Le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) pour les sciences de la vie et de la santé vient de rendre public le 27 juin 2017 son avis (N°126) sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP ou PMA). Son avis concerne 3 situations particulières et est loin de clôturer ce débat sociétal très clivant. Cependant ce comité qui n’est que consultatif pour les tutelles ministérielles, envisage quelques avancées partielles conformes à l’égalité des droits prônée par la Libre Pensée.
Il faut rappeler comme le CCNE, que les techniques d’AMP, autorisées à l’origine par la loi pour pallier une altération pathologique de la fertilité, sont sollicitées aujourd’hui pour répondre à des demandes sociétales, issues de situations personnelles (de couple ou non). Il s’agit donc de nouveaux usages de techniques qui existent mais qui dépassent le cadre actuellement prévu par la loi. Bien évidemment l’AMP, tout comme la GPA (Grossesse Pour Autrui) abordée dans cet avis, restent/resteraient sous un contrôle médical et législatif strict.
La multiplicité des questions abordées tient essentiellement dans les « disjonctions qu’induit chacune des techniques d’AMP examinées à chacune des étapes qui se succèdent, notamment entre procréation et filiation, entre sexualité et procréation, entre procréation et gestation, entre transmission génétique et filiation, entre la personne et les éléments de son corps ».
De même de nouvelles relations humaines se font jour : femmes et/ou hommes qui demandent l’accès à ces techniques et futurs parents, enfants qui naitront, soignants, donneurs de gamètes, femmes qui portent un enfant pour d’autres, ainsi que les questions de la prise en charge (financière et non financière) par la société, et des conséquences (positives et négatives) induites par ces nouvelles relations humaines. Ces problématiques concrètes sont également sources de fantasmes, allant jusqu’à l’irrationnel.
La question de la conservation des ovocytes n’est pas encore réglée totalement positivement
Le CCNE rappelle la légalité de l’autoconservation ovocytaire chez les femmes jeunes pour motif médical (pathologies, ou traitements affectant la fertilité, ou en contrepartie d’un don d’ovocyte) mais ne propose pas l’autoconservation ovocytaire à toutes les femmes jeunes, en vue d’une éventuelle utilisation ultérieure (c’est à dire se prononce contre une autoconservation sociétale, sans motif médical).
Cette position qui n’a pas été prise à l’unanimité au sein du CCNE a provoqué la réaction d’un collectif de 200 médecins qui reprenaient l’avis de l’Académie de Médecine rendu public un peu plus tôt, le 19 juin 2017. Cet avis de l’académie défend la possibilité pour les femmes de congeler leurs ovules afin de retarder la grossesse ; cette technique, utilisée avant l’âge de 35 ans, représente un moyen de prévenir une infertilité future.
Le collectif insiste pour sa part sur l’autonomie de la décision ainsi que sur la responsabilité de toute femme dûment informée. Il met en avant l’inégalité physiologique hommes-femmes d’un point de vu reproductif, avec pour les femmes, une fenêtre de fertilité relativement restreinte. L’âge de la 1e grossesse recule (dépassant désormais les 30 ans) et les techniques médicales font d’importants progrès (permettant de congeler les ovocytes de manière efficace), ce qui permet désormais d’envisager la préservation de la fertilité féminine.
Le principe d’égalité remis en cause
La question d’autoriser une femme désireuse de congeler des gamètes pour les utiliser ultérieurement se pose véritablement (la qualité des ovocytes se dégrade avec l’âge, en particulier après 40 ans). Ceci est à contrebalancer avec la possibilité aujourd’hui pour tout homme qui le désire de préserver sa fertilité. Il existe donc actuellement une interdiction à l’autonomie reproductive féminine (confirmé par cet avis du CCNE), non retrouvée chez les hommes, et qui est contraire à l’égalité des droits.
Il est à signaler que d’autres pays européens ont déjà entériné ce principe d’autoconservation ovocytaire « sociétale ». De même que les progrès techniques médicaux, il semble que les mentalités dans la société soient bien plus en avance que les textes législatifs.
Le CCNE donne un avis favorable aux demandes d‘AMP par des couples de femmes ou de femmes seules (insémination artificielle avec donneur (IAD), pour procréer sans partenaire masculin, en dehors de toute infécondité pathologique). Ce choix progressiste est motivé par une revendication de liberté et d’égalité dans l’accès aux techniques d’AMP pour répondre à un désir d’enfant. Il faut rappeler qu’en France le don est volontaire et gratuit, et qu’il a vocation à le demeurer ; le risque de marchandisation doit être écarté. (L’anonymat du don quant à lui pourrait être remis en question dans le cadre d’une réforme plus globale du droit de la filiation).
