Audition à l’Assemblée nationale du 29 novembre 2023. Mission d’information sur le financement public de l’enseignement privé sous contrat

Messieurs les députés,

La Fédération nationale de la Libre Pensée (FNLP) vous remercie de bien vouloir entendre le point de vue de la plus ancienne association laïque du pays, les premiers cercles de Libre Pensée s’étant constitués à Paris en 1848. Celle-ci fut à l’avant-garde de la lutte contre le cléricalisme et du combat pour la séparation des Églises et de l’État, sous la présidence de Ferdinand Buisson, directeur de l’enseignement primaire de Jules Ferry en fonctions pendant dix-sept ans. Qu’il s’agisse des relations entre l’État et les cultes, en général, ou des rapports entre ces derniers et l’enseignement, en particulier, la FNLP adhère entièrement au cri lancé par Victor Hugo en janvier 1850 lorsqu’il affronta le comte Falloux et sa loi infâme à la tribune de l’Assemblée législative : « L’Église chez elle et l’État chez lui ». Ce n’est pas un hasard si ce monstre sacré des lettres françaises fut président de la Société de Libre Pensée de Besançon, sa ville natale.

Depuis 1960, fidèle au Serment de Vincennes pris au nom des onze millions de Français ayant signé une pétition dénonçant le projet inaugural anti-laïque de la Cinquième République, la FNLP exige l’abrogation de la loi Debré du 31 décembre 1959 modifiée relative aux rapports entre l’État et les établissements d’enseignement privés, désormais codifiée aux articles L. 442-5 à L. 442-20 du code de l’éducation, ainsi que de l’article L. 442-21 concernant l’enseignement agricole privé, issu de la loi Rocard de 1984. Cette demande ne met pas en cause, bien au contraire, son profond attachement à la liberté de l’enseignement.

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Sans en revendiquer le legs exclusif – ce serait tout à fait inconvenant de sa part -, la FNLP partage avec l’ensemble de la nation l’héritage de Condorcet qui, dans ses Cinq mémoires sur l’instruction publique de 1791 prolongés par son Rapport présenté le 20 avril 1792, affirme le principe de la liberté de l’enseignement tout en préconisant un système d’instruction publique complet, laïque, gratuit et ouvert, à égalité, aux filles comme aux garçons. Il écrit : « Tout citoyen pourra former librement des établissements d’instruction. » Elle partage aussi le libéralisme, au sens politique et initial de ce terme, qui fonde la loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire dont l’article 4, aujourd’hui codifié à l’article L. 131-2 du code de l’éducation, prévoit que l’instruction « peut être donnée soit dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu’il aura choisie. » À cet égard, la FNLP considère que l’article L. 131-11-1 introduit dans ce code par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, en tant qu’il restreint drastiquement la liberté d’instruire les enfants dans la famille, constitue une atteinte grave à la liberté fondamentale de l’enseignement. C’est pourquoi elle en demande l’abrogation, comme de l’ensemble du texte d’ailleurs.

La FNLP est attachée à la liberté de l’enseignement parce qu’elle est indissociable de la liberté de conscience garantie par l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Sur le fondement de cette conviction profonde de tout laïque authentique – du moins pour ce qui concerne la France, la situation pouvant être différente dans d’autres pays -, d’un côté, elle récuse la nationalisation de l’enseignement privé, dans la mesure où celle-ci peut conduire, en réalité, à la dilution de l’enseignement public dans un vaste système d’éducation où peuvent prospérer à leur aise les religions, comme le prévoyait le funeste projet de loi Savary de 1984. De l’autre, elle dénonce la dilapidation des fonds publics en faveur des écoles confessionnelles qui constituent la béquille de tous les obscurantismes, de tous les cléricalismes et de toutes les religions. D’ailleurs, toute vraie liberté ne doit-elle pas s’exercer en dehors de la tutelle de l’État de même que toute véritable démocratie ne doit-elle pas s’appuyer sur l’instruction laïque à tous les degrés ? Au surplus, les deniers publics doivent être exclusivement réservés à l’école de la République dans la mesure où celle-ci est, en dernier ressort, la seule à délivrer un enseignement véritablement libre, entièrement affranchi des croyances découlant de la foi du charbonnier, uniquement fondé sur la raison et la science.

