Les internationales de la Libre Pensée

« Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les êtres humains qui m’entourent, hommes et femmes, sont également libres. Je ne deviens vraiment libre que par la liberté de tous les autres. »

Bakounine

Les systèmes qui ont dominé et qui dominent les Humains encore aujourd’hui reposent toujours sur une mise en compétition des individus et sur une domination d’une classe par une autre. Aujourd’hui, dans le cadre du capitalisme mondialisé, la mise en concurrence des peuples menacent les acquis des uns en augmentant l’exploitation des autres.
Le combat pour l’émancipation se doit d’être universel donc international. Les combats de la Libre Pensée ont ainsi une portée universelle. Dès le début de la structuration des sociétés de Libre Pensée au milieu du 19ème siècle, la question internationale était posée et la Libre Pensée s’est forgée comme un mouvement non seulement international mais aussi internationaliste.

A peine les premières sociétés de Libre Pensée étaient créées que déjà la Libre Pensée s’organisait Internationalement. En 1870 un premier rassemblement international de libres penseurs s’est tenu à Naples pour protester contre le concile Vatican 1 ; on parle alors de l’anticoncile de Naples. En 1880, à Bruxelles un premier congrès international donnait naissance à l’internationale libre penseuse.

En 1889, le congrès universel de la Libre Pensée à Paris affirme : « La libre-pensée a été, est et sera la véritable émancipation de l’humanité ». Lorsqu’elle aura accompli son œuvre, « nous pourrons voir notre idéal se réaliser, c’est-à-dire voir : la paix internationale, la paix intérieure, l’outil à l’ouvrier, la terre au laboureur, enfin la fortune publique à tous, la Liberté, l’Égalité, la Fraternité ne plus être de vains mots, et la République être triomphante ».

En 1904 se tint à Rome le Congrès international des libres penseurs. Le Congrès de Rome marqua un moment important de l’histoire de la Libre Pensée ; près de 2000 délégués y participèrent dont de nombreuses personnalités. A cette occasion la Libre Pensée fut définie ainsi : « La Libre-Pensée est démocratique, laïque et sociale. Au nom de la dignité humaine, elle rejette le triple joug : du dogmatisme dans tous les domaines et en particulier, en matière religieuse et morale, du privilège en matière politique, du profit en matière économique ».
Un an plus tard, un congrès de la même ampleur se tint à Paris, en septembre. Il avait notamment à l’ordre du jour la question de la séparation des Eglises et de l’Etat en France. On peut légitimement dire que la loi du 9 décembre 1905 est l’aboutissement d’un long travail de la Libre Pensée.

La première guerre mondiale, le chauvinisme et les unions sacrées affaiblirent la Libre Pensée.

De 1921 à 1936 eut lieu, dans le mouvement international libre penseur, une scission avec la création d’une fédération internationale de la Libre Pensée prolétarienne (organisation des travailleurs sans dieu) liée au parti communiste.

C’est au congrès de Prague, en 1936, notamment grâce au travail de la section française qu’eut lieu la réunification des deux internationales.

En 1938, lors du congrès de Londres l’Internationale Libre Penseuse devint L’Union Mondiale des libres penseurs.

Là, encore, la guerre va considérablement affaiblir la Libre Pensée. Déjà en 1933, Hitler fit interdire et dissoudre la section allemande. Puis pendant la guerre, de nombreux militants, dans les pays occupés, furent contraint à la clandestinité, d’autres furent déportés.

Pendant la guerre froide, l’Union mondiale des libres penseurs peinent à exister et les divisions sont légions. Dans les années 1980 et 1990, l’Union se réduit à quelques sections moribondes et son activité est quasi inexistante. Tiraillée par les divisions dans le mouvement ouvrier, affaiblie par une politique de main-tendue à l’Eglise par des dirigeants du parti communiste, abandonnée par d’autres qui s’allient aux militants de « gauche » catholique, la Libre Pensée vit une période de crise.

Pourtant la question internationale ne quitte pas les préoccupations des libres penseurs, toujours attachés à l’internationalisme. Réaffirmant ses principes et notamment son indépendance vis-à-vis des partis, la Libre Pensée va se relever.

Dans son congrès de 1989, la fédération Nationale de la Libre Pensée (France) pose comme question à l’étude l’attitude de la Libre pensée vis-à-vis du processus européen. Elle adopte une résolution rappelant son attachement à l’internationalisme tout en dénonçant la Communauté européenne en constitution. « La communauté européenne s’ébauche, en effet, dans un climat de libéralisme exacerbé, dans le cadre de concurrences sauvages, caractérisé par la recherche des plus grands profits, par des avantages maxima octroyés aux entreprises, alors que les gouvernements de tous les pays de l’Europe des Douze imposent la « rigueur salariale » […] Elle constate que les « harmonisations » prévues des législations sociales s’effectuent en provoquant des alignements vers le bas et le démantèlement des secteurs productifs. »

Dans les années 90, sous l’égide de l’Union mondiale, à l’initiative de la section française, des meetings internationaux se tiennent et des contacts sont repris entre diverses organisations européennes. Le 21 juin 1998, une manifestation se tient à Bruxelles, devant le siège de l’Union européenne avec pour thème « Pour la laïcité en Europe ». Cette manifestation fut l’occasion, de réunir à nouveau, des organisations laïques et libres penseuses autour d’une initiative commune.

La fin des années 90 marque un véritable tournant, des contacts sont pris avec l’association International Humanist and Ethical Union (IHEU) à laquelle la section française adhère.

Dès lors, des liens s’établirent entre des mouvements de Libre Pensée en Grande Bretagne, aux Etats Unis, en France, au Canada. Un Comité Internationale de Liaison des Athées et des Libres penseurs fut créé en 2000.

