A propos de la destruction du Code du travail

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13 mars 2016

Emission animée par David Gozlan, Secrétaire Général de la Fédération Nationale de la Libre Pensée et Dominique Goussot, membre de la Commission Administrative Nationale de la Libre Pensée et Responsable de la Commission Droit et Laïcité.

D. Gozlan : L’émission s’intéresse aujourd’hui aux mouvements sociaux de ces derniers jours. Pourquoi la Libre Pensée s’intéresse à cette actualité sociale ? C’est ce que nous allons vous expliquer. Première question : Le Code du Travail. Dominique, qu’est-ce que le Code du Travail ?

Dominique Goussot : Avant d’aborder ce sujet je pense qu’il faut d’abord tordre le cou à une idée reçue selon laquelle le marché du travail serait particulièrement rigide en France. C’est exactement le contraire qui est la vérité, puisqu’actuellement la majorité des contrats de travail qui sont signés sont des contrats à durée déterminée. Peut-être serait-il intéressant, d’une part, de rappeler la raison d’être du Code du Travail, et d’autre part de rappeler ou d’expliciter le contenu de l’avant-projet de loi qui sera examiné par le conseil des ministres du 24 mars prochain.

Pour ce qui est de la raison d’être : le Code du Travail a été créé en 1910 pour rassembler divers textes épars dans l’ordre juridique national et notamment incorporer la grande loi de 1884 introduisant la liberté syndicale. Cette année 1910 n’est pas tout à fait un hasard puisque c’est également l’année au cours de laquelle on a créé les retraites ouvrières et paysannes, premier système de retraite qui a existé dans notre pays, institué par l’Etat.

Progressivement le Code du Travail a pris en compte le déséquilibre des deux parties au contrat de travail : d’un côté l’employeur et de l’autre le salarié qui lui est subordonné. Le but de la législation du travail est d’éviter que ce déséquilibre ne soit trop défavorable au salarié. Pour réduire ce déséquilibre le droit du travail a d’une part introduit les dispositions législatives et réglementaires qui protègent les travailleurs, par exemple la sécurité au travail, d’autre part il crée une catégorie spécifique de contrat civil qui est le contrat de travail à durée indéterminée, qui est le contrat de droit commun, enfin il a donné un cadre juridique à la négociation collective qui est une source essentielle de droits protecteurs pour les salariés.

Quel est le contenu de la réforme actuelle ?

D. Gozlan : Elle a déjà une origine parce qu’elle vient de plusieurs rapports. C’est à la fois le rapport Combrexelle et le rapport Badinter qui ont été en quelque sorte fusionnés pour donner ce projet de loi.

Dominique Goussot. : Effectivement plusieurs rapports ont été remis au Premier ministre pour préparer cette loi et donc cet avant-projet reprend en partie les préconisations de ces rapports et ce qu’il faut bien comprendre c’est que l’avant-projet de loi El Khomri contient une disposition qui prévoit une réforme en profondeur du Code pendant plusieurs années.

Quels sont les trois éléments importants à retenir de l’avant-projet actuel ?

D’une part, il y a ce que l’on appelle l’inversion des normes en matière de droit du travail. Le régime actuel est le suivant : la loi fixe un socle de droits, les accords de branche peuvent aller bien au-delà de la loi et peuvent être étendus à l’ensemble du pays ce qui fait que cela répond au principe d’égalité qui régit la République. Et puis l’accord d’entreprise lui ne peut aller qu’au-delà de l’accord de branche et ne peut jamais aller en deçà. Voilà le système actuel.

Quel est le régime envisagé ?

Le régime envisagé aurait pour effet d’accroitre les accords d’entreprise qui pourront être moins favorables que les accords de branche. Cela s’est pratiqué dans d’autres pays – Espagne et Portugal – et l’on a vu le nombre d’accords de branches être réduit à une peau de chagrin car évidemment ce qui est essentiel pour les employeurs, dans un tel cadre juridique, ce sont les accords d’entreprise.

Dans les deux ans, l’avant-projet de loi prévoit une réécriture totale du Code du Travail qui distinguerait trois niveaux :

  • Les règles obligatoires d’ordre public
  • La négociation collective avec une préférence donnée à l’accord d’entreprise
  • Des dispositions supplétives en cas d’échec de la négociation qui pourront remettre en cause les droits acquis dans les accords de branches actuels.
  • Ce dispositif conduit au dépeçage progressif de tout l’ordre juridique actuel en matière de droit du travail.

