Préface
Ce nouveau numéro d’Arguments a pour objet de revenir sur l’étude des Langues dites « régionales » et celle de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. La Libre Pensée a toujours refusé la signature de cette Charte européenne par la France. Elle ne change pas sa position sur le fond. Mais il convient de revenir sur un certain nombre d’aspects que nous avons eu tendance à globaliser un peu trop hâtivement à l’époque.
Dans le communiqué de la Libre Pensée du19 avril 2021 sur la loi Mollac, nous écrivions :
« Une question essentielle qui n’est jamais abordée
Certains, pour des fins un peu inavouables, mettent dans le même paquet-cadeau « toutes les langues régionales », comme si elles étaient toutes identiques. La Libre Pensée considère que tel n’est pas le cas. La question fondamentale est le problème de la continuité territoriale. S’il y a rupture de celle-ci, cela ouvre alors des distorsions de droits inévitablement sur tous les plans (économiques, sociaux, culturels, politiques, linguistiques).
La situation de la Bretagne, du « pays basque », de l’Occitanie n’est pas comparable à celle de la Corse, des Antilles, de Mayotte ou même de la Guyane (même si la Guyane n’est pas une ile). L’insularité est constitutive nécessairement de la notion de « peuple ».
Si la France avait gardé son « Empire », comment aborderait-on cette question en Afrique, notamment au Maghreb ou en Afrique noire, en Indochine, à Madagascar ? Nul ne pourrait s’opposer, s’il est vraiment pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, à ce que la ou les langues de ces peuples soient reconnues et même traitées à égalité avec le Français, car elles seraient constitutives de nations particulières.
C’est pourquoi, la Libre Pensée refuse ce melting-pot que constitueraient « les langues régionales ». Toutes ne sont pas égales, dans leurs formes et leurs contenus. Il faut savoir différencier. »
Ce sont-là des questions essentielles. Plus on y réfléchit, plus la question de la continuité territoriale est essentielle pour définir une délimitation et une différenciation dans les situations existantes. Par exemple, comment expliquer qu’en Corse du fait d’une relation qui peut s’apparenter au système colonial, les fruits qui y sont produits soient parfois plus cher qu’en métropole ? L’heureuse formule : « La Corse est entre la métropole et la Nouvelle-Calédonie » n’est pas simplement géographique, elle est aussi politique et institutionnelle.
Prenons le cas du « pays basque ». Nous ne partageons pas l’idée d’une « réunification du Nord (France) et du Sud (Etat espagnol) ». D’abord parce que l’oppression n’est nullement la même et que la question de l’égalité des droits ne se pose pas en France de la même manière que dans l’Etat espagnol, c’est incomparable.
De plus, il y a une différence de taille entre les deux pays, c’est qu’en France, il y a eu la Révolution française qui a fondé la Nation par l’adjonction des différents peuples en lutte en métropole. Les basques ont eu leur part, ce qui ne fut pas le cas des Antillais et des Africains. Pour les Corses, c’est plus complexe. N’oublions pas que la France participa à la répression de la Révolution de Pasquale Paoli.
Il faut cependant nuancer le propos par une interrogation puissante. La collaboration policière entre l’Espagne dirigée par le PSOE et la France dirigée par le PS a contribué à créer un climat d’oppression et de terreur policière dans une véritable guerre d’oppression anti-basque de deux côtés des Pyrénées et de cela peut naitre une aspiration de liberté teintée de « nationalisme ».
N’oublions pas (comparaison n’est pas raison) que c’est la guerre de 1914-1918 qui a créé littéralement le Canada, l’Australie et la Nouvelle Zélande comme nations réelles. Il pourrait arriver la même chose avec l’Ukraine dans la sale guerre menée entre les USA et Poutine.
La répression d’hier, violente, et celle d’aujourd’hui, plus sournoise du fait que l’ETA a déposé les armes et cessé toute action violente (voir ma note de lecture sur l’ETA), pourrait déboucher sur quelque chose d’inconnu aujourd’hui.
Il faut aussi aborder la question de l’enseignement « en immersion ». Si en Métropole, cela ne peut déboucher que sur des affrontements dans une inégalité dressée comme une identité contre les autres, la question se pose autrement du fait de l’insularité ou de la rupture de la continuité territoriale. La question qui est posée derrière est bien celle du colonialisme et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Nul ne peut s’échapper de ses interrogations.
Pour autant, il convient de bien distinguer les choses avec précision. C’est à quoi s’attelle les différents articles de ce Numéro d’Arguments. Le débat est ouvert, continuons à le mener.
Je ne changerai pas un mot de mon discours prononcé à la fin de la manifestation du 11 décembre 1999 à Paris contre la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires : « Le problème de la Charte européenne n’est ni un problème franco-français, ni un problème européen. C’est un problème mondial. Les plus hautes autorités internationales économiques, financières, culturelles qui s’appellent le FMI, l’ONU, l’Union européenne, se penchent sur notre sort et ont décidé de diviser l’Humanité pour en faire un bétail servile et obéissant, à la botte de leurs intérêts. Il leur faut toujours diviser pour régner.
