Un projet inquiétant qui accouche d’une souris

Pour nous suivre

Il est des choses parfois amusantes qui se produisent. Ainsi le Gouvernement Macron/Philippe est à l’origine (une de  plus) de démanteler la loi du 9 décembre 1905 de Séparation des Eglises et de l’Etat. On a assisté à une volonté de nous faire lâcher la proie pour l’ombre. Sa volonté : amuser la galerie par une demande de retirer les religions de la liste des organismes obligés de se déclarer comme lobbies. En effet, par une loi de 2013, en application d’une directive européenne (l’Europe vaticane), il est transposé une obligation de « transparence ». Cela, c’est l’ombre. Dont l’Eglise catholique se moque comme de sa première hostie. Déclarée ou pas comme un lobby, l’Eglise catholique a toujours su défendre ses intérêts. Et tous ceux qui, de  droite comme de gauche, se réclament de la Doctrine sociale de l’Eglise sont là pour agir partout.

Quant à la proie, il s’agissait de permettre aux associations cultuelles (chargées de gérer les cultes par la loi de 1905), de pouvoir gérer des biens immobiliers en en tirant un substantiel profit financier qui serait reversé directement aux religions. Patatras, malgré le secours inattendu de la droite au Sénat (LR et UC), cette disposition, prévue par l’article 38 de la loi « au service d’une société de confiance » a sombré en dernière lecture à l’Assemblée nationale. Touchée et coulée, la majorité macronienne a refusé de voter cet article.

Il suffit de se reporter au discours de Christian Eyschen au meeting laïque de Montpellier du 7 avril 2018 pour s’apercevoir que la Libre Pensée avait vu juste, bien avant beaucoup de monde. Les réseaux de Manuel Valls en sont tous marris, eux qui avaient appelé à voter pour Emmanuel Macron en signe de contrition

Ils ont voulu nous faire prendre leur messie pour une lanterne et ils se sont brulé (Georges Las Vergnas)

L’analyse de la Libre Pensée

Le 27 novembre 2017, le Conseil des ministres adoptait un projet de loi pour un État au service d’une société de confiance qui tend à introduire un « droit à l’erreur » de nature, notamment, à limiter le champ d’application de la répression de la fraude fiscale et/ou sociale. Dans sa rédaction initiale, ce texte comportait un article 38 – que la Libre Pensée a qualifié de cavalier législatif dès lors qu’il est sans rapport évident avec le corps du projet de loi – visant à modifier les articles 19 de la loi du 9 décembre 1905 et 18-2 de celle du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique et ayant un triple objet : permettre aux associations cultuelles de posséder et d’administrer un patrimoine immobilier acquis à titre gratuit, c’est-à-dire par donations entre vifs ou par legs consentis à leur profit ; les obliger à produire un compte annuel complétant l’état de leurs recettes à remettre à l’administration ; les exclure de la liste des représentants d’intérêt dans leurs relations avec les pouvoirs publics et les administrations autres que le Bureau central des cultes du ministère de l’Intérieur. Le premier de ces trois objets avait une incidence fiscale importante : l’abattement de 66 % du montant de l’impôt grevant les donations immobilières entre vifs en faveur des cultes à régler par les donateurs, conformément à l’article 200 du Code général des impôts, actuellement applicable uniquement à celles consenties en faveur d’associations d’intérêt général.

En dépit de l’aval du Conseil d’État, le libellé de l’article 38 transmis par le Gouvernement à l’Assemblée nationale a été amputé d’une disposition qui n’était pas anodine et le complétait de manière à rendre l’ensemble totalement cohérent : le pouvoir exécutif a retiré la disposition excluant, par adjonction d’un 5° à l’article L. 213-1-1 du Code de l’urbanisme, du champ du droit de préemption reconnu aux personnes morales de droit public les donations entre vifs d’immeubles effectuées au bénéfice des associations cultuelles et des établissements publics du culte dans les départements concordataires du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, bien que cette mesure fût de nature à conforter celle ayant pour objet de permettre aux cultes d’exploiter un patrimoine immobilier dans un but lucratif et non simplement spirituel. Bref, à s’en tenir à la seule question sérieuse soulevée par l’article 38 – celle du patrimoine immobilier acquis à titre gratuit -, le Gouvernement, sous couvert de promouvoir « une société de confiance » entendait à l’origine offrir un cadeau de choix aux cultes, qu’il a néanmoins rendu plus modeste avant de saisir le Parlement.