Deuxième aspect : le contournement des syndicats

Actuellement la négociation collective est le monopole des organisations syndicales représentatives. Je tiens à rappeler d’ailleurs, à ce sujet, qu’il y a eu, il y a quelques années, la réforme de la représentativité des syndicats qui repose désormais non plus sur le fait qu’il y a une preuve irréfragable de représentativité, mais sur la base des résultats électoraux. Il faut qu’une organisation recueille 10% des voix des salariés d’une entreprise afin qu’elle y soit représentative même si nationalement elle l’est. Ce qui pose quand même des problèmes. Pour signer des accords il faut réunir un certain nombre de voix aux élections professionnelles.

Comment va-t-on contourner le rôle des syndicats ? En introduisant un référendum à l’initiative de l’employeur. On sait très bien que les référendums sont toujours « réussis » dans la mesure où la question posée appelle une réponse qui est connue d’avance. Si le texte va à son terme, on aboutira à des accords d’entreprises adoptés par référendum et non pas sur la base de la négociation collective par des organisations syndicales représentatives.

D.Gozlan : On comprend donc bien que cela vient d’autres rapports et que cela a une incidence sur les syndicats. Il est vrai que le rapport Combrexelle disait la chose suivante : « Il suffirait de le réduire (le Code du Travail) d’une façon drastique et de libérer ainsi des espaces au profit de la négociation. Enfin libérés des contraintes législatives et réglementaires multiples, les acteurs syndicaux et professionnels se saisiraient des nouveaux espaces de liberté au profit d’un dynamisme retrouvé de la négociation. » Nous avions écrit « Vous forgez une chaine et vous l’appelez liberté », citation de Victor Hugo, et c’est exactement ce que le rapport Combrexelle impliquait.

Comment ne pas percevoir, avec ce que tu viens d’expliquer Dominique, que ce sont des protections diminuées et qu’effectivement ce sont les syndicats qui sont en cause ? Nous avons justement interviewé deux responsables syndicats des Unions régionales Ile de France CGT et FO. Les voici.

Pascal Joly, Secrétaire général de l’Union Ile de France CGT.

Gabriel Gaudy, Secrétaire général de l’Union Ile de France CGT-FO.

D. Gozlan : Nous sommes en plein milieu de la manifestation de ce 9 mars, pouvez-vous nous dire en quelques phrases pourquoi cette manifestation ?

P. Joly : Notre mot d’ordre essentiel est très clair : il faut retirer ce projet de loi concernant le Code du Travail. En ce qui concerne la CGT, nous sommes pour une véritable négociation sur des bases complétement nouvelles, c’est-à-dire sur la base d’une feuille blanche. Pas seulement une concertation, mais une véritable négociation avec un rapport de forces qui est en train de se créer, parce que nous on tient à négocier avec un rapport de forces, et l’on considère qu’aujourd’hui c’est une première journée de mise en jambes sur un processus de mouvement, y compris jusqu’à la grève, qui va nous conduire à mon avis dans les prochains jours à faire monter encore le rapport de forces.

Je dis aux gens, aux jeunes et aux moins jeunes : mêlez-vous de ce qui vous regarde, des conditions dans lesquelles on veut vous faire travailler aujourd’hui et demain avec ce projet de loi. Ce sont des conditions qui ne sont pas acceptables pour la CGT. En ce qui nous concerne on va continuer le mouvement.

D.Gozlan : Merci. Et pour Force Ouvrière ?

G. Gaudy : Pour FO nous avons été amenés à négocier et à discuter avec nos camarades de la CGT, de la FSU et de Solidaires dans la dernière période pour se baser sur des mots d’ordre très clairs par rapport à la loi El Komri. Nous sommes donc sur une position tout à fait identique à celle de nos camarades de la CGT puisque nous sommes pour le retrait du projet de loi, bien évidemment. Nous considérons que ce texte, comme l’a indiqué la Confédération FO, n’est ni amendable ni négociable. Autrement dit, ce texte doit être revu totalement. Effectivement il doit y avoir de véritables négociations qui doivent se conduire et nous estimons qu’il est terriblement dangereux aujourd’hui, pas simplement sur ce qui est mis en exergue par rapport aux indemnités de licenciement au niveau des Conseils de Prud’homme, mais également sur des points qui sont ceux liés aux négociations et particulièrement aux négociations de branches qui disparaissent pour être remplacées par des négociations en entreprise avec des pressions qui s’exerceront du côté du patronat pour faire davantage de licenciements, davantage de flexibilité.

