La Libre Pensée reçoit Franck Sammeth, président de la Société d’histoire du radicalisme

Dimanche 12 juin 2016

 Emission animée par David Gozlan, Secrétaire général de la Fédération de la Libre Pensée, qui reçoit Frank Sammeth, Président de la Société d’Histoire du radicalisme

 

Auditrices, auditeurs bonjour.

 

D.Gozlan : Bonjour Frank. Pour commencer peux-tu te présenter ainsi que ton association ?

F. Sammeth : C’est une association qui a été créée en 1982 par Marcel Ruby et dont je suis le président depuis 2014.
C’est une association qui regroupe tous les sympathisants de la pensée radicale, des deux partis radicaux d’aujourd’hui. Il y a aussi des chercheurs, des historiens, des sympathisants.
Nous publions des cahiers sur différents sujets et organisons de temps en temps des colloques. Nous essayons de faire vivre le radicalisme à la fois dans sa pensée mais aussi dans sa vie politique depuis la création du Parti Radical.

D.G. : C’est donc une société vivante d’histoire, ce qui nous intéresse à la Libre Pensée. Cela nous intéresse d’autant plus que des figures du radicalisme on peut en évoquer quelques-unes : Honoré Daumier, Léon Gambetta, Victor Schœlcher, Emile Combes, Jean Zay, Herriot et bien d’autres. A travers ceux que je viens de citer, du 19ème au 20ème siècle, la planète radicale est vaste et diverse.
De façon à cibler notre propos, je voudrais t’interroger sur la place des radicaux autour de la loi de 1905. Ce qui nous intéresse c’est la place des radicaux dans la construction de la loi : est-ce qu’ils ont été homogènes dans leurs pensées, est-ce qu’ils ont avancé d’un même pas, quelles ont été leurs différentiations, leurs points d’accroche, quel a été leur combat et leur rapport à cette loi ?

F.S. : Etre homogène ce n’est pas être radical car c’est un parti qui a toujours eu en son sein différentes tendances : les plus pragmatiques, les plus combatifs. C’est un parti qui a toujours vécu pour trouver en son sein un compromis entre les différentes tendances et cela s’est passé de la même manière pour la loi de 1905 qui est l’aboutissement d’un long combat qui commence au début de la Troisième République et qui a abouti par une loi en 1905 adoptée par un gouvernement qui n’est pas celui qui l’a initiée. La Troisième République est la république des radicaux. Il y a eu une succession au sein de la même famille politique.
A l’époque on trouve deux courants : ceux qui veulent aller très loin réunis autour de la personnalité très forte de Georges Clémenceau et ceux qui préparent le rapport comme Ferdinand Buisson et Aristide Briand. Les deux s’opposent non pas sur le fond ni sur la laïcité en tant que telle car elle fait consensus mais sur l’application. Clémenceau veut aller très loin, il est très anticlérical et il se souvient que le clergé est fondamentalement monarchiste à l’époque et se bat contre l’éducation républicaine. D’un autre côté, Briand et Buisson, avec le soutien de Jaurès, tiennent compte de l’application sur le terrain. La loi doit aller partout dans la république et du coup ils se disent prêts à écouter les catholiques qui veulent faire des remarques constructives. Chose à laquelle Clémenceau s’oppose fondamentalement.

D.G. : Il y a un schisme pour lui.

F.S. : Oui il y a un schisme

D.G. : Il y a un schisme tout le temps ?

F.S. : Non au contraire. Au début, quand la loi n’est pas encore passée, qu’il y a les discussions Clemenceau est très opposé. Mais ensuite lors de la querelle des inventaires, des hostilités sur le terrain qui vont faire des morts et de nombreux blessés, il se rend compte qu’effectivement lorsque l’on applique une loi censée être une loi de conciliation, une loi républicaine d’apaisement, qui crée tout de même des conflits, il se dit est-ce que ça vaut la peine d’exacerber ce conflit alors que l’on arrive au bout d’une loi. Du coup il change un petit peu de point de vue en disant : on arrive au bout des inventaires, si on voit que ça ne passe pas par la force, on ne va pas se frayer un chemin par la violence dans une commune où l’on se rassemble devant l’Eglise.
On arrive à la fin des inventaires, 90% sont faits.
C’est un des aspects les plus controversés de la loi. Les premiers articles passent mais dire ce qui est de la propriété de l’Eglise devient propriété privée, l’apparition des associations cultuelles, nécessite la création de ces inventaires et c’est là que le conflit prend jour et où Clemenceau, qui est très opposé à la loi parce qu’elle ne va pas assez loin, traite Briand de papaliste …

D.G. : Là les débats sont vifs entre eux !

