Selon le journal électronique Médiapart du 16 novembre 2023, la Présidente de la région Île-de-France, Mme Valérie Pécresse, s’apprête à faire attribuer par cette collectivité une subvention de 20 000 euros en faveur de l’association Défense des serviteurs de la République, dont le secrétaire général est M. Didier Lemaire, et ce en vue d’organiser au début de l’année 2024 un colloque de « prévention de l’islamisme ». Créée en mars 2017, cette association était en déshérence quand M. Didier Lemaire en prit le contrôle en 2021, comme il l’a indiqué implicitement dans un article publié dans la vénérable, mais réactionnaire Revue des deux mondes1.
En dépit du thème – en réalité la prévention contre l’Islam plutôt que de l’islamisme – et du montant de l’aide publique envisagée – assez élevé pour la tenue d’un colloque probablement confidentiel -, cette affaire ne mériterait pas de s’y attarder si M. Didier Lemaire n’était pas au centre de celle-ci. Professeur de philosophie dans un lycée de cette ville, fraîchement encarté au Parti républicain solidariste (PRS) de Mme Laurence Taillade qui enfourche la laïcité pour conduire une croisade antimusulmane, l’intéressé défraya la chronique en février 2021, quelques mois après l’élection municipale de Trappes, en plein débat autour du projet de loi « Séparatisme ».
Il fut alors l’idiot utile de l’extrême-droite en menant une campagne orchestrée par une série de moyens d’information, notamment C News, Sud-Radio et Causeur : se prévalant de l’abominable assassinat de Samuel Paty survenu moins de six mois auparavant, il se présentait alors comme menacé dans sa chair par les islamistes au point d’être l’objet d’une protection policière rapprochée. En réalité, la police se bornait à renforcer la surveillance de l’établissement dans lequel il était affecté.
Cette mise en scène fit trois heureux : M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, artisan du projet de loi « Séparatisme », dont l’annonce avait d’ailleurs été faite aux Mureaux, dans le même département, par le Président de la République le 2 octobre 2020 et qui trouvait un porte-voix apparemment candide ; M. Othman Nasrou, porte-parole dans les Yvelines de Mme Valérie Pécresse aux élections régionales de 2015 et candidat malheureux à la mairie de Trappes en juin 2020 qui profita de l’aubaine pour obtenir l’invalidation de l’élection municipale de cette commune, mais ne parvint pas totalement à ses fins puisque M. Ali Rabeh fut réélu en 2021 dès le premier tour avec plus de 58 % des voix ; enfin M. Didier Lemaire lui-même qui bénéficia d’une discrète mutation vers des cieux plus agréables.
Pour prix de son engagement sinon de son sens des nuances – il avait soutenu à tort, lui qui les fréquente peu si l’on en juge par sa chevelure, qu’il n’y aurait pas eu de salon de coiffure mixte à Trappes -, M. Didier Lemaire a bénéficié de la protection de Mme Valérie Pécresse qui le nomma, en pleine campagne pour l’élection présidentielle, chargé de mission, en février 2022, puis chef adjoint du service éducation artistique de la direction de la culture de la région Île-de-France.
Cette bienveillance appuyée n’a plus de limite : bien qu’elle soit encore très peu active, l’association Défense des serviteurs de la République de M. Didier Lemaire pourrait désormais bénéficier des largesses de la région.
Ce dernier renvoi d’ascenseur entre amis ressemble à s’y méprendre à un conflit d’intérêt, compte tenu de la position de M. Didier Lemaire dans l’administration régionale et même si l’intéressé n’a pas formellement mis la main à la décision de subventionner son association.
En Île-de-France comme ailleurs, le discours antimusulman paraît mieux récompensé que celui, vilipendé par les puissants d’aujourd’hui, des défenseurs de la Séparation des Églises et de l’État.
Que ta main droite ignore ce que fait ta main gauche,
mais n’oublie pas de ramasser la monnaie quand même !
Paris, le 26 novembre 2023
1 Didier Lemaire, Défense des serviteurs de la République : pour qu’il y ait enfin un avant et un après Samuel Paty, in Revue des deux mondes, décembre 2021.
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On a reçu cela :
Permettez-moi de corriger un jugement de fait erroné de votre article. Suite à la publication de ma lettre aux enseignants dans L’Obs en novembre 2020, j’ai été placé sous escorte policière. Mes allers-retour
de mon domicile au lycée étaient accompagnés par une voiture police. D\’autres mesures de protection au sein de mon établissement ont été instaurées.
Vous pouvez vérifier cette information auprès des commissariats de Trappes et d’Élancourt.
Parallèlement, mon domicile a fait l\’objet d\’une surveillance de la gendarmerie nationale.
À partir de janvier 2021, un nombre variable de policiers, en civil ou en uniforme ont été placés aux alentours du lycée,
parfois très lourdement armés. Puis, le 11 février 2021, la cellule de la police nationale chargée d\’évaluer les menaces
qui pèsent sur les personnes, l\’UCLAT, m\’a placé sous le Service De La Protection, ce que l\’on appelle une « protection rapprochée ».
Je précise, si besoin est, qu\’aucun citoyen, en France, ne peut demander d’un claquement de doigts
une protection policière et que ce ne sont bien évidemment pas de simples allégations ou même un dépôt plainte qui y donnent droit. Pour le reste, votre article suppute toutes sortes de liens secrets entre la parole d\’un lanceur d\’alerte,
qui a toujours pris soin, au demeurant, de distinguer islam et islamisme, et des faits qui n’ont aucun rapport avec cette parole,
comme, par exemple, la décision d\’un juge administratif d’invalider une élection ou des complots ourdis avec la droite ou l’extrême droite.
Comment démentir des constructions intellectuelles qui relèvent de ce que Popper désigne comme des théories infalsifiables ? Vous auriez pu raisonnablement concevoir qu\’après une telle exposition médiatique,
et des calomnies venant aussi bien des salafistes qui contrôlent la ville que d\’un certain nombre de journaux ou de personnalités de gauche,
un professeur ne pouvait plus enseigner sans s\’exposer dangereusement mais la réalité de la menace islamiste
dans notre pays paraît manifestement vous échapper. Je m’en tiendrai donc là en vous priant de publier ce droit de réponse à votre article. Didier Lemaire