Résolution sur la Question à l’étude « Syndicalisme et Laïcité »

Pour nous suivre

Le Congrès national de Bourg-lès-Valence a décidé de proposer aux Fédérations départementales l’étude des rapports entre le syndicalisme ouvrier et la laïcité comme principe politique.

La loi de 1905 marque la rupture entre l’Etat et les Eglises, on retrouve cette même préoccupation dans la vieille CGT en 1906 par l’adoption de la Charte d’Amiens qui délimite soigneusement ce qui relève du syndicalisme et ce qui dépend du politique, de l’Etat et des religions.

Le syndicalisme ouvrier se fixe pour but de rassembler, en dehors de toutes écoles et chapelles, les travailleurs quelles que soient leurs opinions politiques, philosophiques ou religieuses. C’est la même idée. L’intérêt général de la République est garanti par la Séparation des Eglises et de l’Etat. L’intérêt commun des travailleurs est garanti par l’indépendance syndicale vis-à-vis de l’Etat, des partis, sectes philosophiques et religions.

La loi de Séparation des Églises et de l’État de 1905 est l’une des grandes conquêtes du mouvement ouvrier dans la continuité de l’œuvre émancipatrice issue de la grande Révolution française. Ce n’est pas un hasard si un an plus tard, presque simultanément, en 1906, le prolétariat intègre le principe de la loi de 1905 dans son organisation, la CGT, avec la fameuse Charte d’Amiens. Laïcité et lutte de classes, laïcité et combat pour l’émancipation des travailleurs sont étroitement liés, voire consubstantiels.

La reconnaissance de la liberté de conscience, et plus généralement la laïcité ne sont pas des dogmes, mais une forme d’organisation de la société qui permet à chacun de vivre selon ses pensées. L’indépendance de l’organisation syndicale définie dans la Charte d’Amiens n’est pas une doctrine, mais un prérequis indispensable à la défense des intérêts des travailleurs.

Si l’émancipation de la classe ouvrière passe par la transformation sociale, elle suppose aussi au préalable la liberté de conscience, la liberté de penser, « de penser autrement », comme le disait si bien Rosa Luxemburg.

Pouvons-nous légitimement nous poser la question de savoir pourquoi la défense de la laïcité a toujours été un combat porté par le syndicalisme qui se réclame de la Charte d’Amiens ? Plusieurs pistes de réflexions s’ouvrent. La plus évidente est chronologique, la Confédération Générale du Travail fondée en 1895 est la seule organisation syndicale confédérée existante lors du congrès de 1906. Puis, en 1947, une scission de la CGT donne naissance à une nouvelle confédération, la CGT-Force Ouvrière, la Charte d’Amiens est toujours la substantifique moëlle de cette organisation. Ces deux confédérations portent donc dans leurs gènes les principes communs de l’indépendance syndicale et de la laïcité, à l’exact opposé d’autres confédérations comme la CFTC ou la CFDT.

La CFTC est fondée en 1919 et se veut comme son nom l’indique le syndicat des travailleurs chrétiens. En 1964 la CFTC, comme d’autres syndicats chrétiens, décide de se « transformer » en CFDT (90 % des mandats du congrès de Paris). Celle-ci puise ses racines dans les principes du corporatisme chrétien comme « le Bien Commun ». Avec le maintien des minoritaires dans la CFTC il y aura « plusieurs demeures dans la maison du Père »…

Ces organisations syndicales sont les purs produits des recommandations de l’encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII parue en 1891. Voyant la montée du socialisme (de l’époque…) et la popularité grandissante des théories marxistes sur l’organisation de la société en classes sociales ayant des intérêts divergents et luttant l’une contre l’autre, l’Eglise catholique édicte les principes d’un syndicalisme basé sur le principe de la collaboration de classe, en ayant recours comme elle l’a toujours fait depuis des siècles aux valeurs « divines ».

Un court passage de cette encyclique donne toute la saveur réactionnaire du projet : « Le premier principe à mettre en avant, c’est que l’homme doit accepter cette nécessité de sa nature qui rend impossible, dans la société civile, l’élévation de tous au même niveau » ou encore : « Ainsi, dans la société, les deux classes sont destinées par la nature à s’unir harmonieusement dans un parfait équilibre. Elles ont un impérieux besoin l’une de l’autre : il ne peut y avoir de capital sans travail, ni de travail sans capital. La concorde engendre l’ordre et la beauté… Or, pour dirimer [supprimer, ou réduire au maximum. NDLR] ce conflit (lutte des classes) et couper le mal dans sa racine, les institutions chrétiennes ont à leur disposition des moyens admirables et variés ». Ite missa est, comme ils disent, la messe est dite. Non seulement aucune de ces centrales syndicales, CFTC ou CFDT n’adhèrent aux valeurs de la Charte d’Amiens, mais, au contraire, elles les combattent.

Aujourd’hui pour les dirigeants de ces organisations et d’autres d’ailleurs, les directives papales de 1891 sont toujours de rigueur. Sous des formes très adaptées bien entendu, ils n’ont de cesse de favoriser la collaboration de classe, toujours au détriment des salariés, tout en tenant parallèlement un discours revendicatif très modéré et très intégré, dans le plus pur style jésuite. Le paradoxe est flagrant quand un des plus grand capitalistes de la planète, Warren Buffet, reconnaît dans une interview accordée en 2006 au New York Times qu’une “lutte des classes” fait rage, tout en précisant : “c’est ma classe, les riches, qui a déclaré cette guerre et c’est elle qui est en train de la remporter“!

