D.G. : Maryam, peux-tu te présenter ?
MP : Je suis étudiante en Licence III à l’université Sorbonne Université en Lettres-Edition-Média audiovisuel. Je suis également présidente de la section Sorbonne Université Faculté des Lettres de l’UNEF.
DG : Nous sommes le 8 janvier 2019. Quel est ton point de vue sur la situation générale, sociale, dans le pays ?
MP : Je dirais que c’est une situation complexe. Nous avons eu un nouveau Président et un nouveau gouvernement, ce qui fait bouger beaucoup de choses. C’est une politique qui est axée sur de nombreuses réformes et c’est également à cause de ça que nous avons un contexte particulier ces derniers temps avec de nombreuses contestations sociales ou autres. Que ce soit du côté des retraités, des étudiants, des lycéens et actuellement nous sommes en pleine période de manifestations des gilets jaunes. Quelque chose que l’on n’a jamais vu en France auparavant. Une contestation sociale qui grimpe et qui rend parfois les débats un peu compliqués et complexes sur les plateaux télé mais également aux repas de familles !
DG : Tu reviens à la fois sur la situation des étudiants et sur la situation sociale. On est un peu sur la deuxième année de Parcoursup. Comment as-tu vécu la première année de Parcoursup l’année dernière et comment se positionne votre syndicat sur cette question ?
MP : Nous avons vu arriver Parcoursup et nous nous sommes posé la question de savoir comment on va aider un maximum d’étudiants avec l’arrivée de cette nouvelle réforme. Car c’est ça le rôle d’un syndicat, aider les étudiants, et c’est cet impact que l’on veut avoir. Nous avons mené des campagnes de conscientisation, expliquer aux étudiants ce qui se passe. Nous avons décrypté la réforme pour pouvoir l’expliquer au mieux et aider les lycéens. C’est pour cela qu’il y a une plateforme « SOS inscription » sur laquelle des milliers de personnes ont envoyé des messages et demandé qu’on les aide. C’est ce qui a été fait tout cet été et même encore à la rentrée pour inscrire un maximum de personnes à l’université puisque cette réforme, à laquelle l’UNEF était et est toujours opposée, impose une sélection à l’entrée de l’université. Le diplôme du Baccalauréat n’est plus uniquement nécessaire pour entrer à l’université. Il faut également certains prérequis comme un CV, une lettre de motivation etc… Nous pensons qu’il y a une certaine discrimination sociale qui va naître et s’accentuer et c’est pour cela que nous avons été force d’opposition à ce moment-là.
DG : On peut dire que vous restez mobilisés alors que Parcoursup continue ?
MP : Oui l’UNEF reste mobilisée ! Au niveau de ma section locale on est confronté à de nombreuses problématiques au sein des universités. Parcoursup va rouvrir, ça va être aux journées portes-ouvertes et donc il va y avoir un gros travail de notre côté pour expliquer aux étudiants ce qui n’a pas fonctionné l’année dernière, les avertir, les conseiller et, les aider au mieux cette année encore.
L’UNEF a participé à des discussions avec le gouvernement mais c’est un dialogue de sourds. La situation devient compliquée notamment concernant l’annonce récente sur l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers hors UE. Ceci est délirant d’autant que même les facs s’y opposent. C’est notre rôle en tant que syndicat d’aller dans les facs pour faire signer des motions au sein des conseils afin que les universités prennent position contre cette annonce. Créer un véritable rapport de force afin de faire reculer le gouvernement.
DG : Tu penses que sur cette question de l’augmentation des droits d’inscription pour les étrangers, il y a un vrai front qui s’organise ?
MP : oui. Suite à cette annonce énormément de personnes ont réagi, les facs les unes après les autres, parce que nous avons des forces syndicales qui , en conseil d’administration, en conseil de formation, en conseil de facultés, se battent pour que nos revendications passent. C’est remonté très haut car il y a plein de syndicats qui s’unissent pour dire que ça va trop loin. Il y a eu des rassemblements et des manifestations pour faire en sorte que le plus grand nombre de personnes puissent soutenir cette cause et s’en emparer pour que cette réforme ne soit pas appliquée.
DG : Autre sujet qui a été mis en avant par le gouvernement, c’est le Service National Universel. Quel est ton point de vue et celui de l’UNEF sur cette question ?
MP : Pour moi, c’est un retour à l’ancienne époque, celle de mon grand-père qui a fait son service militaire, et je me dis que ce n’est pas comme ça qu’on va éduquer et conscientiser les jeunes. Ce n’est pas la bonne manière de faire. C’est par l’éducation et ça on l’a au sein des écoles françaises. C’est ça qu’il faut conserver et renforcer, et si cela ne suffit pas il faut peut-être repenser les programmes et les manières d’enseigner. Je pense que c’est plus là-dessus qu’il faut jouer et sur la manière que l’Education Nationale a pour nous apprendre des choses. C’est pour cela que l’on va à l’école, pour nous forger une opinion par la suite et ne pas être pendant plusieurs semaines, un mois, deux mois, un an dans un Service National Universel. Cela ne servirait à rien. Ce n’est pas ça qui crée du lien entre les étudiants ; ce n’est pas cela qui nous fera penser par nous-même, surtout le fait de suivre les ordres.
