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La Raison : Bonjour Pascale, tu es l’une des responsables de « Femmes Solidaires ». Merci d’avoir accepté de répondre aux questions de La Raison, journal de la FNLP. Cette interview est réalisée en visio-conférence et, avec ton accord, elle pourra être diffusée sur les sites de la FNLP et du Groupe Fred Zeller.
Pascale, peux-tu te présenter ?

Pascale Martin : Merci de me permettre de m’exprimer. Je suis membre de la direction collégiale du comité départemental de « Femmes Solidaires » Dordogne. Quelques précisions : j’ai été Présidente pendant près d’une dizaine d’années de ce comité départemental, et nous avons souhaité collectivement partager les responsabilités en mettant en place une direction collégiale. Nous sommes dans les balbutiements de cette nouvelle organisation pour laquelle nous avons travaillé pendant plus d’une année, puisque cela faisait quelque temps que je ne souhaitais plus être présidente.

Je suis engagée sur les questions du féminisme depuis une quinzaine d’années. Dans le passé, j’étais professionnellement chargée de développement territorial en Seine-Saint-Denis, et j’ai pu mettre en place un certain nombre de projets qui permettaient à des femmes d’accéder à l’emploi ou à la formation, alors que si on n’avait pas initié de tels projets, elles seraient certainement restées sur le bord de la route. J’ai en tête de belles expériences de ce type que j’ai pu mener dans ce département formidable.

Je suis sociologue de formation, pas de formation initiale, parce que j’ai dû commencer à travailler très jeune, juste après mon baccalauréat. Tout au long de ma vie professionnelle, je me suis formée, en interne et aussi à l’université, ce qui m’a permis d’obtenir un diplôme de sociologie. C’est un cheminement intéressant puisque ce sont toutes les questions que l’on se pose sur comment vivre dans cette société, et le moment est tellement particulier que c’est intéressant d’analyser ce qui est en train de se passer.

La Raison : Merci Pascale ; avant d’en venir à l’histoire de l’association « Femmes Solidaires » et parce qu’on en a parlé un petit peu, je sais que tu as représenté Femmes Solidaires au plan international également.

Pascale Martin : Oui, tout à fait ; je suis donc aussi élue nationale « Femmes Solidaires » ; c’est une association qui comprend 200 comités locaux répartis sur l’ensemble de la France, y compris les DOM-TOM. Il y a un collectif national qui se réunit trois fois par an et je suis élue au sein de ce collectif national. Les élections se déroulent à chaque congrès national tous les trois ou quatre ans normalement. Il aurait dû y avoir un congrès en cette fin d’année 2020 ; il est reporté évidemment en 2021, et on espère qu’il pourra avoir lieu dans des conditions à peu près normales. En Dordogne, nous avons deux élues nationales et ce sera mon troisième mandat, si je me représente la prochaine fois. Les élues nationales vont régulièrement dans des instances nationales ou internationales.

En 2015, j’ai eu la chance que mes camarades me mandatent pour aller à l’ONU, à la commission pour le statut des femmes qui a lieu tous les ans pendant quinze jours au mois de mars. J’explique un peu cette organisation, parce que je l’ignorais avant de m’impliquer autant sur ces questions du féminisme. En fait, tous les ans, au mois de mars, pendant 15 jours, les États membres de l’ONU et les ONG mandatées par l’ONU se rencontrent et travaillent ensemble sur les questions des droits internationaux des femmes. Donc en 2015, j’ai fait partie de la délégation de quatre personnes. C’est très intéressant ce qui se passe là, parce qu’il y a à la fois des conférences sur un certain nombre de sujets qui touchent les droits des femmes, mais il y a aussi des négociations entre les États, des négociations entre les ONG, des négociations entre États et ONG et, par exemple, on voit que sur tout le continent africain les ONG sont plutôt des « ONG gouvernementales ». Là, de manière un peu insidieuse, ce sont les gouvernements qui financent les ONG et qui du coup font passer leur politique auprès de ces “ONG” ; donc il n’y a pas de débat. J’ai cité le continent africain, mais on assiste aussi à ce type de choses en Asie, et puis, alors, il y a évidemment la religion qui se mêle de tout cela. Tous les jours, devant l’ONU, il y avait des associations « pro-vie » qui militaient contre l’avortement, pendant la commission d’examen du statut des femmes. Donc, c’est vraiment très intéressant ce qui se passe au sein de l’ONU.

