Sortir des lieux communs à propos de la Corse

Pour nous suivre

On peut lire ici ou là que la Corse serait constituée de départements français comme les autres. Il faut donc rappeler des éléments de l’histoire qui ne sont pas nécessairement connus.

Nous ne traiterons pas ici de la Révolution de 1755 dirigée par Paoli, de sa modernité, de l’occupation militaire par la monarchie à partir de 1768.

I-

Pascal Paoli

En 1789, la Corse est occupée militairement et l’occupation est particulièrement brutale. Quand la Révolution commence, celle-ci est accueillie avec enthousiasme. C’est la fin de la tyrannie. Les députés corses à l’Assemblée font adopter le rattachement de la Corse. Une histoire nouvelle semble commencer. D’autant que Paoli et les siens sont amnistiés et peuvent revenir en Corse.

Accueillant Paoli au Club des Jacobins, le 26 juin 1790, Robespierre déclare « Messieurs. Le jour où la Société des amis de la Constitution reçoit les députés du peuple corse, est pour elle un jour de fête. Déjà, Messieurs, elle vous avait exprimé ces sentiments, quand, pour admettre dans son sein M. Paoli, elle suspendit les règles ordinaires qu’elle s’est prescrites. C’est un hommage qu’elle a voulu rendre à la liberté, dans la personne de l’un de ses plus illustres défenseurs.


La liberté ! Nous sommes donc aussi dignes de prononcer ce nom sacré ! Hélas ! Il fut un temps où nous allions l’opprimer, dans l’un de ses derniers asiles… mais non : ce crime fut celui du despotisme… Le peuple français l’a réparé. La France libre, et appelant les nations à la liberté ! Quelle magnifique expiation pour la Corse conquise, et pour l’Humanité offensée !

Généreux citoyens, vous avez défendu la liberté dans un temps où nous n’osions l’espérer encore. Vous avez souffert pour elle ; vous triomphez avec elle, et votre triomphe est le nôtre. Unissons-nous pour la conserver toujours ; et que ses lâches ennemis pâlissent d’effroi, à la vue de cette sainte confédération qui, d’une extrémité de l’Europe à l’autre, doit rallier sous ses étendards tous les amis de la raison, de l’Humanité et de la vertu »1.

De ce vibrant hommage, retenons deux choses. Robespierre distingue nettement la Corse et la France. Et il propose une confédération entre les deux. On est bien loin du jacobinisme fantasmé ! Mais la sage et pertinente vision de Robespierre n’est pas retenue. C’est même l’inverse.

Cela se manifeste explicitement et sans détour sur deux points.

II-

Filippo Buonarroti

D’abord, « un des aspects les plus nets de la politique royale est l’expropriation foncière des biens communaux rattachés arbitrairement au domaine de la Couronne et distribués sous forme de concessions à des fonctionnaires royaux, à des colons ou à des notables corses ralliés à la Monarchie2. Cette question des biens communaux est assurément la question clé de la Révolution en Corse et, peut-être même de l’histoire de la Corse. Suivant le Plan Terrier, 30% de la superficie de l’île appartenait aux communes, ce qui est considérable, et ces terres deviennent un objet de convoitises acharnées.» Ces biens communaux usurpés avaient été considérés dans un premier temps comme faisant partie des biens nationaux comme les biens du clergé. Un rapport les excluant de ceux-ci est voté mais il n’est jamais appliqué. En 1793, le révolutionnaire Buonarroti parle de « l’espoir de voir bientôt révoquées toutes les concessions génoises et françaises »3. Cette question est d’ailleurs à l’origine de la spéculation foncière et hôtelière notamment sur le littoral.

Le deuxième aspect est non moins important. Le protectionnisme cher aux Girondins exclut la Corse du droit national. François de Nantes présente le 23 mai 1792 à l’Assemblée législative un décret qui stipule « les importations de la Corse dans les ports de France seront traitées comme celles venant de l’étranger4». Typique d’un système colonial. Cela va perdurer (y compris, sous une certaine forme, actuellement).

La désastreuse expédition militaire contre la Sardaigne, décidée par les bellicistes Girondins, aboutit à la rupture. Quand Robespierre est au Comité de salut public (juillet 1793-juillet 1794), la Corse est en sécession. Et c’est une logique de guerre qui s’exprime. Quand la Corse revient dans le giron en 1796, ce n’est pas la paix, mais une occupation militaire particulièrement brutale.

La règlementation douanière taxant les exportations depuis la Corse, mais détaxant les importations est prolongée avec l’Ordonnance de 1816 puis « la loi douanière de 1841, qui supprime les droits d’entrée en France sur certaines productions insulaires »5. Le 8 juillet 1912, ces dispositions sont formellement abrogées. « Mais l’histoire peut observer que l’initiative est arrivée trop tard, la métallurgie avait disparu sans laisser de traces, le retard des productions artisanales et de toute l’économie paraissait déjà insurmontable, l’émigration était enclenchée, etc. Derrière la dépression de fin de siècle et toutes les implications technico-économiques, la législation douanière ne peut être négligée dans l’étude des productions de la Corse, elle explique en partie les conditions et la structure de l’industrie »6.