L’analyse du CCNE s’appuie sur la reconnaissance de l’autonomie des femmes, et la relation de l’enfant dans les nouvelles structures familiales. Il met également en avant que cette ouverture de l‘AMP à toutes les femmes, même sans stérilité pathologique, permettra de pallier une « souffrance induite par une infécondité résultant d’orientations personnelles ».
Cette prise de position du CCNE est une avancée importante
Et les arguments évoqués ressemblent paradoxalement à ceux mis en avant pour refuser l’ouverture à l’autoconservation ovocytaire « sociétale » précédemment évoquée. De même, cette avancée en faveur de toutes les femmes exacerbe du coup l’inégalité de droit vis à vis des hommes cette fois ; que devient l’argument consistant à pallier une « souffrance induite par une infécondité résultant d’orientations personnelles » pour les couples d’hommes, voire les hommes seuls ?
Par contre le CCNE donne un avis défavorable aux demandes sociétales de gestation pour autrui (GPA). Déjà en 2010, dans son avis N°110, le CCNE avait estimé que la demande de GPA, même motivée par des raisons médicales, portait atteinte à l’intégrité des femmes, et que le désir d’enfant ne pouvait constituer un « droit à l’enfant » justifiant la pratique de la GPA. Les arguments supplémentaires mis en avant en 2017 sont : le développement rapide du marché de la GPA (rôle des intermédiaires économiques à l’échelle internationale) ; la nature des violences juridiques, économiques, sanitaires et psychiques qui s’exercent sur les femmes recrutées comme gestatrices ou mères porteuses, ainsi que sur les enfants qui naissent et qui sont objets de contrats passés entre des parties au pouvoir très inégal.
Le CCNE reste donc opposé à la GPA et souhaite un renforcement des moyens de prohibition au niveau national et international (vœux pieux s’il en est). Cette position intransigeante semble curieuse, étant donné qu’une législation plus permissive de la GPA en France permettrait de contrôler ces nombreuses dérives mises en avant. L’égalité des droits n’a pas été non plus retenue dans cette approche de la GPA.
Dans sa conclusion, et aux vues des avancées médicales continues, le CCNE préconise un renforcement des discussions au sein de la société civile afin d’éclairer au mieux le futur débat législatif qui se profile en 2018, avec les états généraux de révision de la loi relative à la bioéthique.
Ces questions complexes avaient été abordées par la Libre Pensée en 2015 au cours du Congrès de Creil (19 au 22 août) sous la question de : «La PMA et la GPA sont-elles de nouvelles libertés à conquérir ou faut-il en rester à l’actuelle législation en France ? ». Outre la création d’un cadre législatif strict nécessaire afin de réguler l’accès à la GPA et à la PMA élargie, il était souligné à juste titre « qu’une absence de loi était la porte ouverte à toutes les dérives et à toutes les inégalités ».
L’Eglise et ses affidés toujours aux avant-postes de la réaction
Cette lenteur législative, est indubitablement sous-tendue par les relents cléricaux usuels ayant trait à la famille, à la natalité, à l’éducation, à la sexualité… Ceux-ci sont exacerbés dès que possible par les multiples prises de position de l’Eglise à tous les niveaux hiérarchiques. D’ailleurs, l’Eglise a été prompte à réagir à cette avancée du CCNE en faveur de l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, et à vouloir colmater la brèche entre-ouverte.
Le 28 juin, lendemain de la publication de l’avis du CCNE, dans le très clérical journal Le Monde, l’archevêque de Rennes, Mr Pierre d’Ornellas a publié une tribune condamnant cette prise de position du CCNE. Après avoir mis en garde le Président de la République ainsi que le gouvernement de suivre l’avis du CCNE aux motifs de réveiller les « inévitables passions », Mr d’Ornellas appelle dans un charabia théologique consommé à s’interroger sur la signification anthropologique des changements potentiels… (« Les nouvelles relations qu’évoque le CCNE sont-elles pensées par une raison enclose dans l’immanence technologique du faire et du possible, ou par une raison ouverte à la transcendance et valorisant la notion de personne toujours sexuée et capable d’intériorité ? » (sic)).
Plus loin, dans un discours œcuménique plus accessible aux brebis égarées, Mr d’Ornellas retouve ses classiques : il est urgent d’attendre et de réfléchir longtemps ; vive la famille composée d’un père et d’une mère « sexués » ; haro sur la famille monoparentale ; le drame de l’absence du père ; la fragilité de l’enfant ; et bien sûr la communion (dans une « écologie humaine »).