Nous, ONG « Femmes Solidaires », on travaille avec l’État français. Les États rendent leur rapport annuel à l’ONU, et nous, en tant qu’ONG, on rend aussi un rapport annuel. On fait remonter tout ce qui dysfonctionne en termes de droits des femmes en France, parce qu’il n’y a pas qu’à New-York qu’il y a des problèmes en ce qui concerne l’égalité femmes – hommes ; en France aussi, on a encore des choses sur lesquelles il faut qu’on veille et on a encore des choses à faire progresser. Je dis souvent qu’en France toutes les lois sont là pour l’égalité entre les femmes et les hommes, mais les lois ne sont pas respectées. L’exemple le plus flagrant, c’est l’inégalité salariale : il y a encore, selon les rapports, entre 25 et 15 % de salaire en moins pour les femmes, alors qu’une loi dit que les femmes doivent être payées comme les hommes ; donc voilà, c’est un exemple, un parmi tant d’autres.

Autre mandat que j’ai assuré récemment, c’était l’année dernière au Conseil de l’Europe. La France était présidente du Conseil de l’Europe pour six mois, puisque c’est une présidence tournante, et il a été organisé un colloque sur la qualité de l’accueil des victimes en cas de dépôt de plainte. Des pays membres de l’Union européenne sont venus parler de leur fonctionnement. La France bien sûr était là aussi pour parler de son fonctionnement et se réjouir du « Grenelle contre les violences faites aux femmes ». Ce Grenelle pour l’instant, si je peux me permettre l’expression, n’a pas même accouché d’une petite souris, puisqu’il n’y a pas grand- chose de changé et justement cette question de la qualité de l’accueil en commissariat ou brigade de gendarmerie est vraiment une question sur laquelle on travaille au comité de Dordogne, parce que les retours que nous avons des femmes ne sont pas aussi positifs que ce que peut nous dire la ministre à l’égalité femmes-hommes.

La Raison : Merci Pascale ; on en arrive à l’histoire de Femmes Solidaires ; d’où venez-vous, quels sont vos liens historiques et quelles sont les valeurs sur lesquelles vous êtes positionnées en relation, j’imagine, avec vos origines ?

Pascale Martin : Notre origine est plus que jamais importante à rappeler. Nous sommes issues des Comités féminins de la Résistance ; les femmes notamment, qui avaient été internées au camp de Ravensbrück, le camp dédié aux femmes et aux enfants, qui étaient des militantes, bien sûr, et qui revenant de leur camp, pour les quelques-unes qui en sont revenues, ont continué de militer pour revendiquer le droit de vote pour les femmes. Donc, elles ont créé « l’Union des Femmes Françaises », c’était en juin 1945. Cette « Union des Femmes Françaises » était très liée à un parti politique, on peut le nommer, c’était le Parti Communiste à l’époque. Ce lien a duré plusieurs décennies, et puis dans les années 1990, il y a eu quand même, avec plein de guillemets, une petite “guerre froide” entre le Parti Communiste et l’ « Union des Femmes Françaises » ; en fait, les femmes vont chercher à s’émanciper de ce parti et vouloir s’ouvrir à un éventail politique plus large ; donc, aujourd’hui, je dis souvent, quand je présente l’association, que c’est une association progressiste ; évidemment, nous ne sommes pas traditionalistes et nous le revendiquons haut et fort, et nous ne sommes plus liées au Parti Communiste.

En 1998, on a changé de nom pour s’appeler « Femmes Solidaires » ; pourquoi ? Parce que les femmes algériennes, suite aux événements des années 1990 en Algérie, années qui avaient été extrêmement douloureuses et violentes, ont cherché refuge, pour bon nombre d’entre elles, en France et que « Femmes Solidaires », enfin, « l’Union des Femmes Françaises », a été sollicitée pour soutenir ces femmes algériennes. Alors, on s’est posé la question, “Femmes Françaises“, ce n’est pas très adapté à cette idée de solidarité internationale que nous développons et on a changé de nom, mais c’est la même association. Donc, c’est une vieille association ; c’est la plus vieille association féministe ; on a environ 10 000 adhérentes, 200 comités ; on a créé il y a maintenant six ou sept ans, un réseau international féministe et laïque, et cela est très important aussi dans le contexte actuel de rappeler que nous sommes une association laïque.

