l’enfant de l’ONU s’est adressé au gouvernement français pour lui demander de lui remettre avant le 30 octobre 2021, un rapport incluant les abus sexuels du clergé sur des enfants. Cette demande (recommandation 21 ci-dessous) précise ce sur quoi le rapport doit porter. Il doit préciser quelles sont : « les enquêtes menées sur les abus sexuels commis par des membres du clergé, les poursuites intentées, et les peines imposées aux auteurs de tels actes, les délais de prescription applicables, les réparations accordées, y compris les indemnisations et les mesures de réadaptation, et les mesures prises pour protéger les enfants contre le risque de subir des abus sexuels de la part de membres du clergé. »
Le comité de l’ONU considère donc de facto que l’état français ne peut pas laisser l’Eglise être juge et partie dans des affaires qui touchent à l’ordre public et à caractère souvent criminel, à une échelle sans précédent. Le rapport de la Ciase présenté par M. Jean-Marc Sauvé le 5 octobre 2021 fait état, rappelons-le, de 330 000 victimes depuis 1950. Ces victimes des abus sexuels de l’église sont des citoyens français à part entière et la responsabilité du gouvernement est engagée. Le rapport de la ciase a caractérisé comme « systémique » le problème des abus sexuels commis par des représentants du clergé, ce qui interdit de considérer les nombreuses affaires qui continuent à être révélées comme une collection de déviances individuelles devant être traitées au cas par cas. Nous ne pouvons pas considérer l’Eglise catholique, ni les instances de dédommagement qu’elle a mises en place (INIRR et CRR) comme légitimes pour rendre une justice qui ressortit aux compétences de l’Etat régalien. Et nous constatons que ce sont des initiatives individuelles de victimes qui ont conduit à la condamnation initiale du cardinal Philippe Barbarin, acquitté en appel.
A ce jour aucune réponse sur ce point précis (les crimes d’Eglise) n’a été donnée dans la réponse de l’état français au comité des Droits de l’Enfant. Or la convention passée entre l’ONU et les Etats-parties font obligation à ceux-ci d’apporter une réponse précise et détaillée à toutes les questions posées, comme cela est clairement formulé dans son article 44.
Nous vous demandons donc de nous indiquer quand l’état français, représenté par son gouvernement, va établir ce rapport en réponse à la demande du Comité des Droits de l’Enfant.