Concernant les syndicats c’est plutôt l’UNL qui a été la première force à s’y être opposée car ce sont surtout les lycéens qui sont concernés. L’UNEF a bien évidemment soutenu.
DG : Sur le terrain de la laïcité, quel est ton point de vue sur à la fois l’éventuel changement de la loi de 1905 comme annoncé par E. Macron et son gouvernement, mais aussi sur la laïcité dans les universités ?
MP : La loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat s’applique pour n’importe quelle religion. C’est donc délirant que le prisme de la laïcité soit toujours utilisé pour une seule et même religion. C’est cela qui est problématique. Moi, au moment de la polémique on était choqué parce que je portais le voile, que j’étais responsable syndicale, que j’étais passée à la télé. Il est nécessaire d’utiliser ce terme de manière plus inclusive pour tou-te-s et de remettre une définition claire et précise derrière ce mot.
DG : On rappelle que tu as été au centre d’une polémique, que tu n’as certainement pas voulue ni déclenchée. C’est lors des événements concernant Parcoursup, que tu as été interviewée par des médias et ces médias n’ont pas fait ressortir le fond de ton intervention relative à Parcoursup mais le fait que tu sois une responsable syndicale voilée.
MP : C’est bien ça. Mes propos ont duré 11 secondes et ce qui a fait polémique c’est que ça ait réagi sur les réseaux sociaux et les chaines d’infos, médias divers qui ont repris sous le seul angle du voile, en titrant « la responsable de l’UNEF voilée » ce qui provoque un regard biaisé. C’est le voile qui a axé les débats et non pas mes propos sur Parcoursup. Pour une autre personne ce serait passé si elle n’était pas voilée ou si c’était un homme.
Pour revenir sur la laïcité, il y a toujours la partie juridique concernant la liberté de culte tant que cela n’enfreint pas les règles de la République, tant que cela ne nuit pas à l’ordre public. Je peux comprendre que certaines personnes soient choquées par le fait que je porte le voile, que ça ne leur plaise pas, c’est leur opinion personnelle tout comme c’est mon choix personnel.
Mais ce qui est dommage c’est que l’on axe la laïcité sur l’opinion publique, sur ce qui est dit par monsieur et madame tout le monde et pas sur ce qui est réellement dit dans la loi. Il y a une séparation à faire entre les deux qui ne l’est pas assez à mon sens. Cette liberté d’expression ne devrait pas poser problème et ne pose aucun problème ; cependant la façon de s’habiller n’est pas la question principale. Les questions sociales sont les plus importantes, parce qu’elles touchent des millions de personnes, et les éluder, cela devient préjudiciable.
DG : Est-ce que tu es d’accord avec le fait que dans les universités il y a des franchises universitaires qui protègent les étudiants et qui leur permettent de s’habiller comme ils veulent. Il y a eu des prêtres qui venaient suivre des formations, habillés en soutane, comme il y a eu des militaires habillés comme tels. On est libre de venir à l’université, habillé comme on le souhaite.
MP : Oui car on va à l’université pour étudier, pour se forger une opinion, pour acquérir des connaissances et c’est uniquement sur ça que l’on est évalué, c’est le seul prisme valide. En France, la manière de se présenter vis-à-vis de l’autre est importante contrairement à d’autres pays, et inconsciemment on a déjà une opinion, des préjugés. Cela a tendance à fausser le débat. D’où l’importance, dans le milieu des études, des copies anonymes. Je pense que ma génération et les suivantes sont plus progressistes sur ces questions, certaines mentalités évoluent, et la jeunesse actuelle arrive à repenser certaines questions comme s’accepter les uns les autres tout en étant différents, et comme l’idée que l’on peut vivre ensemble.
DG : On entend souvent dire que les jeunes ne militent pas, ne font rien pour eux-mêmes. Qu’en penses-tu ?
MP : C’est étonnant car on m’a posé une seule fois cette question et c’était à l’étranger. Je trouve cette façon de penser assez cynique que de dire que la jeunesse ne fait plus rien, suit le mouvement. En fait, nous avons des syndicats lycéens et étudiants où il y a des jeunes et qui cherchent à valoir leurs droits. On met des milliers de jeunes dans la rue. La jeunesse n’est pas perdue, elle repense la société et essaie d’apporter notre point de vue. C’est là que les choses sont différentes par rapport aux générations précédentes. On espère pouvoir faire changer les choses de façon plus progressiste pour les générations futures.
DG : Je te remercie
MP : Merci.
Paris, le 16 janvier 2019
(Interview réalisée par David Gozlan)