Même si la CFDT a retiré de ses statuts la référence à l’humanisme chrétien (2014), la philosophie corporatiste instillée par cette encyclique et d’autres après elle, perdure. A tel point que le corporatisme, très à la mode sous le régime de « feu le Maréchal », fait un retour en force sur le devant de la scène.

Un autre aspect est à souligner dans la convergence syndicalisme/laïcité. Il s’agit de la question des services publics. En France, l’égalité passe par le service public ; c’est à la puissance publique d’organiser le service public. Or, à travers la liquidation actuelle des services publics, on voit une volonté de remettre en selle les religions par le biais de l’appel à la charité, la bienfaisance.

Cela passe par l’associatif, par les partenariats publics /privés. On peut prendre le cas des ADMR (Aide à Domicile en Milieu Rural) associations reconnues d’’utilité publique, dont la gestion des personnels utilise et encourage le bénévolat, la bienfaisance. Ou encore les accueils d’urgence de l’Abbé Pierre (Emmaüs) et leur rapport avec les services publics.

Le combat laïque, c’est aussi le combat autour de la défense du service public, contre sa privatisation croissante au nom du principe de subsidiarité de l’Eglise catholique (« Il ne faut jamais confier à des organismes supérieurs ce que l’on peut confier à des organismes de rangs inférieurs »), à l’heure où l’on constate que c’est la finance pour les riches et la charité pour les pauvres.

La Révolution Française, en 1789, a brisé l’Ancien-Régime et le principe de subsidiarité, qui n’existait pas encore formellement, mais qui était déjà pratiqué. Elle a institué une société dans laquelle on a toujours confié, pour assurer l’égalité des citoyens devant la loi, à des organismes de rangs toujours supérieurs les missions d’une société moderne et démocratique.

Ce qui caractérise la Révolution Française, la République, c’est que pour assurer l’égalité des citoyens devant la loi, on a créé les services publics. Ce qui caractérise l’Ancien-Régime et le principe de subsidiarité, c’est que pour refuser l’égalité des citoyens devant la loi, pour donner et confier à des organismes de rangs inférieurs, on privatise et on détruit le service public. Il y a donc un lien évident entre République et Egalité, Laïcité et Syndicalisme.

Avant-dernier avatar de la lèpre corporatiste, la loi Travail abaisse la négociation au niveau de l’entreprise, enjambant dans un premier temps le Code du travail et les conventions collectives, avant de les détruire complètement. C’est ce que l’on appelle l’inversion de la hiérarchie des normes. Ainsi, les vieilles valeurs réactionnaires de l’association Capital-Travail sont-elles toujours portées à bout de bras, sous des formes diverses, par les calotins qui phagocytent depuis des décennies certaines organisations syndicales.

La loi El Khomri, tout acquise aux désirs du patronat a promu « la laïcité dans l’entreprise ». Or, ce principe n’a pas lieu d’être dans la sphère privée. Il s’agit en fait de limiter la liberté d’expression des salariés, qui pourrait s’étendre à d’autres questions que la religion (syndicales, politiques…). C’est aussi un moyen de diviser les salariés entre eux. D’ailleurs, la fameuse « Charte de Paprec » prohibe les opinions religieuses ET politiques au sein de cette entreprise.

Le projet d’Emmanuel Macron est d’aller encore plus loin dans cette voie (voir Résolution générale du Congrès). Mais les mêmes causes risquent d‘entrainer les mêmes effets : le rejet massif et puissant par le mouvement ouvrier et démocratique, ainsi que par la majorité de la société.

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En vertu de tous ces éléments historiques et actuels, il est dans la logique des choses que la Fédération nationale de la Libre Pensée se retrouve aux côtés des organisations syndicales issues de la Charte d’Amiens, dans leur combat contre le corporatisme et l’association Capital/Travail.

Il est tout aussi logique et positif que l’Appel des Laïques, qui a rassemblé tous les dirigeants des organisations qui comptent parmi les partisans de la laïcité de l’Ecole et de l’Etat, ait vu le soutien des responsables syndicaux des organisations issues de la Charte d’Amiens et de la vieille CGT, ainsi que des organisations de jeunesse, prolongeant ainsi sur le terrain laïque, le combat contre un nouvel ordre corporatiste mis en œuvre par la loi El Khomri et aggravée par les ordonnances Macron.

De la même manière, le Congrès national de la Libre Pensée d’Evry (91) se félicite que la décision du Congrès précédent de rencontrer les organisations syndicales enseignantes, pour faire le point sur les réformes en cours, ait été mise en œuvre et qu’elle ait rencontré un écho favorable de la part de la FNEC-FP-FO, de la FERC-CGT, de la FSU, du SE- UNSA et de Sud-Education.

Afin d’agir en commun lorsque cela est nécessaire, le Congrès national invite l’ensemble des Fédérations départementales à multiplier les contacts avec les organisations syndicales partageant les mêmes principes laïques que la FNLP, à tous les niveaux. Le renforcement de la Libre Pensée passe aussi par ce chemin. L’Appel des Laïques est un instrument précieux pour faciliter les convergences possibles et nécessaires.

Le principe de l’article premier de la loi de 1905 qui garantit la liberté de conscience s’applique partout. Le congrès mandate la CAN pour réfléchir sur l’exercice de la pratique religieuse dans les entreprises.

Laïcité, liberté de conscience et émancipation sociale sont des moments du combat pour la pleine et totale liberté humaine. C’est le combat de toujours de la Libre Pensée. Elle appelle donc tous ceux qui se reconnaissent dans ce combat à la rejoindre.

Adoptée à la majorité absolue – 7 contre et 1 abstention.