F.S. : Oui les débats sont vifs parce que Clemenceau ni va pas par 4 chemins. Il est connu pour ses talents d’orateur et qui ne craint pas l’affrontement avec ses amis du même parti politique. Cela rend évidemment le débat très vif.
Après, le gouvernement Combes tombe suite à l’affaire des fiches.

D.G. : Combes qui lui aussi est radical

F.S. : Tout à fait. On est toujours entre radicaux durant une grande partie de la Troisième République et jusqu’à sa fin.

D.G. : Dans ces radicaux qui portent la loi et qui ont des différenciations au sein du Parti Radical, ce qui est drôle c’est que l’on retrouve ces mêmes radicaux avec les mêmes différenciations au sein de la Libre Pensée. Ils ont la double appartenance : radicaux et libres penseurs pour un certain nombre d’entre eux.

F.S. : Ce sont les mêmes.

D.G. : Combes, Buisson etc et c’est intéressant de voir que la question d’une loi qui avance vers le compromis, qui permet somme toute la liberté de conscience, ce qui est le fond, mais qui bloque sur la question des inventaires parce que ces radicaux se radoucissent sur ce terrain-là.

F.S. : L’inventaire c’est la concrétisation de la loi, c’est l’application sur le terrain, dans les communes où l’on demande à un officier d’état civil d’entrer dans l’église, d’ouvrir le tabernacle et c’est là où tous se déchaine. Les catholiques y voient un sacrilège.
Les oppositions portent sur l’ensemble de la loi mais c’est l’émanation la plus concrète.

D.G. : Dans la pensée radicale et sur ces questions de laïcité il y a quand même quelque chose qui va se clarifier au fil du temps, sur le fait que les radicaux sont laïques et défendent la laïcité. Je voudrais que nous appréciions cela à l’aune et à la lumière de ce qu’a été Jean Zay.
Jean Zay radical, Jean Zay libre penseur, Jean Zay engagé dans ce combat de Sisyphe de la construction de la république.
Frank, Jean Zay le radical. Quelle fut son œuvre, quel fut son combat, quelle est sa portée aujourd’hui ?

F.S. : La grandeur de Jean Zay c’est sans doute autour de l’éducation nationale, de la culture mais aussi de la construction d’un modèle profondément républicain.
C’est quelqu’un qui porte les grandes valeurs du radicalisme dans un grand projet qu’il a toujours continué à planifier même emprisonné : réformes de l’Etat, réforme de l’éducation publique, création d’un citoyen libre.
Il a toute sa place au Panthéon à coté de Jean Moulin, autre grand radical.

D.G. : Concernant son œuvre scolaire, ses fameuses circulaires sont-elles encore actuelles ?

F.S. : C’est difficile à dire. Il y a deux circulaires. La première est contre l’agitation politique seule.

D.G. : au sein de l’école ?

F.S. : Oui tout à fait. Ensuite il y a celle sur la laïcité concernant le prosélytisme religieux. Elle a été créée dans un contexte à l’aune du fascisme. Il y avait les nazis en Allemagne, en France et l’émergence du fascisme en Europe. C’était pour préserver l’école publique de ces tendances là mais aussi pour préserver en général toute une génération de ces influences néfastes. On a l’esprit de l’époque qui est très dur et on a un principe plus large qui dit « est-ce que l’école doit être un havre de paix où toute agitation politique ou religieuse est à proscrire ? ».
Il y a une difficulté dans l’application car si on rapporte ça au jour d’aujourd’hui, le pin’s avec le symbole de la paix, le T-shirt de Che Guevara, etc. tous cela peut tomber sous le coup de la circulaire dans une application stricte. Il faut donc voire aussi qu’elle est la marge d’application, la liberté d’interprétation. Elle était très dure parce que l’époque était très dure.
Aujourd’hui cela est beaucoup plus complexe. Qu’est ce qui est un symbole politique ou juste un symbole de mode ? Qu’est ce qui est un symbole religieux ou non ?

