La Raison n°669 mars 2022 est parue

Pour nous suivre

L’éditorial du Président :

Une date historique : La nuit du 13 janvier 2022

L’incroyable a eu lieu. Un communiqué envoyé à nos Fédérations le 14 janvier 2022 titrait : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ». L’Assemblée nationale votait par 39 pour, 26 contre et 9 non exprimés la proposition de loi portée par le groupe de la France insoumise. Lors de la commission de défense, les groupes PCF et socialistes avaient fait savoir qu’ils voteraient la proposition. Le groupe de la majorité LREM y avait fait connaître son opposition. Mathématiquement, la proposition aurait dû être repoussée, mais les députés de la majorité ont joué l’absence pour des raisons diverses. Beaucoup d’entre eux sans doute éprouvaient un certain malaise à s’inscrire à l’encontre d’une loi de mémoire légitime, souhaitée par une majorité dans notre pays et œuvre de simple justice. Six de leurs députés ont même voté pour, contre l’avis formel du gouvernement macroniste.

Nos Fédérations s’étaient mobilisées pour visiter les députés, tous les députés car nous considérions que cette cause traversait largement les clivages politiques. Nous en avons eu la preuve car 44 députés de tous bords ont co-signé la proposition de loi.

La séance elle-même, tardive dans la nuit du 13 janvier, a été empreinte d’émotion. Les interventions de Bastien Lachaud, rapporteur du projet de loi, et d’Alexis Corbière, sobres et dignes, ont mis en relief la nécessité de cette reconnaissance de l’arbitraire qui présida à l’exécution de nombre de soldats. La surprise provint de la déclaration du député LR Philippe Gosselin qui, des larmes dans la voix, relata à l’appui de son vote favorable comment son grand père, avocat militaire commis d’office aux quatre caporaux de Souain, les avait défendus vaille que vaille à la lueur d’une bougie dans une salle de classe. En dépit de sa plaidoirie les quatre soldats furent fusillés dès l’aube suivante. À travers l’intervention de ce député c’est la mémoire même de l’injustice militaire qui s’exprimait de manière poignante sur les bancs de l’assemblée.

Tout n’est pas joué, bien entendu puisque cette adoption en première lecture implique l’envoi au Sénat pour examen. Cependant c’est un pas immense qui a été franchi dans notre combat de décennies pour qu’enfin cette réhabilitation collective soit prononcée. Ce que quatre présidents de la République ont refusé de faire ou n’ont pas fait vient d’être réalisé par le courage, que nous saluons, d’un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale.

1988 – 2022 : Trente-quatre ans de combats de la Libre Pensée depuis que nous avons remis à l’honneur le monument aux morts qui orne la place centrale de Gentioux dans la Creuse, ce monument ou un écolier en blouse grise lève le poing au-dessus de l’inscription accusatrice : « Que maudite soit la guerre ». Depuis, le nombre de nos rassemblements pacifistes et antimilitaristes n’a fait que s’accroître d’année en année, et un des points forts de cette campagne a consisté en l’érection sur souscription d’un monument à la gloire des Fusillés pour l’exemple à Chauny, dans l’Aisne, sur la ligne de front. Nous avons pu dire en cette occasion que nous étions la République, que le peuple est la République et que le peuple avait prononcé la réhabilitation. Le vote historique du 13 janvier 2022 en est la confirmation.

C’est une victoire pour la Libre Pensée, mais aussi pour toutes les organisations et associations qui, nationalement ou localement ont soutenu ce combat de justice et de mémoire. Elles sont trop nombreuses pour que je me permette de les citer dans cet éditorial. Peut-être dans un avenir proche, pourrons-nous fêter ensemble l’aboutissement de ce long combat.

Puisque nous dressons un bilan de ce vote historique, nous avons eu aussi le déplaisir d’entendre la voix des fusilleurs. Dans le débat préalable en commission de défense, Madame Beaudouin-Hubière, députée LREM, déclarait : « Vous le savez bien mieux que moi, si beaucoup de soldats qui ont été exécutés par ces cours martiales, l’ont été pour de mauvaises raisons, certains étaient de doubles, triples voire quadruples déserteurs. » En bref, certains ont été fusillés pour de bonnes raisons. On justifie la peine de mort et on met en doute l’analyse précise qui a conduit aux 639 noms de la part des historiens.

Il serait plutôt inimaginable que le Sénat retoque une telle loi adoptée par l’assemblée mais, comme tout est possible, nos Fédérations vont reprendre le combat vis-à-vis des sénateurs. Nous irons les voir, tous, pour qu’ils ratifient par leur vote cette loi nécessaire.

Pour terminer, je me permets de détourner une de ces citations latines qui faisaient jadis le cœur des pages roses du dictionnaire Larousse : « Si vis pacem, pugna bellum » (si tu veux la paix, combats la guerre). Nous continuerons.

Jean-Sébastien Pierre, Président de la Libre Pensée

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