Nous sommes donc très attachées à cette loi de Séparation des Églises et de l’état qui fait beaucoup débat aujourd’hui. Nous sommes aussi abolitionnistes, c’est à dire que nous sommes contre la prostitution ; j’ai vu que récemment « Amnesty International » s’est positionnée pour défendre, j’utilise le terme, mais nous le combattons, les “travailleuses du sexe“, parce que si on se positionne comme cela, cela veut dire qu’on est d’accord avec la prostitution, alors nous bien sûr, on n’est pas contre les prostituées, si on doit accueillir une prostituée, parce qu’elle a une demande par rapport à cette violence que constitue la prostitution, on va l’aider, tout comme une femme voilée, on va l’aider aussi, bien sûr. Ce pourquoi on lutte, c’est contre la prostitution, contre la religion, mais pas contre les femmes, au contraire, on est universaliste ; donc, on souhaite que toutes les femmes, et partout dans le monde, aient les mêmes droits et que la culture ou la religion n’ait pas à interférer dans ces droits ; cela n’est pas possible pour nous ; alors, on se fait traiter “d’islamo-gauchiste“, on se fait traiter de pleins de noms pas très gentils, mais on est ferme sur cette position, et notre Présidente nationale nous le rappelle toujours ; il ne faut pas qu’on lâche, parce que si nous, en France, nous lâchons sur ces questions-là, cela veut dire que derrière, tous les autres pays, qui ont déjà bien du mal à appliquer la Convention de l’ONU, vont lâcher aussi et que les droits des femmes vont régresser. Ils régressent déjà en France, par exemple sur la question de la maternité, car de nombreuses maternités ayant fermé, les centres de maternité s’éloignent et à nouveau la vie des femmes est en danger.

La Raison : Puisque l’on parle de l’histoire et de ce qu’est « Femmes Solidaires », quelles sont vos actions et vos revendications en général sachant qu’on va revenir après sur les aspects locaux de vos combats ?

Pascale Martin : « Femmes Solidaires » est une association généraliste, donc elle est très active, parce que nous luttons sur beaucoup de champs différents et, d’un comité à l’autre, nous pouvons avoir des fonctionnements finalement assez divers, mais notre action générale est le combat pour les droits des femmes et le mot « lutte » réapparaît souvent dans notre vocabulaire ces derniers temps, parce qu’il ne faut pas l’oublier, nous ne sommes pas une association de dames patronnesses, surtout pas ; nous sommes une association de femmes qui sont en lutte.

Comme nous sommes nombreuses dans cette association, aussi bien en Dordogne qu’au plan national, il y a des personnalités diverses, beaucoup sont engagées par ailleurs sur d’autres combats qui se rejoignent parfois ; donc nous avons différentes façons d’être présentes au sein de l’association. Certaines d’entre nous par exemple ne souhaitent pas être qualifié de militantes ; ce n’est évidemment pas mon cas ; moi je tiens à ce mot “militante” – “militare” – c’est se battre, lutter ; et donc moi, je me reconnais bien dans ces mots-là, mais d’autres sont peut-être un peu plus modérées. Au plan national, le maître-mot, c’est la lutte pour les droits des femmes et la lutte pour faire respecter les droits des femmes, parce que, encore une fois, dans notre pays, nous avons des droits, mais souvent ils ne sont pas respectés. Par contre dans d’autres pays, ces droits n’existent pas et, par exemple, en Algérie, la religion est religion d’État, les femmes sont soumises à l’autorité de l’homme de la naissance à la mort et elles, elles nous disent “ne lâchez pas, ne lâchez pas, parce que nous, nous sommes en train de nous battre pour que la religion sorte de notre constitution et si vous, vous lâchez, on n’aura plus cette référence ; on sait que c’est possible ailleurs, donc ça doit être possible dans notre pays“.

