Monsieur le Ministre,
Une brochure intitulée « Règles protocolaires des membres du corps préfectoral », éditée par le ministère de l’Intérieur, dont vous êtes aujourd’hui responsable, donne de nombreuses indications aux membres de ce corps, préfets et sous-préfets, en particulier quant au port de l’uniforme.
Après avoir énuméré les circonstances où le port de l’uniforme est obligatoire, ce texte indique : « Pour les autres circonstances, le port de l’uniforme est soumis à l’appréciation de chaque membre du corps préfectoral. Il convient d’opérer la conciliation nécessaire entre les usages locaux et le principe selon lequel l’uniforme sert à manifester solennellement votre fonction. Son port devra donc être réservé à des évènements et commémorations qui, sans avoir le caractère d’une cérémonie publique, peuvent revêtir un éclat particulier » (…).
Et, à la page suivante chapitre 1.2.4. « Tenue dans les lieux de culte » nous lisons : « Dans le cas de cérémonies publiques qui seraient précédées ou suivies d’une cérémonie religieuse (11 novembre, Sainte-Barbe, Sainte-Geneviève par exemple), ou pour tout événement qui vous amènerait à vous rendre dans un lieu de culte, il vous appartiendra de déterminer si votre présence en uniforme, qui peut être appréciée, est opportune, en prenant en compte les circonstances locales. Par exemple, vous devrez, en principe, être en civil si vous vous rendez à la messe célébrant la nomination d’un nouvel évêque, sauf en Alsace-Moselle où l’usage veut que les membres du corps préfectoral soient en tenue.
Le membre du corps préfectoral qui assiste à une cérémonie religieuse en tant que représentant de l’État, en uniforme comme en civil, devra, au cours de la cérémonie, se comporter de la manière la plus neutre possible et s’abstenir de participer de manière active au culte. » Suivent diverses recommandations selon que le membre du corps préfectoral se trouve dans une église, une synagogue, ou une mosquée…
Ces Règles protocolaires dont nous avons relevé ci-dessus quelques passages ne sont pas sans susciter des interrogations quant à leur légitimité au regard de la laïcité de nos institutions, notamment de la loi du 9 décembre 1905.
Ainsi d’ailleurs, le site officiel du Ministère de l’intérieur dont vous avez en charge les directives et recommandations, stipule contradictoirement aux Règles protocolaires, mais à juste titre, que : « La laïcité, lit-on sur le site officiel du ministère de l’Intérieur, suppose la séparation de l’État et des organisations religieuses. L’ordre politique est fondé sur la seule souveraineté du peuple des citoyens, et l’État —qui ne reconnaît et ne salarie aucun culte— ne régit pas le fonctionnement interne des organisations religieuses. De cette séparation se déduit la neutralité de l’État, des collectivités et des services publics, non de ses usagers. La République laïque assure ainsi l’égalité des citoyens face au service public, quelles que soient leurs convictions ou croyances. » (https://www.interieur.gouv.fr/Actualites/Dossiers/La-laicite)
En effet, la loi de Séparation des Églises et de l’État dispose que la République « ne reconnaît, ne subventionne ni ne salarie aucun culte ». Ce qui implique de la part de l’État une stricte neutralité vis-à-vis de toutes les religions, de leurs dignitaires, de leur hiérarchie. A l’inverse, cette brochure « À l’usage du corps préfectoral » indique que, pour votre ministère de l’Intérieur, il n’y aurait aucun obstacle à la participation ès qualités de préfets et sous-préfets à des cérémonies religieuses et en uniforme… sauf pour « la nomination d’un nouvel évêque » !
Il s’agit là, sinon d’une incitation, au minimum d’un feu vert officiel, au mépris de la loi de Séparation, alors même, comme l’indique cette phrase de la brochure : « l’uniforme sert à manifester solennellement votre fonction ». C’est nous qui soulignons. La participation officielle de représentants de l’État, préfets ou sous-préfets (qui plus est en uniforme !), gendarmes en tenue, à des cérémonies religieuses est en contradiction évidente avec la loi de 1905. Elle donne un caractère officiel à ces cérémonies, alors que les rites religieux sont de la seule responsabilité des différents cultes.
Rappelons aussi que les gendarmes sont des militaires, aux termes de l’article L. 4121-2 du Code de défense leurs «…opinions et croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées qu’en dehors du service et avec la réserve exigée par l’état militaire. Cette règle s’applique à tous les moyens d’expression. » Ce guide est donc aussi en contradiction avec le Code de défense.
La place des représentants es qualité de l’État, de la République, comme celle des Elus, si cérémonie religieuse il y a, n’est pas dans les cathédrales, les églises, les synagogues ni les mosquées, et les lois de la République ne peuvent varier, ni en fonction des opportunités, ni en fonction des circonstances locales.
Bien entendu, chaque citoyenne et chaque citoyen jouissant de sa liberté de conscience, les représentants de l’État, en civil, les Elus sans leurs écharpes tricolores, en dehors de l’exercice de leur fonction publique, peuvent participer à toute manifestation correspondant à leur conviction religieuse.
Nous souhaitons en conséquence, Monsieur le Ministre, le retrait de cette brochure et la confection d’une autre conforme aux principes de la loi de 1905, et connaître vos intentions pour permettre au corps préfectoral un strict respect de la laïcité et des lois de la République.
Veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, nos respectueuses salutations laïques et républicaines.
Le Président de la Libre Pensée : Jean-Sébastien Pierre
Paris, le 3 juillet 2017
Quand La République était encore laïque
« Sur proposition de Georges Clémenceau, le Conseil des Ministres, interdit aux membres du Gouvernement, au Président de la République et aux Présidents des chambres, d’assister au « Te Deum » à Notre-Dame de Paris pour célébrer la victoire du 11 novembre 1918 et honorer les morts de la guerre. »
Cette interdiction, fondée sur le principe de « Séparation des Églises et de l’État » n’avait donné lieu à aucun commentaire et seules Mmes Poincaré et Deschanel, qui n’exerçaient aucune fonction publique, y avaient assisté.