Présidée par M. Stanislas Guérini (LREM), la Commission spéciale constituée pour examiner ce projet de loi a réduit presqu’à néant les ambitions du pouvoir exécutif. Du texte initial n’est demeurée que la disposition tendant à exclure les cultes de la liste des représentants d’intérêts auprès des pouvoirs publics et des administrations. Bien qu’incomplet au regard des ambitions initiales du Gouvernement, appuyé par le Conseil d’État, le bel édifice érigé en vue d’offrir aux associations cultuelles la possibilité de posséder et d’administrer un patrimoine immobilier acquis à titre gratuit aux fins d’accroître leurs ressources s’est effondré au terme des débats au sein de la Commission spéciale et n’a pas été relevé en séance publique, le 30 janvier 2018. Dans son rapport, M. Stanislas Guérini donne les raisons de ce naufrage : « La disposition qui permettait aux associations cultuelles de détenir et d’administrer des immeubles de rapport à titre gratuit n’a en effet pas fait l’objet d’une évaluation financière suffisante de la part du Gouvernement et soulevait de grandes interrogations de la part des membres de la commission spéciale. »

En première lecture, le Sénat a mené un combat d’arrière-garde de soutien au texte du Gouvernement. Présidée par Mme Pascale Gruny (LR) et M. Jean-Claude Luche (UC), la Commission spéciale, qui a été suivie en tous points en séance publique le 20 mars 2018, a rétabli, sur proposition des co-présidents, le I de l’article 38, prévoyant d’introduire un neuvième alinéa à l’article 19 de la loi du 9 décembre 1905 ainsi libellé : « Elles pourront posséder et administrer tout immeuble acquis à titre gratuit. ». Elle a également fait renaître la disposition faisant échapper, par adjonction d’un 5° à l’article L. 213-1-1 du Code de l’urbanisme, les donations entre vifs d’immeubles consenties en faveur des associations cultuelles du droit de préemption des collectivités publiques, qu’avait supprimée le Gouvernement avant la transmission du texte à l’Assemblée nationale. En outre, comme celle-ci en première lecture, elle a adopté la disposition du projet de loi initial excluant les cultes de la liste des représentants d’intérêts. Enfin, elle a ajouté deux dispositions, sans rapport direct avec notre sujet, tendant à limiter la portée de la loi du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique.

S’agissant des mesures à caractère immobilier que le Sénat a adoptées en première lecture, le rapport de la Commission spéciale donne les raisons du soutien du Sénat au Gouvernement. Il affirme, d’une part, que « L’octroi aux associations cultuelles de la possibilité de posséder ou d’administrer tout immeuble acquis à titre gratuit n’aurait pour conséquence ni de modifier leur objet exclusivement cultuel, conformément à l’article 19 de la loi du 9 décembre 1905, ni de remettre en cause le principe de spécialité auquel elles sont soumises », d’autre part, que « le risque de constitution d’associations cultuelles dans le seul but de capter des héritages, qui avait été évoqué lors du débat sur le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, est sans doute moins fort pour les associations cultuelles que pour les associations de loi de 1901, dans la mesure où ces associations ont pour objet exclusif l’exercice d’un culte. » Sur ce dernier point, les sénateurs font preuve, sans aucun doute, d’une grande ingénuité, réelle ou feinte.

De retour à l’Assemblée nationale, le texte du Sénat a subi le même sort qu’en première lecture. A l’exception du report à 2021 au lieu du 1er juillet 2018 de la date d’effet d’une disposition de la loi du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique, le 26 juin 2018, les députés ont adopté uniquement l’exclusion des cultes de la liste des représentants d’intérêts auprès des pouvoirs publics et des administrations.

Ce débat inspire une réflexion : la volonté de modifier la loi du 9 décembre 1905 concernant la Séparation des Églises et de l’État anime bien ce gouvernement, comme le prouve l’envoi de ce ballon d’essai dans l’arène parlementaire, mais il n’est pas si facile pour lui d’aboutir. Il en résulte un étrange retournement du jeu des acteurs : la majorité à l’Assemblée nationale s’oppose au Gouvernement qui ne résiste pas tandis que la majorité au Sénat, théoriquement dans l’opposition, le soutient sans être entendue en fin de compte. La loi de Séparation est bien gravement menacée mais les laïques ont beaucoup d’atout dans leur manche pour défendre l’œuvre de Buisson, Briand et Jaurès.

Ne touchez pas à la loi de 1905 !

Rejoignez la Libre Pensée !