Et donc ces points, notamment celui du référendum à l’intérieur des entreprises, conduisent à faire en sorte qu’il y a des attaques très fortes bien évidemment et avant tout contre les salariés. Ceux qui sont privés d’emploi aujourd’hui et qui ne retrouveront pas la voie de l’emploi et également pour toutes les organisations syndicales qui sont menacées par les dispositions prises aujourd’hui au niveau de la loi El Komri.

D. Gozlan : un des arguments des promoteurs de cette loi est de dire que le Code du Travail est trop vieux. Qu’est-ce que vous leur répondez ?

P. Joly : Nous justement on leur propose d’avoir un Code du Travail très progressiste, très protecteur pour les salariés et qui peut être complétement neuf par rapport à celui d’aujourd’hui.  Mais je voudrai quand même dire que ce mois va être rythmé par différentes initiatives et journées de rendez-vous et qu’il va y avoir un gros temps fort où là FO et CGT sont engagées au côté de la FSU, de Solidaires et des organisations de jeunesse telles que l’UNEF, la FIDL et l’UNL : le 31 mars,  il faut que l’on est vraiment une grosse journée de grève et de manifestation partout dans le pays, que cela se mobilise dans les entreprises par tous les moyens y compris les moyens de la grève, car je crois qu’il est temps de stopper ce gouvernement qui depuis 2012 n’a eu de cesse de donner satisfaction au patronat et d’amputer les droits des salariés. Ce Code du Travail est un peu le paroxysme des attaques contre le monde du travail. Et là, on ne laissera pas faire !

D. Gozlan : Quelque chose à ajouter pour FO ?

G. Gaudy : Je crois que je n’aurai pas grand-chose à ajouter. Je suis en total accord. Nous avons eu des réunions qui étaient inter-régionales, qui nous ont conduits à décider ensemble qu’il y avait une nécessité absolue de faire en sorte qu’il y ait la grève interprofessionnelle qui puisse être déclenchée le 31 mars. Et nous indiquons de façon très claire pour ce qui nous concerne, que cette grève du 31 mars, avec les organisations de jeunes et les organisations syndicales, doit conduire au retrait. Et nous disons dans nos papiers « Jusqu’au retrait du projet de loi ! ».

Comme le disait Pascal, la mobilisation doit continuer. Nous sommes dans une situation qui nous amène à dire qu’on ne lâchera rien, comme on l’a fait contre la loi Macron, y compris si nous devons ponctuer, ensemble, par des actions jusqu’au 31 mars, par exemple le jour du passage en Conseil de Ministres, pour dire « nous sommes là et nous irons jusqu’au bout de notre démarche et jusqu’au retrait du projet de loi. ».

P. Joly : on sera là aussi !

D. Gozlan : Vous venez donc d’entendre Pascal Joly pour l’URIF CGT et Gabriel Gaudy pour l’URIF CGT-FO. Dominique, j’ai dit en début d’émission, La Libre Pensée s’intéresse à cette question du Code du travail. Mais cette question du Code du travail recoupe aussi toutes les questions de laïcité. Est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi ?

Dominique Goussot. : On en parle peu, mais l’avant-projet de loi pose d’autres problèmes. Le premier, c’est d’abord qu’il réduit le rôle du juge en matière d’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse puisque l’on va introduire un barème. Il éloigne également le juge en matière de licenciement économique puisque l’on déterminera dans la loi les critères qui fixent le bien-fondé du licenciement économique.

Il y en a d’autres qui touchent aux droits fondamentaux eux-mêmes et aux libertés fondamentales des salariés. Actuellement l’article L1121-1 du Code du Travail dit : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives, de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche accomplie. » Cela veut dire que l’on examine au cas par cas, au vu du travail effectué les restrictions éventuelles aux libertés fondamentales des citoyens que sont les travailleurs.

Cela entraine le principe de non-discrimination qui est largement décrit dans l’article 1132-1 du Code actuel. La nouvelle rédaction de l’article L1121-1 nous laisse penser que les droits fondamentaux vont être remis en cause puisque ce n’est plus la nature de la tâche accomplie qui sera le critère mais le bon fonctionnement de l’entreprise et la restriction ne sera pas individuelle mais collective, pour l’ensemble des salariés. Cela est une atteinte notamment à la liberté de conscience qui pour nous est essentielle.

D. Gozlan : Dominique merci. Je vous suggère pour le livre du mois « Pour la laïcité en Europe » que vous pouvez commander sur le site de la FNLP. C’est un livre collectif de 228 pages au prix de 16 euros port compris.