Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux …
Aux termes de l’article 21 de la Déclaration des droits de l’Homme du 24 juin 1793, « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler. » Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, repris en 1958, poursuit dans la même voie : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » Dans cet esprit, la loi du 5 mars 2007 a établi un droit au logement opposable (DALO) en faveur des personnes de nationalité française et des étrangers en situation régulière, texte globalement inappliqué. Ceux qui détiennent aujourd’hui le pouvoir oublient chaque jour ces principes qui font la grandeur de la République.
Depuis ce printemps, dans la perspective de la Coupe du monde de Rugby de l’automne 2023 et des Jeux olympiques de l’été 2024, le gouvernement a entrepris de disperser dans dix régions (toutes, sauf l’Île-de-France, les Hauts-de-France et la Corse) les « sans-abri » de Paris et de sa banlieue, qu’ils soient victimes d’un système économique sans pitié ou venus, contraints par la nécessité, de pays déshérités ou en guerre. Comme à l’accoutumée, le Gouvernement s’y prend brutalement et quelque peu violement, alors que les dates de ces compétitions étaient prévues depuis longtemps. L’heure est au grand ménage et à la remise sur le marché des cinq mille chambres d’hôtels réquisitionnées en Île-de-France durant la pandémie en faveur des plus démunis de France et d’ailleurs. Les rues doivent être pimpantes et les affaires reprennent ! Accessoirement, cette dispersion pourrait éventuellement aider le ministre de l’Intérieur à procéder discrètement à quelques expulsions supplémentaires de personnes étrangères.
À cette fin, en utilisant un vocabulaire administratif dépourvu de tout sentiment de fraternité, les ministères de l’Intérieur et du logement créent dix « sas d’accueil temporaire régionaux » de cinquante places, soit cinq cents au total, dont la gestion est confiée à des associations souvent catholiques. Il s’agit de recevoir en province pour une courte durée des « sans abri », volontaires pour une petite partie de campagne, en vue de les orienter vers les trois mille six cents places d’hébergement qui seraient disponibles pour eux dans ces régions, soit moins que les cinq mille reprises par les hôteliers parisiens. À supposer même que les intentions du gouvernement soient pures et la réalité conforme à ses annonces, déplacer la misère pour l’éloigner des regards indiscrets, avec la certitude de l’accroître, ne résout rien : la rue devient l’hébergeur principal des populations précaires. La France comptait 140 000 personnes sans domicile fixe en 2012 selon l’INSEE et 300 000 en 2023, selon la Fondation Abbé Pierre, dont 27 000 dépourvues de tout hébergement. Avec cette politique de dissémination des « sans abri », parier sur une aggravation de la situation actuelle ne présente pas de grand risque.
Le premier « sas » a été ouvert à Bruz, une commune de 18 000 habitants proche de Rennes, et ce contre l’avis de son maire qui dénonce les conditions indignes dans lesquelles les intéressés sont reçus : le centre est installé sur un terrain appartenant à la SNCF, pollué par les hydrocarbures et les métaux lourds, et sous un pont exposé au bruit, le long d’une voie ferrée. À lui seul, ce lieu d’accueil temporaire invalide le discours officiel sur la politique d’accompagnement que les pouvoirs publics disent vouloir mettre en œuvre en faveur des personnes concernées, dont certaines auraient d’ailleurs un emploi à Paris. En tout état de cause, la préfecture d’Ille-et-Vilaine n’a donné au maire de cette commune aucune assurance de trouver un logement ou, à tout le moins un hébergement décent, pour les personnes qui passeront par le « sas » de Bruz.
Cette politique constitue le volet le plus odieux de la crise globale du logement que traverse le pays en raison de l’insuffisance du volume annuel des logements construits. En 2012, alors que le taux d’accroissement naturel de la population atteignait 3,6 %, la progression du nombre de résidences principales n’était que de 0,9 %. En 2021, ces pourcentages s’élevaient respectivement à 0,9 et 0,6 %. Dans ces conditions, en dépit même de la chute du rythme d’augmentation naturelle de la population, la persistance d’un écart notable entre les deux indicateurs entraîne, par un effet de cumul, une pénurie croissante de logements, une progression du nombre de personnes mal logées, soit quatre millions de personnes en France, et la hausse des loyers.
Notons en particulier que les Jeux olympiques étaient censés offrir l’occasion de construire des villages pour les athlètes, prévus pour être ensuite réaffectés à ceux qui en ont réellement besoin. Or, ils vont aggraver le sort des mal-logés. De surcroît, le gouvernement entend réquisitionner 3 000 logements sociaux étudiants pour héberger le personnel des jeux.
Dans la mesure où les libertés individuelles et démocratiques, notamment la liberté de conscience, restent vaines si ceux à qui elles sont reconnues et garanties ne bénéficient pas de conditions d’existence décentes, la Fédération nationale de la Libre Pensée demande l’arrêt des « sas » et le Droit au logement pour tous.
La Libre Pensée :
- Condamne l’imprévoyance du gouvernement et sa précipitation agressive actuelle
- Condamne une insupportable atteinte à la dignité des personnes
- Demande que soient mises en œuvre d’urgence les mesures permettant un hébergement humain et respectueux des personnes
Paris, le 19 juin 2023