Editorial
La carotte et le bâton. Euh… quelle carotte ?
Encore une fois la question des libertés démocratiques occupe une partie importante de ce numéro. Ce n’est pas que nous ne souhaiterions pas parler d’autre chose mais, les libertés publiques évoluent comme la peau de chagrin de la nouvelle fantastique d’Honoré de Balzac. Plus réduites en chaque occasion. Fin mars, la loi Sécurité globale a été votée par le Sénat en procédure accélérée. Un des rapporteurs de la loi a jugé bon de changer son titre, trop transparent, en celui de « projet de loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés ». Dans le roman 1984, Georges Orwell mettait en scène un gouvernement totalitaire fictif, inventeur de la novlangue qui dans sa propagande martelait aux citoyens : « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ». C’était la pratique de l’oxymore instituée en style de gouvernement. Y sommes-nous ? En dépit des nombreuses manifestations contre son adoption auxquelles la Libre Pensée a largement participé, les sénateurs ont adopté la loi par 238 voix pour et 98 contre. Sont donc autorisés les drones pour surveiller les manifestations et même les passages aux frontières, la reconnaissance faciale qu’on s’interdit d’interdire (donc, qu’on autorise), la surveillance massive et intensive, la privatisation de la sécurité et des forces de l’ordre qui pourront désormais se rendre armés hors service aux concerts, théâtres, cinémas. L’article 24, réécrit par les sénateurs, renonce à modifier la loi de 1881 sur la liberté de la presse mais crée un nouveau délit, celui de « provocation à l’identification d’un policier », déjà dénoncé par les juristes comme redoutablement flou et propice aux interprétations les plus diverses, et il durcit encore la peine encourue : cinq ans d’emprisonnement et 75000 euros d’amende. Le bâton, vous dis-je. Gérald Darmanin, égal à lui-même, a déclaré à ce propos : « Il n’y a aucune antinomie entre l’amour de la liberté, et en singulier la liberté de la presse, et l’amour des forces de l’ordre ». Oxymore, encore. Lorsque le maintien de l’ordre est confondu avec la répression, vous êtes priés, en plus, d’aimer ses coups. Les jeunes, les grévistes et les gilets jaunes apprécieront.
Toutes les lois et décrets proposés par le gouvernement depuis plus d’un an sont d’une extrême cohérence dans le renforcement des dispositions répressives. Les trois honteux décrets du 2 décembre 2020 ne seront pas discutés au parlement puisque ce sont des décrets, issus de la capacité – discrétionnaire justement – du gouvernement ! Rappelons qu’ils permettent désormais de ficher jusqu’aux opinions des citoyens, en plus de leur appartenance politique, syndicale ou religieuse. La loi « visant à renforcer le respect des principes de la république », ancienne loi « contre le séparatisme » ne contient aucune disposition positive nouvelle, uniquement des dispositions policières. Dans son préambule, il est précisé que la motivation première est le problème posé par la religion musulmane. Elle fait l’unanimité contre elle des associations et même des cultes. Elle modifie gravement à la fois la loi de 1901 sur les associations et la loi de 1905 de séparation des églises et de l’État. Sans surprise elle a suscité une opposition des associations musulmanes les plus modérées, mais également des catholiques, protestants et juifs qui craignent un contrôle sur leurs activités associatives et caritatives. On pourrait s’en réjouir en s’attendant à ce que les collectivités territoriales soient moins généreuses vis-à-vis des associations cultuelles déguisées en culturelles dont les Eglises ont le secret, mais ce serait un calcul très dangereux car la loi française de 1901 (loi Waldeck-Rousseau sur les associations) est une des plus libérales du monde vis-à-vis de la possibilité de s’associer sans autre contrôle que la validité juridique de ses statuts. Cette liberté fondamentale ne doit pas être réduite. La loi « séparatisme », pour faire court, adoptée par l’assemblée nationale le 23 janvier 2021, c’est encore et toujours le bâton.
Et la carotte ? Devant ces attaques très graves on ne peut imaginer de compensation. Rassurez-vous, il n’y en a pas. Les représentations théâtrales, cinématographiques et musicales sont encore interdites, les étudiants confinés dans leur chambre, affamés et en tête à tête morose avec leur ordinateur, et les vaccinations savamment distillées au compte-goutte. Oui, mais… comme dit la chanson de la Commune, « ça branle dans le manche ».
Jean-Sébastien Pierre
Président de la FNLP