Tout est dit. Les vérités révélées sont implacables : l’Homme est définitivement l’aboutissement ultime de l’évolution, à son apogée, au centre de l’Univers. Rien ne saurait le faire évoluer, en tout cas aucune science impie. Darwin, la théorie de l’évolution sont des concepts sans lendemain. Toute avancée scientifique qui remettrait potentiellement en cause le primat de l’Eglise et ses concepts éculés, est à vouer aux gémonies.
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Une avancée juridique incontestable
En juillet 2015, la Cour de cassation a estimé que les juges du fond, au regard des dispositions combinées de l’article 47 du Code civil, qui dispose que « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité », et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950, qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale, n’étaient pas fondés à opposer à des parents la convention de gestation pour autrui qu’ils avaient conclue avec un tiers pour leur refuser la transcription à l’état-civil français de l’acte d’enregistrement de l’enfant né à l’étranger à l’issue de ce mode de procréation. Ils devaient seulement rechercher que des » actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même « étaient de nature à s’y justifier ce refus (voir Cass. plénière, 3 juillet 2015, n° 14-21 323)
Par quatre arrêts du 5 juillet 2017, la Cour a confirmé sa jurisprudence antérieure quant à la portée d’une convention de gestation pour autrui sur la transcription d’un acte d’état-civil à l’état-civil français mais est allée un peu plus loin sur un autre terrain, celui de l’adoption.
Sous réserve du rejet du pourvoi formé par des requérants contre l’annulation d’un acte d’état-civil établi par les autorités consulaires françaises au vu de documents falsifiés en vue de cacher une convention de gestation pour autrui, interdite par l’article 16-7 du code civil (voir Cass. première chambre civile, 5 juillet 2017, pourvoi n° 16-16 495), elle a, à nouveau, jugé que la transcription d’un acte étranger d’enregistrement d’une naissance à l’état-civil français ne peut comporter que l’identité du père si la mère désignée n’a pas accouché, la naissance ayant eu lieu au terme d’une convention de gestation pour autrui, nulle en droit français jusqu’à présent. En effet, elle considère que cette mention de l’identité de la mère d’intention serait contraire à la réalité, au sens de l’article 47 du Code civil (voir Cass. première chambre civile, 5 juillet 2017, pourvois n° 16-16 901 et 16-16 50 205). A cet égard, il faut noter que la Cour de cassation admet la transcription à l’état-civil français d’actes étrangers d’enregistrement d’une naissance portant la seule mention du père et déclare le juge d’appel non fondé à demander des justifications excessives de la filiation biologique paternelle, dès que celle-ci est présumée par l’acte à transcrire (voir Cass. première chambre civile, 5 juillet 2017, pourvoi n° 15-28 597)
Néanmoins, la série des arrêts rendus par la Cour de cassation le 5 juillet 2017 comporte une avancée. Un couple d’hommes homosexuels, liés par un pacte civil de solidarité depuis 2004, a eu recours à une convention de gestation pour autrui, légalement conclue entre l’un d’eux et une citoyenne américaine de l’État de Californie. Les deux parties à cette convention ont reconnu l’enfant à sa naissance. En application de la loi du 17 mai 2013, les deux hommes se sont mariés à la suite de cette naissance. Celui qui n’était pas partie à la convention de gestation pour autrui a demandé l’adoption simple de l’enfant avec le consentement de la génitrice. Sur le fondement des articles 353 et 361 du code civil, 3, paragraphe 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour a jugé que « le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant ». Elle a également considéré que le juge n’était pas fondé à présumer vicié le consentement de la génitrice en alléguant qu’en raison même de sa qualité celui-ci aurait été dépourvu de « toute dimension maternelle subjective ou psychique » (voir Cass. première chambre civile, 5 juillet 2017, pourvoi n° 16 455).
L’extension du droit au mariage aux personnes de même sexe, la multiplication des conventions de gestation pour autrui à l’étranger, les obligations de la République française nées des accords internationaux qu’elle a souscrits concourent à rendre intenable l’interdiction de la gestion pour autrui sur le territoire nationale. S’il importe de repousser toute perspective de convention de gestation pour autrui à titre onéreux, en revanche, il devient urgent de fixer les conditions légales permettant de recourir à cette forme de procréation médicalement assistée.
Paris, le 11 juillet 2017