Dans ces années, une succession de colloques internationaux, de conférences et de campagnes mondiales permirent de consolider les liens et d’élargir les contacts à de nouveaux pays (Allemagne, Italie, Belgique, Espagne…).

En 2003, la fédération française quitte l’union mondiale devenue une véritable coquille vide. En 2005, un « Manifeste international pour l’humanisme athée » signé par des organisations des cinq continents allait jeter les bases d’une nouvelle internationale. Le comité rassembla, au congrès de 2005 à Paris, 250 participants venus de 29 pays (Etats Unis, France, Canada, Allemagne, Espagne, Nepal, Nigéria, Australie…).
Des campagnes internationales sont régulièrement menées depuis cette période : pour la séparation des Eglises et des Etats dans le monde, soutient à des personnalités, contre les tribunaux religieux…
En 2011, le congrès d’Oslo fut le congrès de refondation d’une véritable internationale de la Libre Pensée. Le comité de liaison devint alors  l’Association Internationale de la Libre Pensée.
Depuis 2012, l’AILP se renforce au niveau international à travers de nombreuses campagnes mais aussi par l’organisation de congrès et de colloques sur plusieurs continents. Citons par exemple la colloque de Beyrouth en 2012, le congrès des Amériques à Mar del Plata la même année, le congrès de l’AILP au Chili en 2013, le congrès de Londres en 2014 ou encore le congrès de Montevidéo.
L’organisation s’est dotée de porte-paroles et cherche à développer les idéaux de la Libre Pensée sur tous les continents.

Dans une déclaration de 2015, l’AILP affirmait : « la question de la Séparation des Eglises et des Etats, de son avènement là où elle n’existe pas encore et sa défense là où elle menacée, est l’action fondamentale des libres penseurs à travers le monde. L’AILP constate que partout, sur tous les continents, les religions tentent d’imposer leur loi et leurs symboles dans le domaine public. Ceci est une atteinte à la liberté de conscience des habitants des pays concernés.Il s’agit pour les religions d’imposer leurs dogmes et leur présence dans la sphère publique à l’ensemble de la planète, des peuples et des nations. L’AILP rejette cette prétention des religions à dominer de nouveau le monde. Leurs passés n’est qu’un ruisseau de sang et d’obscurantisme qu’elles dressent contre la modernité, le progrès et la liberté. En Espagne, l’Association Europa laica, membre de l’AILP, mène une action résolue contre la décision de l’Eglise catholique de faire installer 1 300 croix chrétiennes sur les sommets de la Sierra de Guadarrama. […] En Arabie saoudite, le gouvernement du Roi a fait condamner le blogueur saoudien Raif Badawi à 1 000 coups de fouets sur la place publique et à 10 ans d’emprisonnement. Il s’agit de montrer publiquement, aux yeux de tous, que la religion des Princes doit être appliquée et qu’aucune critique ne peut être portée contre elle. La sphère publique est ainsi instrumentalisée pour  imposer la Charia islamique à tous. […] Aux Etats-Unis, l’Association American Atheist’s, membre de l’AILP, agit en défense du Premier amendement de la Constitution  qui a fait « un mur de séparation entre les Eglises et l’Etat »  (Thomas Jefferson – 3ème Président des USA). Elle s’est opposée à l’érection d’une grande croix à Ground Zero dans le Musée dédié aux victimes du 11 septembre 2001, devant la Cour suprême de l’Etat de New-York. […] En Argentine, après l’élection du pape François, une campagne d’intrusion permanente dans la chose publique est organisée par l’église catholique. En réaction à cette campagne, la Coalition Argentine pour un Etat laïque et une de ses organisations membre l’Association Civile des Athées de Mar del Plata, adhérentes toutes deux à l’AILP, ont lancé une campagne « Municipalités laïques Dra Carmen Argibay ». Il s’agit d’aider toute organisation laïque qui le souhaiterait à déposer des recours juridiques pour le retrait des symboles religieux dans les édifices publics.

En Equateur, à Quito, les centres culturels adhérents de l’AILP relève que des rassemblements de tous types sont régulièrement organisés autour d’une énorme croix érigée à l’occasion de la venue du Pape Wojtila. Ils dénoncent également la présence d’une statue de la Vierge dans le patio du Palais de Justice et que les forces armées aient pour patronne la Vierge Mercedes. En Uruguay, les organisations membres de l’AILP luttent pour éviter le financement public de l’éducation religieuse, défendent la loi pour l’interruption volontaire de grossesse et d’autres intromissions des confessionnalismes dans la sphère publique. En France, La Fédération nationale de la Libre Pensée a gagné des procès contre la présence des crèches chrétiennes dans les bâtiments officiels de la République française. Cela a provoqué des débats médiatiques importants où la Libre Pensée a été opposée aux religions (toutes unies pour la défense de la présence de leurs symboles dans la sphère publique) et aux politiciens à leur service. D’autres procès et diverses actions sont encore en cours contre la volonté de l’Eglise catholique de marquer les emplacements publics de ses symboles chrétiens. Mais le pays de Voltaire est en train de se réveiller. La Libre Pensée est aux avant-postes de cette action. L’Association internationale de la Libre Pensée (AILP) agit partout sur tous les continents pour la Séparation des Religions et des Etats ! »

Dotés d’une internationale, les libres penseurs du monde se doivent de la renforcer. C’est un outil indispensable à l’instauration sur toute la planète des idéaux des libres penseurs.

Hansi Brémond

 

Sources :
Qu’est-ce que la Libre Pensée ? Editée par la FNLP en 2009

https://blogs.mediapart.fr/libre-pensee