En Dordogne, on a choisi d’agir sur deux grandes thématiques, l’éducation et l’accueil, l’accompagnement des femmes. Pour l’éducation, c’est dès le plus jeune âge, même quand l’enfant est dans le ventre de la mère, qu’il faut commencer à travailler avec les parents pour que, quel que soit le sexe de l’enfant, on l’accueille de la même façon ; c’est un être humain qui arrive, qui nait et il a un éventail de droits incroyables à sa disposition et donc faisons en sorte qu’il puisse avoir accès à tous ces droits sans distinction, cela nous paraît très important. En ce moment, il y a deux femmes qui vont bientôt mettre au monde des enfants, avec qui on discute de cela. Ce ne sont pas des femmes de nationalité française, tout en douceur, on peut arriver à avoir des débats là-dessus. Donc l’éducation, pour ce qui concerne notre comité, cela consiste à intervenir en médiathèque pour aller lire des livres de littérature non sexiste à des enfants dès le plus jeune âge, en demandant par exemple aux enfants ce qu’ils pensent d’un livre où le papa a un rôle auquel on ne s’attend pas, et la maman inversement. C’est intervenir aussi en milieu scolaire, ce que nous venons de faire d’ailleurs avec la ville de Périgueux où, à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’enfant, la mairie nous a invité à nous joindre aux Elus pour présenter notre exposition “c’est mon genre” qui concerne la littérature jeunesse et qui montre tous les droits possibles pour les filles et les garçons ; donc c’était une expérience intéressante, sinon on le fait de manière un peu plus habituelle pour nous en partenariat avec des enseignants qui nous accueillent dans leur classe ; avec la classe, on peut échanger.

L’autre volet sur lequel on travaille, c’est l’accueil, l’accompagnement des femmes, de toutes les femmes quelles qu’elles soient. C’est le volet un peu plus noir, parce que c’est compliqué quand on est face à une femme qui vient nous confier un viol, une agression sexuelle, un inceste qui a bouleversé l’ensemble de sa vie. 90 % des femmes qui ont été violées ne vont pas porter plainte, 10% seulement des femmes qui ont subi une agression sexuelle jusqu’au viol portent plainte, et sur ces 10 %, 1% seulement des agresseurs sont condamnés. On comprend, rien qu’avec ces chiffres, pourquoi les femmes ne vont pas porter plainte, puisque même quand elles ont le courage de le faire, la plupart du temps l’agresseur n’est pas condamné.

Parlons aussi des allers-retours concernant les femmes agressées. Bien sûr qu’elles retournent auprès de leurs bourreaux, une fois, deux fois, trois fois et on peut espérer qu’un jour, la quatrième fois peut-être, elles se sépareront de ce bourreau, parce qu’elles auront été suffisamment accompagnées et aidées. Donc ça, c’est le côté difficile de notre militantisme ; bien sûr, on travaille avec les professionnels du département, mais ils sont vraiment trop peu nombreux. « L’île aux femmes », qui est une structure d’accueil de jour pour les femmes, ce sont deux salariées, une psychologue et une intervenante, pour l’ensemble du département ; je vous laisse imaginer comment elles sont débordées ; ce n’est pas possible de faire un accompagnement de qualité avec juste deux salariées, c’est une question de moyens là aussi : le milliard que nous réclamons pour régler ce problème de violence faite aux femmes dans notre pays !

La Raison : Merci Pascale, j’étais vraiment tout à fait attentif à ce que tu viens de dire, parce que cela rejoint beaucoup de préoccupations que nous avons ; cela met surtout en valeur le travail au quotidien qui est fait par les militantes de l’association : patience et acharnement pour défendre chaque dossier jusqu’au bout. Alors on en arrive maintenant aux difficultés que vous rencontrez avec le préfet de Dordogne.

Pascale Martin : Les faits : En Dordogne nous sommes une association reconnue comme « association œuvrant pour les droits des femmes ». Chaque année, symboliquement le 25 novembre, le préfet ou la préfète, reçoit les associations partenaires pour leur présenter les éléments statistiques de l’année. On a droit à une litanie de chiffres. Sont présents, la justice, la police, la gendarmerie, les associations « France-Victime », « CIDFF » (Centre d’Information des Droits des Femmes et de la Famille), le Planning Familial », et puis quelques associations locales qui ont des financements publics et des salariés et qui font un travail remarquable et avec qui il nous arrive de travailler. Nous, nous sommes aussi une de ces associations invitées et, cette année, le virus ayant le dos large, quand nous avons questionné la Déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité sur cette réunion annuelle, qui jusqu’à présent avait toujours eu lieu, elle nous a dit : je ne sais pas comment cela va s’organiser, il faut attendre les recommandations du préfet, etc.