III-

Au nom de l’élimination de bandits du maquis, qui étaient souvent d’ailleurs des agents électoraux de politiciens en place, le gouvernement Laval, fin 1931, envoie une expédition militaire de 600 hommes commandés par un général, avec deux tanks, une dizaine d’automitrailleuses, un avion de chasse, trois bateaux de guerre. Rappelons que la Guerre du Rif vient de se terminer et on utilise le même type de matériel. Le journal L’Oeuvre titre, par exemple, titre le 14 novembre 1931 : « Visions de guerre en Corse »7. Un journal relate : « Le préfet de Corse se dessaisit de ses pouvoirs de police. Il les délègue au général Fournier qui peut, ainsi, placer la région en état de siège,  ce qui a pour effet de suspendre les libertés publiques. » Des villages entiers sont raflés (Lopigna, par exemple). Entre la Guerre du Rif et la Guerre d’Algérie, mais avec les mêmes méthodes.

Le Parti communiste a tenu un meeting dans la salle prêtée par les Francs-Maçons du Grand Orient de France, rue Cadet. Devant une assistance composée pour la majorité d’exilés corses, le député Gabriel Péri soulève l’enthousiasme en lançant : « Pour que votre cause soit victorieuse, il faut qu’au-dessus des têtes des combattants flottent côte à côte le drapeau à la tête de Maure et le drapeau où s’entrecroisent la faucille et le marteau»8.

IV-

Encore quelques faits, rapidement. En 1805, le décret du 18 mars a autorisé le bilinguisme italien/français. En 1914-1918, le gouvernement envoie au front les pères de 6 enfants (disposition exclue sur le Continent). Le paludisme, endémique sur la plaine orientale, n’est éradiqué qu’à partir de 1943, car l’armée américaine y avait ses bases aériennes. Avec la fin du colonialisme en Algérie, les agriculteurs rapatriés qui s’installent en Corse bénéficient de prêts bonifiés (à taux zéro) qui sont refusés aux agriculteurs corses. Egalité, certainement. En 1960, la Corse est étudiée pour l’implantation d’un site d’essais nucléaires en Balagne : l’Argentella. Une déclaration d’amour, sans doute. Durant le mois de mai 1960, de nombreuses manifestations sont organisées et le projet est abandonné au profit de Mururoa.

Nous ne parlerons pas de l’histoire récente, mais chacun jugera à partir de ce que nous venons de rappeler : la Corse et la France c’est la même chose ? Vraiment ?

Jean-Marc Schiappa

(Rédigé avant l’annonce du décès d’Yvan Colonna)

Communiqué de la Fédération de Corse

de la Libre Pensée

Yvan Colonna, personne n’est dupe

Un « détenu particulièrement signalé » comme Yvan Colonna, statut qui lui a fait interdire par l’Etat français tout rapprochement au mépris des règles internationales de droit, a été sauvagement agressé par un codétenu à la prison d’Arles ce 2 mars 2022, ce codétenu agissant en toute impunité.

Comment cela est-ce possible ?

Comment cela a-t-il été possible sans la bienveillance, la passivité ou la complicité à un échelon ou à un autre ?

En refusant le rapprochement, l’Etat a donné le feu vert à toute tentative d’assassinat.

Comme le dit la famille d’Yvan, l’Etat doit rendre des comptes.

La Libre Pensée de Corse s’associe à toutes les protestations et manifestations organisées pour témoigner le soutien et exiger la vérité.

Jean Castex, Premier ministre, a indiqué qu’une enquête aurait lieu. Une enquête menée par les services étatiques sur les services étatiques… Qui peut y croire ?

La Libre Pensée de Corse se prononce pour une commission d’enquête indépendante.

La Libre Pensée de Corse exige le rapprochement des autres prisonniers corses.

Ajaccio, le 3 mars 2022


  1. Rappelé par Florence Gauthier dans L’Idée Libre 329, Corsica (épuisé). 

  2. Sur la politique domaniale de l’Ancien Régime, voir F. Pomponi, « la politique domaniale sous l’Ancien Régime » in A. h. R f., 1974, pp. 556-591 et J. Defranceschi, Recherches sur la nature et la répartition de la propriété foncière en Corse de la fin de l’Ancien Régime jusqu’au milieu du XIXe siècle, Ajaccio, 1986. 

  3. MS, Buonarroti, l’inoxydable, Ed. Libertaires, 2008, pp. 99, 120, 134. 

  4. Marcel Dorigny, « Recherches sur les idées économiques des Girondins” in Actes du colloque Girondins et Montagnards, Paris, 1975. 

  5. Pierre-Jean Campocasso, « Les principales productions industrielles de la Corse (1830-1960) » in https://p.21-bal.com/ekonomika/5797/index.html 

  6. Ibidem. 

  7. R. Schor, « La presse française continentale et l’extermination des bandits corses en 1931 » in Recherches regionales, 1982. 

  8. http://www.berthomeau.com/2019/11/