cofondateur de la Vigie de la Laïcité
Si nous ne voulons pas que la laïcité devienne un énième mot galvaudé, faisons-la vivre pleinement, suggère dans une tribune à « l’Obs » l’ancien rapporteur général de l’Observatoire de la Laïcité. Cela suppose, selon lui, de suivre le conseil de Jean Jaurès : « La République doit être laïque et sociale. Elle ne sera laïque que si elle devient sociale ».
Publié le 22 septembre 2023 à 8h00
Depuis une quarantaine d’années, la laïcité n’est le plus souvent que l’occasion de polémiques et de débats binaires entre « toutologues » de plateaux. La laïcité est un principe cher aux Françaises et Français qui, dans leur très grande majorité, en apprécient presque intuitivement l’esprit et le texte. Mais il est aussi immensément sensible tant il renvoie à nos identités, nos principes de vie commune et notre histoire démocratique. En débattre ne devrait pourtant pas se limiter à succomber au « toujours plus » de restrictions nouvelles, au « toujours moins » de libertés face à un accroissement d’une visibilité religieuse dont on ne cherche ni les causes ni les raisons.
En 2019, peu de temps avant sa suppression, l’Observatoire de la Laïcité avait mené à ce sujet une importante étude [PDF], saluée par les acteurs de terrain et les praticiens mais passée quasiment inaperçue dans l’information grand public, tant le temps médiatique ne coïncide plus que trop rarement avec celui de la réflexion. Dans cette analyse, nous revenions sur les raisons de ce regain du visible. Celui dont on entend le plus parler, l’islam, mais aussi désormais celui constaté au sein de certains courants catholiques, juifs ou de toute religion établie. Même si, dans ces derniers cas, la réception par l’opinion publique ou médiatique est bien différente.
La religion comme valeur refuge
Cette étude relevait qu’il n’y avait pas de retour de la religion (puisque la sécularisation continue, avec une part de croyants en baisse, y compris dans la population dont les deux parents sont musulmans) mais plutôt un recours à la religion. Recours qui peut être celui du croyant assumant sa foi dans une démocratie libérale. Mais aussi recours à la religion chez de nouveaux croyants peu au fait de celle-ci, lié aux fragilités sociales, économiques ou psychologiques dans un monde individualiste et incertain ; recours lié à l’échec d’idéologies séculaires ; recours lié à des conflits d’identité et à un passé colonial trop largement occulté ou mal traité ; recours qui peut aussi être lié à des ingérences étrangères sur lesquelles nous sommes si ambigus. Ainsi, nous faisions le constat d’un recours à la religion comme valeur refuge. L’une des conséquences possibles pouvant être, selon les cas, une interprétation religieuse (quelle qu’elle soit) caricaturale, ou conservatrice, voire violente.
Cette étude nous éloignait des analyses à courte vue que l’on entend à l’occasion de la moindre polémique laïque. Si certains médias ou certaines émissions s’essaient à une prise de hauteur louable en ces temps de buzz, le plus souvent, ces polémiques ne retiennent l’attention que pour disserter sur un vêtement, un signe et, parfois, sur le rapport des élu·e·s aux religions et au principe de séparation. Or, il ne s’agit pas de nier, il s’agit de comprendre. C’est aussi simple que ça et c’est bien la seule chose simple dans cette histoire. Comprendre, ça prend du temps et ça interdit les outrances et l’à-peu-près.
La laïcité mérite mieux que les raccourcis d’un débat médiocre. Cessons de nous enfermer dans un cercle infini de cas d’espèces qui ne pourraient se résoudre que par des interdictions nouvelles. Toutes ces polémiques, si on tient vraiment à les traiter avec sérieux, impliquent qu’on s’intéresse à leur histoire et à celle de notre regard. C’est dans la réalité sociale que ça se passe, pas sur les plateaux entre deux prescripteurs d’opinion qui prétendent comprendre aussi bien la laïcité que le changement climatique et qui, in fine, traitent aussi mal l’un et l’autre. La laïcité parle de nous, elle mérite qu’on écoute, qu’on comprenne, qu’on prenne le temps.
Si nous ne voulons pas que la laïcité devienne un énième mot galvaudé dont le sens ne sera plus qu’un lointain souvenir ou une odieuse falsification, faisons-la vivre pleinement. La laïcité n’est pas un instrument à la main de quelques politiques insincères, c’est un trésor collectif qui se conjugue au présent.
Question laïque et question sociale
Cela suppose de ne jamais oublier le lien intime entre la question laïque et la question sociale. Jean Jaurès, un des principaux artisans de notre laïcité française, l’avait exprimé à l’occasion du débat parlementaire précédant l’adoption de la loi du 9 décembre 1905. Son propos pouvait se résumer par la formule : « La République doit être laïque et sociale. Elle ne sera laïque que si elle devient sociale ».
En ce sens, la laïcité en actes, c’est la République en actes. Les solutions existent. Elles impliquent de la volonté et du courage. Elle réclame un regard qui voit plus loin que la prochaine échéance électorale. Elle exige de sortir du cynisme et du calcul, en agissant pour le commun : renforcer la mixité socioculturelle dans l’habitat, les établissements scolaires, les loisirs et le travail ; intégrer partout toutes les cultures qui ont participé à notre culture commune ; ne plus faire l’impasse sur l’histoire de notre passé colonial ; lutter plus durement contre toutes les formes de discriminations et d’exclusions ; renforcer l’enseignement laïque des courants de pensée et des faits religieux à l’école pour permettre les prises de recul nécessaires et mieux appréhender le monde ; aider à la structuration de cultes indépendants d’ingérences étrangères ; assurer une régulation de réseaux sociaux parfois porte-voix de l’extrémisme ou du complotisme.
Notre responsabilité collective, politique, médiatique, citoyenne, c’est d’abord de bien nommer les choses. Ensuite, expliquer, convaincre, fabriquer la réalité et accomplir les gestes concrets qui permettent au projet républicain d’être une réalité. La laïcité a été pensée pour accompagner l’accomplissement de notre devise qui est le plus beau des programmes : « Liberté, égalité, fraternité ». Quelques mots qui méritent qu’on s’y attarde, tant est beau ce qu’ils réclament de nous.
BIO EXPRESS
Nicolas Cadène est membre de l’académie de Nîmes, cofondateur de la Vigie de la Laïcité et ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité
Par Nicolas Cadène
cofondateur de la Vigie de la Laïcité