Ainsi, l’UNESCO a décidé d’un projet, inspiré par la Bible, au nom évocateur de “projet Babel” pour favoriser la propagation de 685 langues recensées dans le monde. L’Ancien-Testament nous dit qu’avant la Tour de Babel, il n’y avait qu’un seul peuple et qu’une seule langue, et que Dieu a créé le multilinguisme pour assurer sa domination sur les humains. Depuis, il y a la guerre ». On voit bien, hier comme aujourd’hui, que la question des langues n’est pas rien dans les conflits. Et si vous ajoutez à cela une dose de religion, c’est l’Apocalypse garantie !
Le caractère pernicieux de cette Charte européenne est qu’elle promeut la reconnaissance des droits pour les langues régionalistes en leur conférant des droits juridiques. Il peut et doit certainement dans certains cas être nécessaire de donner des droits aux différents locuteurs à titre individuel, mais pas à la langue en tant que telle. Donner une identité juridique à une langue est une monstruosité.
Rappelons-nous que c’était la Revendication N°2 du programme des nazis dans les Sudètes : « La promotion du groupe allemand des Sudètes au rang de personnalité juridique, habilitée à défendre elle-même ses droits ». On voit où mène ce genre de choses. N’oublions pas aussi la stupidité profonde du gouvernement d’Edvard Beneš qui crut régler le problème en opprimant les Sudètes et en leur interdisant de parler la langue allemande. On voit là aussi où ce genre de choses débouche.
Une autre question est sans doute la distinction à faire entre une langue et un patois. Ce n’est pas si simple que cela. Pour illustrer ce problème, relisons Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire : « Je sais que l’amant passionné du beau style s’expose à la haine des multitudes. Mais aucun respect humain, aucune fausse pudeur, aucune coalition, aucun suffrage universel ne me contraindra à parler le patois incomparable de ce siècle, ni à confondre l’encre avec la vertu. »
Qu’est-ce qui élève et émancipe et qu’est-ce qui vous attache comme une chèvre à son piquet ? (Pierre Jakez Hélias ).
L’une des questions centrales dans ces interrogations est « Qu’est-ce qu’une nation ? » : une langue commune ? Cela, c’est la position d’Adolf Hitler et cela a souvent une consonance raciale.
Prenons le cas de la Suisse qui est une authentique Nation et qui est un multilinguisme. Il peut donc y avoir une véritable Nation dont les citoyennes et citoyens parlent des langues différentes. Cela peut être centripète ou centrifuge selon l’histoire du pays concerné. En France, cela apparait comme centrifuge, en Suisse c’est centripète et c’est la condition essentielle de son existence. L’existence de la Révolution française et de tout ce qu’elle a porté est la raison fondamentale de ces différences. Il n’y a pas eu de révolution de ce type en Suisse.
Mais il y a une condition supérieure pour que cela soit possible en Suisse, et ce n’est jamais abordé dans le débat sur les langues dites régionales. C’est la neutralité du pays. C’est la condition sine qua non. Sans la neutralité rien n’est possible. Imaginez un conflit en Europe opposant des pays parlant des langues différentes (comme en Suisse). Toute ressemblance avec des situations ayant existé et qui pourraient revenir n’est point fortuite.
Si la Suisse n’est pas neutre, chaque « communauté linguistique » prendra alors nécessairement partie et c’est la fin de la Suisse comme nation. C’est la neutralité et le non-engagement partisan qui rend possible la cohabitation de plusieurs langues dans un même pays.
Si la France (métropole) devient multilinguiste en conférant des « droits juridiques » aux différentes langues existantes sur le territoire, et si on veut que cela soit viable, cela nécessiterait :
● De quitter l’Union européenne
● De quitter l’OTAN
● De sortir de tous les traités qui nous engagent militairement en cas de conflit.
Autre conséquence « non-militaire », il faudrait alors scissionner le département des Pyrénées-Atlantiques en deux et aussi certainement d’autres départements où les mêmes problèmes existent. Le Diwan est une farce montée de toute pièce, il y a plusieurs bretons comme « langues revendiquées », faudrait-il créer des entités juridiques propres pour chaque « langue » ? Les bretonnants n’ont jamais vu ce paradoxe terrible, c’est le français qui permet de parler de « Bretagne » comme entité et de lui donner une certaine apparence.
De même, la vie est ironique et cruelle pour les régionalistes. Si on met en œuvre le principe de neutralité militaire, qui est la supra-condition pour un pays multilinguiste, il faudrait alors quitter l’Union européenne qui promeut la Charte européenne des langues régionales. C’est vraiment le serpent qui se mord la queue !
La Libre Pensée ouvre ce débat, inscrivez-vous dedans ; c’est notre souhait le plus ardent.
Christian Eyschen
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