Résolution sociale adoptée par le congrès d’Evry (2017)

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De la « laïcité dans l’entreprise » à la remise en cause du droit syndical

L’encyclique Quadragesimo anno publiée par le pape Pie XI en 1931 porte le sous-titre « Sur l’instauration de l’ordre social », il y tire le bilan de l’encyclique Rerum Novarum de 1891 : « Le sage Pontife montrait enfin que les patrons et les ouvriers eux-mêmes pouvaient singulièrement aider à la solution de la question sociale ... Entre ces œuvres, la première place revient, à son avis, aux associations soit composées seulement d’ouvriers, soit réunissant à la fois ouvriers et patrons. » La date de 1931 indique quelles sont les modalités d’application en Italie, au Portugal, en Autriche et un peu plus tard en Espagne et en France.

Dans une interview (1) M. Petithuguenin, PDG de Paprec (principal groupe français de recyclage) définit ainsi l’entreprise comme quelque chose : « qui n’est ni la sphère publique ni la sphère privée mais quelque chose au milieu ». Et plus loin : en entreprise : « On est frères pour faire une mission ensemble » 1

Benito Mussolini, un peu plus théoricien, faisait écrire en 1927 :

«  VII. L’Etat corporatif considère l’initiative privée dans le champ de la production comme l’instrument le plus efficace et le plus utile dans l’intérêt de la Nation. L’organisation privée de la production étant une fonction d’intérêt national, l’organisation de l’entreprise est responsable de la direction de la production devant l’État. De la collaboration des forces productives découle la réciprocité des droits et des devoirs. Le prestataire de travail, le technicien, l’employé ou l’ouvrier est le collaborateur actif de l’entreprise économique dont la direction appartient à l’employeur qui en a la responsabilité. »

Ce qui est une autre façon de dire la même chose.

M. Petithuguenin a mis en vigueur dans son entreprise une « Charte de la laïcité », qui inclut l’interdiction de faire part de son opinion politique ou religieuse dans l’entreprise. Il savait bien sûr que c’était illégal, mais fréquentant assidûment M. Glavany et M. Valls, Premier ministre d’alors, il était plein d’espoir dans l’avenir de la formule « le fait précède le droit » et manifestement peu impressionné par une visite impromptue de l’Inspection du Travail ou une auto saisine du parquet.

Et il avait raison. La Loi El Khomri allait lui donner partiellement satisfaction. Comprenons bien : la loi El Khomri n’est pas seulement une loi destinée à faire baisser les salaires et les protections des salariés : en inversant la hiérarchie des normes, elle instaure la « guerre de tous contre tous » mettant aussi en péril les patrons des petites entreprises, protégés jusqu’alors contre la concurrence sauvage des grands groupes ; c’est aussi une loi qui reconnaît le caractère institutionnel de l’entreprise qui est à la fois, pour ses actionnaires, un centre de profit, mais aussi pour la société un corps intermédiaire, ce qui est l’exacte position de la Doctrine sociale catholique.

Comme le rappelait le préambule présenté par le MEDEF pour l’accord national sur le dialogue social (avorté en 2015 grâce aux salariés et à leurs organisations) : « Le dialogue social joue ici un rôle déterminant : permettre aux salariés de mieux saisir la stratégie de l’entreprise, en quoi leur travail y participe et les perspectives qu’il ouvre. C’est ainsi que le dialogue social sera aussi pour les entreprises un puissant levier de compétitivité »

« Depuis le préambule de l’ordonnance de 1945 portant création des comités d’entreprise, le dilemme est toujours pendant. »2 Et l’article de la revue Esprit conclut ainsi : « Pour ce qui est de la négociation et de ses usages, demander si un petit ou « grand matin libéral » n’est pas remis à 2017 par le truchement d’un « portage politique ». Faute d’avoir pu obtenir par la négociation ce qu’ils souhaitent, ils chercheraient à obtenir la réforme qu’ils appellent de leur vœu depuis plusieurs décennies grâce à un nouveau pouvoir ».

Cela s’écrivait en 2015 dans la revue du personnalisme chrétien dont Emmanuel Macron était membre du comité de rédaction : la fusion des institutions de représentation du personnel annoncée était déjà activée.

« Article L1321-2-1 nouveau du Code du Travail.

Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »

L’affirmation d’un droit quasi-régalien du chef d’entreprise sur l’exercice de la liberté d’expression des salariés est le corollaire de l’inversion de la hiérarchie des normes et de la mise à mal de la représentation des personnels. Il fallait bien l’ancêtre des syndicats chrétiens (la CFTC) pour le mettre en œuvre chez Paprec. Et pour envisager d’appliquer la différence des droits, entreprise par entreprise.

Cette tendance est dans les cercles dirigeants du MEDEF une tendance lourde : pendant que les patrons des grands groupes de presse faisaient voter Macron, le PDG du groupe Paul-Ladurée appelait, lui, ses salariés à soutenir Fillon. Celui du groupe Poujoulat donnait aussi des conseils de vote… Pendant qu’on restreint les droits du salarié au nom d’une prétendue laïcité, on en revient au temps des maîtres de forges ou du château, qui fait dire par le curé pour qui il faut voter.

La Fédération Nationale de la Libre Pensée, attachée à la liberté absolue de conscience, par application de l’art 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses… » au respect de la vie privée et à la démocratie républicaine :

– dénonce le retour des vieilles méthodes corporatistes issues de la Doctrine sociale chrétienne ;

– exige le rétablissement et le respect du code du travail par l’abrogation de la loi El Khomri et l’abandon des ordonnances Macron.

Résolution votée à l’unanimité (0 Contre et 0 Abstention)

2 (2) Michel Offerlé, revue Esprit 2015/7 juillet p.118 et 119 «  Négocier avec, contre et dans le MEDEF »