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La loi Debré du 31 décembre 1959, dont l’objectif principal était de sauver l’enseignement catholique alors en perdition, a permis à l’Église romaine, la seule concernée en fait, de conserver le pouvoir de distiller à bas bruit le dogme auprès de deux millions de jeunes consciences et de disposer de moyens importants. Le financement public des établissements confessionnels sous contrat d’association paraît une entorse majeure au principe d’interdiction de subventionner les cultes posé par la loi du 9 décembre 1905 – même si l’enseignement privé ne peut être juridiquement assimilé à ces derniers -, également un pas de côté important par rapport au Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui indique que « L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat » sans faire la moindre référence à l’enseignement privé, enfin un anachronisme du même ordre que la loi Falloux dans l’histoire de la République. Dans un discours du 30 juillet 1904 prononcé à Castres, Jean Jaurès posait la question suivante : « Comment la démocratie, qui fait circuler le principe de laïcité dans tout l’organisme politique et social, permettrait-elle au principe contraire de s’installer dans l’éducation, c’est-à-dire au cœur même de l’organisme ? » La Cinquième République a jeté la préoccupation de Jean Jaurès aux orties en sauvant l’enseignement catholique et en le traitant à parité avec l’enseignement public.

Le coût global de l’enseignement privé sous contrat s’élève à plus de treize milliards d’euros. L’État en supporte l’essentiel, 9,3 milliards résultant de la rémunération de 143 000 professeurs (8,0 milliards en 2022), de celle des personnels non enseignants du second degré (près de 0,7 milliard d’euros) et du financement public de l’enseignement agricole privé qui draine un élève sur deux de cette filière (0,6 milliard d’euros). Cette somme représente 2 % des dépenses du budget de l’État et 2,6 % des recettes avant prélèvement au profit de l’Union européenne et des collectivités territoriales. De leur côté, celles-ci versent environ quatre milliards d’euros à l’enseignement privé sous contrat, qu’il s’agisse de la contribution des communes allouées aux classes du premier degré de l’enseignement privé ainsi que des frais de matériel pédagogique et de personnels non enseignants des lycées et collèges confessionnels dans la proportion des agents de l’espèce de l’enseignement public gérés par les régions et les départements. À cet égard, la FNLP constate que les aides à l’enseignement privé n’ont cessé de s’élargir : prise en compte des dépenses facultatives exposées par les communes au profit des élèves de l’enseignement public dans le calcul des dotations à verser aux établissements privés sous contrat du premier degré (CE, 12 octobre 2011, OGEC Fénelon, n° 325846) ; prise en charge par les communes des frais de scolarité des élèves fréquentant des établissements privés situés dans d’autres collectivités et/ou dispensant un enseignement en langues régionales ; abaissement de l’âge de l’obligation scolaire de six à trois ans dans le seul but d’imposer aux communes le financement obligatoire des classes préélémentaires – le nombre d’élèves de trois ans non scolarisés en maternelle s’élevait seulement à 25 000 environ.

Le financement public de l’enseignement privé sous contrat n’est assorti d’aucune autre contrainte que celles consistant à délivrer les programmes de l’enseignement public et à accueillir sans distinction tous les élèves que leurs familles souhaitent y inscrire. Cette dernière obligation n’est d’ailleurs en aucune façon une contrainte dans la mesure où les établissements privés ne sont pas tenus par la carte scolaire et choisissent en réalité leurs élèves. Dans un rapport public thématique de juin 2023, la Cour des comptes note que la population scolaire de l’enseignement privé sous contrat est issue nettement plus fortement que celle de l’enseignement public de familles socialement favorisées. La FNLP observe, à cet égard, que M. le député Paul Vannier a tenté, en vain, de modifier la situation présente en proposant d’introduire dans la loi de finances initiale pour 2023 un amendement tendant à proportionner les contributions publiques à l’enseignement privé sous contrat aux efforts de celui-ci pour lutter contre les inégalités sociales : un tabou qu’il est toujours périlleux d’évoquer tant l’enseignement catholique est prêt à la guerre scolaire. En définitive, M. Pap Ndiaye, l’ancien ministre de l’éducation nationale a conclu avant son départ un accord non contraignant avec le secrétariat général de l’enseignement catholique par lequel ce dernier, la main sur le cœur, a bien voulu s’émouvoir de cette situation.

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En définitive, le financement public de l’enseignement privé aboutit à favoriser les inégalités sociales devant l’instruction, à permettre à l’Église romaine de maintenir gratuitement, autant qu’elle en est encore capable, son emprise sur deux millions d’élèves et à priver l’enseignement public des moyens qui lui font défaut. C’est pourquoi, tout en étant fidèle au principe de liberté de l’enseignement sans laquelle il n’est pas de liberté de conscience, la FNLP exige depuis 1960 l’abrogation de la loi Debré et de tous les textes qui l’ont amendée, toujours dans le sens d’une extension d’une forme de privilège peu compatible avec l’égalité des droits et l’essence même d’une République laïque et sociale.

Dominique Goussot,
Vice-Président de la Fédération nationale de la Libre Pensée
Responsable de la Commission « Droit et Laïcité »

 

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