Lettre ouverte au Ministre des Armées

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Monsieur le Ministre,

Le 27 septembre 2023, selon une mise en scène symbolique évidente, les forces affectées à la base aérienne 115 ont participé à deux cérémonies. D’une part, au pied de l’Arc de triomphe de la ville d’Orange, elles ont célébré au plan national l’archange Saint-Michel, patron des parachutistes, lors d’une remise de décorations à dix-sept militaires. D’autre part, elles ont assisté à l’inauguration du bâtiment appelé à héberger la brigade des forces spéciales de l’armée de l’air (BFSA).

La Fédération nationale de la Libre Pensée (FNLP) tient à rappeler que la République française est laïque, conformément à l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, et qu’aux termes de l’article L. 4121-2 du Code de la défense « Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques [des militaires], sont libres. / Elles ne peuvent cependant être exprimées qu’en dehors du service et avec la réserve exigée par l’état militaire. Cette règle s’applique à tous les moyens d’expression. Elle ne fait pas obstacle au libre exercice des cultes dans les enceintes militaires et à bord des bâtiments de la flotte. »

Or, l’archange Saint-Michel, pour lequel le général Dominique Tardif, membre de l’État-major de l’armée de l’air et de l’espace, a parlé de « dévotion », est une figure religieuse incontestable, comme l’a jugé en dernier ressort le Conseil d’État en ordonnant le retrait de la statue représentant cet emblème religieux de l’emplacement public. Elle vient d’être déplacée vers un emplacement privé, donnant ainsi raison à la requête de la Libre Pensée1. Dans ces conditions, sur le temps de service, en uniforme et au vu de tous, l’État-major de l’armée de l’air a présidé une cérémonie de remise de décorations sous la protection supposée du Chef de la Milice céleste, ce qui constitue une violation caractérisée de la Constitution, de la Séparation des Églises et de l’État et du Code de la défense.

Tandis que le gouvernement auquel vous appartenez, pour tenter de faire oublier aux familles le manque cruel de professeurs et la dégradation inquiétante et continue de l’Instruction publique, a mené lors de la rentrée scolaire, au nom de la défense de la laïcité, une offensive contre l’abaya, qui n’est pourtant pas en elle-même une tenue religieuse musulmane, le Président de la République s’est invité à une messe célébrée par le pape à Marseille et a implicitement cautionné, en sa qualité de chef des armées, la cérémonie militaire sous influence catholique d’Orange.

Dans ces conditions, l’inauguration du bâtiment affecté à la BFSA, forte de 4 000 hommes et composée notamment de trois commandos parachutistes de l’air, s’est trouvée, elle aussi, placée sous les auspices de l’archange Saint-Michel. Notons que la création de la BFSA vise à préparer les conflits de demain et s’inscrit donc dans l’ensemble de mesures gouvernementales en faveur des armées, au prix des sacrifices imposés par ailleurs à la population. La loi de programmation militaire tend à porter les dépenses du ministère des armées à 2 % du produit intérieur brut en 2025, les crédits consacrés à ce département, passés de près de 36 à près de 44 milliards d’euros, ayant progressé de 22 % de 2019 à 2023.

De même, le projet de Service national universel (SNU), qui pourrait coûter deux milliards prélevés sur le budget de l’Éducation nationale, tend à préparer les jeunes générations davantage à la guerre qu’à la paix. Dans le même temps, les régimes sociaux sont durement frappés : l’âge légal de départ à la retraite a été reporté, à la hussarde, de 62 à 64 ans alors même que l’équilibre général des régimes n’était pas sérieusement en péril ; les modalités d’indemnisation du chômage ont été durcies ; comble du cynisme, la réforme du RSA devrait se traduire par l’obligation pour les bénéficiaires de mener une activité gratuite pendant quinze ou vingt heures par semaine.

Qu’importe les souffrances de la population dont les besoins demeurent insatisfaits.

Monsieur le Ministre,

Le temps où l’on parlait de « l’alliance du Sabre et du Goupillon » est bien fini. Il a été définitivement clos par la loi du 9 décembre 1905 de Séparation des Églises et de l’État. En ce sens, c’est une violation de la laïcité que de parler de « saint-patron » pour un corps quelconque de fonctionnaires. Cela ne peut exister dans une République dite laïque.

Sous l’Ancien-Régime et le Concordat quand le goupillon ruisselait d’eau bénite, le sabre pouvait frapper plus fort sans doute, mais cette époque est révolue. Nous voyons dans toutes ces opérations la volonté de revenir à une situation ante. Il y a là véritablement une marque de « séparatisme catholique » par rapport à la Nation toute entière.

Monsieur le Ministre,

La FNLP exige donc que les rituels militaires respectent scrupuleusement le caractère laïque de la République française et notamment l’article L. 4121-2 du Code de la défense. Elle dénonce aussi l’accroissement considérable des dépenses militaires et l’opération d’embrigadement de la jeunesse que serait le SNU s’il devait aboutir.

Enfin, à l’approche du cent-cinquième anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918, avec la volonté de rendre justice aux intéressés et dans un esprit de défense de la paix aujourd’hui fortement menacée, notamment en Europe, elle entend toujours obtenir la Réhabilitation des 639 Fusillés pour l’exemple de la Grande Guerre, exécutés, le plus souvent en présence de prêtres au mépris de la liberté de conscience des condamnés, sur le fondement des parodies de procès des Conseils de guerre spéciaux.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, à l’assurance de nos sentiments laïques et républicains.

La Fédération nationale de la Libre Pensée

Valmy, le 2 octobre 2023

1 CE, 7 avril 2023, n° 468934.

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