D.G. : Se serait à l’école de définir ce qui est du prosélytisme ou ce qui ne l’est pas ?

F.S. : Voilà ! Tout à fait.

D.G. : Mais la philosophie « Ecole comme havre de paix » reste, de Jean Zay jusqu’à nos jours, cette vraie problématique pour les pouvoirs publics.

F.S. : Tout à fait mais la philosophie à mon avis on la verrait plus dans une loi. Une circulaire est une demande d’application que l’on envoie aux Préfets.
Pour maintenir la philosophie de Zay qui est d’éduquer un citoyen mais on ne le détourne pas, on ne l’influence pas, l’école doit être à l’abris de tout ça, je la verrai bien dans une loi.
La circulaire en tant que telle, déjà à l’époque elle était difficilement applicable, aujourd’hui ce serait impossible. Il faudrait faire beaucoup de cas par cas, il y aurait beaucoup de controverses, de cas extrêmes et cela exaspère.

D.G. : Je saisi ton propos même si j’ai moi-même un point de vue un petit peu différent parce que je pense qu’elle permettrait de clarifier les choses. Je pense que le débat doit se poursuivre autour de ça.

Revenons à la place du radicalisme en France, ses grandes figures, mais surtout sur la place des radicaux. Les radicaux s’est très Troisième République et même Quatrième République sous une certaine forme parce que c’est une organisation qui joue sur les alliances

F.S. : et qui joue d’un certain pragmatisme. Qui préfère dire « je veux être au pouvoir et participer » que dire « je me cache derrière un combat impossible ».

D.G. : La Cinquième République chamboule tout ça.
F.S. : La Cinquième République c’est la mort du radicalisme, par son système électoral, par sa constitution. Le suffrage direct pour le Président ne va pas du tout dans l’esprit radical qui est plutôt un esprit d’un élu local, de quelqu’un qui est très présent, très ancré dans le terrain qui est dans le parlement. Le radical est plus un législateur qu’un exécutif.

D.G. : Justement pour revenir à la Cinquième République : la loi Debré, qu’elle est l’essence de combat là pour les radicaux ?

F.S. : Les radicaux, comme pour tous ce qui se passe au début de la Cinquième République, y sont opposés. Ils font partie de ceux qui ont participé au Serment de Vincennes.
Parlementairement, il ne reste plus beaucoup de radicaux au début de la Cinquième République, donc l’opposition parlementaire a été moins visible que l’opposition de gauche. Ils mènent leur combat avec les moyens dont ils disposent mais ils n’ont pas la même portée que sous la Troisième et la Quatrième République. Ils se font briser par cette République. Cela va mener jusqu’à la scission. Il y a toujours eu différents courants au sein des radicaux, plus ancrés à droite, plus ancrés à gauche, mais on arrivait toujours à garder un fond commun parce que suffisamment forts, parce qu’il y avait de la place pour tout le monde.

D.G. : La laïcité est-elle un pilier commun ?

F.S. : Oui sans le moindre doute. C’est l’un des piliers des deux tendances radicales.

D.G. : Sur cette question de la loi Debré on peut dire que ce fut le dernier combat commun des radicaux sur le terrain de la laïcité ?

F.S. : Sur le terrain de la laïcité le combat continu pour les deux blocs qui ont maintenant consommé leur scission. Peut-être moins ostensible, moins uni dans le sens où les deux partis coexistent dans une autre logique de coalition, avec une autre manière de faire valoir ses propres valeurs.
La laïcité reste très présente au sein de tous les radicaux.

D.G. : Très bien. Frank je te remercie. Je vous retrouve le mois prochain.

 

 

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