Il y a une loi de juillet 2010 sur l’égalité Homme-Femme qui a été votée et qui parle de la sensibilisation du public à la question des violences faites aux femmes, donc nous, traditionnellement, nous menons une action de sensibilisation envers la population et nous avons voulu faire un rassemblement le samedi 21 novembre, jour de marché pour notre ville de Périgueux. Nous avons déposé une déclaration pour notre rassemblement et la préfecture nous a répondu que cela n’était pas possible et que le rassemblement était interdit. Nous avons essayé de négocier un changement de lieu pour être sur un lieu avec moins de passage et donc moins de risque sanitaire, puisque c’était en partie cela qui nous était dit. Il nous était quand même aussi dit quelque chose d’hallucinant, c’est que notre action n’était pas revendicative, qu’il considérait qu’on faisait une petite danse sur la place du marché.

Donc voilà les deux motifs, c’étaient les conditions sanitaires et la revendication. On essaie de négocier le changement de lieu, et on nous dit non, vous ne pouvez pas changer. Il se trouve que nous avons participé au rassemblement contre la loi de Sécurité globale le 21 novembre et à la suite du rassemblement, celles qui avaient déjà un peu travaillé cette action flash se sont rejointes sur les marches du Palais de justice ; on s’est dit que le samedi matin, le Palais de justice étant fermé, il y avait peu de passage à cet endroit-là et qu’on pouvait donc faire notre petite action. On l’a filmée pour la mettre sur les réseaux sociaux ; et bien, la police est arrivée à la fin de notre action, a relevé les identités de 3 militantes, dont la mienne et j’ai été convoquée, devinez à quelle date ?

Le 25 novembre ! Alors, évidemment, le policier qui m’a reçu, un homme très courtois par ailleurs, quand je lui ai fait remarquer cette coïncidence, m’a dit “ce n’est qu’une coïncidence“, mais bon, en tant que militante féministe, c’est un peu marquant, je me souviendrai sans doute le restant de ma vie que j’ai été auditionnée le 25 novembre, au commissariat de Périgueux, parce que j’avais participé à une manifestation interdite. C’était le motif de cette audition ; j’ai eu un classement sans suite, mais j’ai quand même eu droit un petit rappel à la loi. Toujours est-il que ce préfet est effectivement le reflet des préfets qui sont nommés par le ministère de l’intérieur ; je lisais ce matin justement que les préfets ont encore plus de pouvoir : au mois d’août, ils ont fait encore passer une loi, en catimini, qui donne tous pouvoirs au ministère de l’Intérieur, ministère de l’Intérieur qui nomme les préfets et voilà : on est sur une pente vraiment très dangereuse, et c’est pour ça que je disais la résistance, il faut qu’on continue de l’organiser, c’est vital pour nous et pour notre société.

La Raison : Ce que tu viens de dire nous amène tout droit à la question suivante, sur le point de vue de « Femmes Solidaires » et ton point de vue à toi sur les lois sur lesquelles nous sommes amenés à combattre ensemble, le combat pour le retrait de la loi « Sécurité globale » et puis cette nouvelle loi, qui a été présenté avant-hier, qu’on appelle toujours loi sur le « Séparatisme », même si son titre a été modifié, mais qui n’est pas moins inquiétante que la loi « Sécurité globale ».

Pascale Martin : Depuis les premiers rassemblements, j’ai un petit panneau où j’écris “sécurité globale, liberté minimale“. Ces lois vont vraiment dans le mauvais sens, dans la mesure où notre pays est en train de prendre un tournant très, très inquiétant. La laïcité est fortement remise en question, les libertés sont fortement remises en question aussi et il nous faut trouver vraiment des modes d’action, parce que bien sûr, les rassemblements, c’est important, on nous sépare trop, justement. Mais moi, je me questionne beaucoup sur les modes d’action parce que bien sûr, il y a quelques députés qui se rebellent et qu’on voit prendre la parole à l’Assemblée nationale pour aller contre ces lois, mais voilà je m’interroge ; je ne veux pas tomber dans le fatalisme en disant qu’il n’y a plus rien à faire, mais je vis sans cesse le découragement des citoyens et des citoyennes. C’est vraiment grave ce qu’ils sont en train de faire. Moi, j’ai eu la chance de naitre et grandir dans les années 1960, j’ai eu la chance de vivre les “Trente glorieuses“, je n’ai pas connu le chômage, mais j’ai des enfants qui connaissent le chômage, et puis j’ai des petits-enfants… Je ne veux pas de cette société-là pour eux. Je vais redire quelque chose qu’on sait tous et toutes, les richesses sont là et le monde est extrêmement riche ; le problème, c’est la répartition des richesses, c’est le partage de ces richesses et même dans notre pays évidemment, quand on voit que les plus grosses fortunes continuent de s’enrichir, c’est écœurant, donc comment faire pour qu’ils partagent le gâteau ?

La Raison : Grande question ! J’ai remarqué lorsque tu as dit les remarques sur le côté insidieux de la pratique du pouvoir ; un décret est paru le 2 décembre, qui apporte des modifications extrêmement inquiétantes sur le traitement des données personnelles par la police. C’est à côté de la sécurité globale, finalement, le décret d’application précède la loi.

Pascale Martin : J’ai vu cela sur les réseaux sociaux et c’est terrible.

La Raison : On en arrive, je l’évoquais en début d’entretien, au sujet d’une militante algérienne pour laquelle on avait combattu ensemble il y a quelques mois : pour la libération de Louisa Hanoune. On se souvient de la part importante que « Femmes Solidaires » a prise dans ce combat ; nous sommes allés plusieurs fois à Bordeaux, au Consulat. À ce moment de notre entretien, c’est bon de rappeler cet épisode.

Pascale Martin : Dès qu’une femme se trouve opprimée et emprisonnée, on est là. C’est insupportable d’imaginer que, des hommes bien sûr aussi, mais des femmes puissent, du fait de leurs actions militantes et de leur engagement politique, vivre la prison. Il y a une musicienne turque qui est morte d’une grève de la faim cette année ; On a accueilli Pinar Selek en avril 2019 : Pinar, c’est quelqu’un qui vit quelque chose d’insupportable, alors bien sûr elle est libre, elle n’est pas en prison ; mais voilà : ça va de ces femmes en exil pour des raisons politiques jusqu’aux femmes qu’on emprisonne ; en ce moment, il y a une saoudienne qui est en prison parce qu’elle a aussi fait part de ses revendications ; enfin voilà : dès qu’on revendique, qu’on soit homme ou femme bien sûr, mais nous ce qui nous concerne et ce qui nous touche plus, ce sont les femmes ; donc effectivement pour Louisa Hanoune, on peut dire aujourd’hui que nous sommes assez fières d’avoir été ensemble avec vous sur cette route et puis le résultat est là, elle est libre !

La Raison : Alors, avec ce que tu viens de dire, on peut poser la question : pas revendicatif, votre combat ? Il n’y a bien que le préfet de Dordogne qui considère cela ! C’est un engagement très fort. Nous arrivons à la fin de l’entretien ; tu as peut-être quelques mots à ajouter pour les lecteurs de La Raison, donc commentaire libre.

Pascale Martin : La Libre Pensée, je m’y intéresse ; j’ai même été adhérente un moment, un peu par négligence, j’ai arrêté, mais j’aime bien ce que vous défendez. Moi j’ai l’habitude de dire je suis Citoyenne du monde, parce que mon histoire personnelle fait que mes racines ne sont pas forcément très claires, et ça ne me dérange pas plus que cela, j’ai la chance d’être une femme blanche, alors j’ai certains privilèges du fait de ma couleur de peau, j’ai la chance d’être dans la classe sociale moyenne, donc je n’ai pas trop de difficultés, alors que par ailleurs on atteint les 10 millions de chômeurs et que le nombre de pauvres dans notre pays ne cesse d’augmenter. J’ai une vie plutôt confortable, mais comme je côtoie des tas de femmes qui vivent effectivement sous le seuil de pauvreté, comme j’ai dans ma propre famille des gens qui vivent en dessous de ce seuil, je suis forcément solidaire de toutes ces personnes qui m’entourent. Moi, je n’ai pas envie de cette société-là, donc en tant que Citoyenne du monde, j’ai envie que tout le monde vive décemment, dignement et à « Femmes Solidaires » on a une sorte de mot d’ordre en ce moment, c’est : “On reste debout“. On ne va pas nous faire plier l’échine, on ne va pas nous mettre à terre, on est debout et on est fières d’être debout.

La Raison : C’était donc le mot de la fin ; merci, Pascale.

Pascale Martin : Merci à toi

(Propos recueillis par Jean-Louis Bagault)

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