Éric Piolle, Maire de Grenoble a accordé une interview à la Libre Pensée à propos de ce que la presse appelle « l’affaire du burkini »

N’en déplaise aux xénophobes de tous polis, le burkini dans les piscines municipales est une question dhygiène et de sécurité et non de laïcité. La laïcité, elle reste au vestiaire dans l’espace  juridiquement privé. La Libre Pensée donne la parole à Eric Piole, maire de Grenoble sur cette question.

Monsieur le Maire vous avez annoncé votre volonté de changer le règlement des piscines ce lundi 16 mai lors du Conseil Municipal, pourquoi ces propositions ?

On a commencé ces discussions en 2018.

On travaillait à l’époque sur un « plan canicule » pour des ilots de fraicheur et un rapport à l’eau. Il faut pouvoir se protéger du soleil. Mais le règlement de la ville de Grenoble de 2012 interdit les maillots couvrants et donc des personnes ne pouvaient pas venir dans les piscines pour se protéger du soleil, sauf à produire un certificat médical !

Deuxièmement l’angle féministe et la lutte contre les discriminations. Un père a lancé cette semaine une nouvelle collection de vêtements pour un de ses enfants trans qui ne trouvait pas de vêtement qui lui convenait. C’est la possibilité pour chacun de s’habiller comme il veut. Nous avons eu des demandes de personnes trans mais également autour de la sexualisation du corps des femmes. Par exemple il existe un délit d’exhibition sexuelle mais concernant le statut de la poitrine des femmes la jurisprudence est encore floue. Nous, nous disons que la poitrine des femmes n’est pas un attribut sexuel et qu’il n’y a pas de raison qu’elle fasse l’objet d’une distinction de la poitrine des hommes. Si je regarde la poitrine des femmes comme un attribut sexuel pourquoi ne regarderai-je pas celle d’un homme, ou le cou ou les oreilles !

Enfin il y a, ce qui sans doute a été à l’origine du règlement de 2012, la volonté d’interdire dans les piscines le burkini, mais nous ne voyons pas de raison de l’interdire. La piscine relève de la même séparation de l’espace que la rue, l’espace public, où chacun, avec ses pratiques vestimentaires peut faire état de son culte. Pour des raisons de laïcité il n’y a pas à interdire des vêtements à la piscine. Les seules choses qui régulent sont l‘hygiène et la sécurité.

Trois combats qui sont mêlés, autour d’une racine qui est le dévoiement de la loi de 1905. C’est ce même dévoiement qui avait donné lieu à des arrêtés anti burkini sur les plages en 2016, arrêtés cassés par les tribunaux. A l’époque le Grand Maître du Grand Orient de France s’était exprimé en disant qu’on ne pouvait pas instrumentaliser la laïcité pour des objectifs politiques. La lutte contre l’Islam politique est un combat que je partage mais qui ne peut pas dévoyer les fondements de notre société que l’on trouve dans la constitution.

On vous reproche d’introduire le communautarisme.

Les critiques viennent de plusieurs espaces. De l’extrême droite, mais aussi des LR qui ont fait le choix de céder sur leurs valeurs, c’est mon point de vue. Il y a eu également le choix du Président Macron de jouer avec les valeurs de l’extrême droite. On se souvient de la ministre de l’Enseignement supérieur Mme Vidal faisant de « l’islamo gauchisme » un concept scientifique et demandant au CNRS de purger l’Université française ! Retoquée elle a dû faire marche arrière.

On se souvient de Darmanin disant qu’il était choqué de voir des rayons hallal et cacher dans les supermarchés. On se rappelle de Blanquer en croisade permanente contre ce qu’il considère islamo gauchisme ou wokisme et qui avait pointé du doigt le fait que s’habiller en croptop pour une jeune fille au collège ou au lycée n’est pas une tenue républicaine…

Il y a tout un imaginaire, avec un objectif politicien pour se retrouver avec Macron face à Le Pen au second tour de la présidentielle.

Et puis il y a le Printemps Républicain, le « valsisme » qui est pour moi un communautarisme. Il y a chez Vals et Sarkosy une approche communautariste de la société française : à partir du moment où vous appartenez à une communauté, elle vous résume. Je m’étais exprimé en 2015 contre les propos de Manuel Vals. Le lien entre la nation et chaque citoyen est unique, les citoyens sont « multi appartenants », ils adhèrent à plusieurs communautés de pensée, culturelle, spirituelle, sportive, professionnelle… Pour moi le Printemps Républicain a fait du mal à la gauche sur ces valeurs.

Tout bouge, crise sanitaire, guerre, il y a eu les gilets jaunes etc… le politique se doit de revenir aux textes fondamentaux. Je trouve extrêmement moderne la loi de 1905, elle fait partie du socle de notre République.

Que répondez-vous à ceux qui vous disent que l’égalité femme/homme est mise à mal par votre proposition ?

L’égalité femme/homme est-elle mise à mal par notre proposition ou bien par les injonctions patriarcales, ciblées uniquement sur les femmes de se vêtir ou se dévêtir ?

Je me suis mobilisé auprès des beach volleyeuses norvégiennes quand elles ont refusé de porter les mini shorts lors du championnat d’Europe 2021. Mobilisé également auprès des hidjabeuses au football. La Fédération française de football est la seule fédération qui a mis ce règlement en place et c’est la seule dans le monde, l’UEFA, la FIFA et le CIO n’interdisent pas le hidjab.

Il y a là une injonction qui s’adresse aux femmes, qui leur donne un statut particulier, notamment à leur poitrine. Pour moi la lutte féministe c’est d’enlever partout les injonctions vestimentaires faites aux femmes.

Ces débats existent aussi dans les milieux progressistes. Pendant la Révolution française, quand les femmes se sont saisies des questions féministes, certaines ont été décapitées !

On pense à l’ordonnance de 1800 qui interdisait aux femmes de s’habiller en homme. Jusqu’au 20ème siècle il y a eu pour les femmes obligation de demander une autorisation préfectorale, avec explication, pour qu’elles puissent le faire, ce qu’ont fait quelques grandes militantes. Ce qui a permis l’émancipation c’est notamment la pratique du vélo, c’est écolo non !

Avec l’arrivée du vélo à la fin du 19ème des femmes demandent des autorisations préfectorales pour pratiquer le cyclisme, cela devient un motif de dérogation… et beaucoup de femmes tenaient leur vélo à la main ! Elles utilisaient le vélo comme un accessoire pour pouvoir s’habiller en homme.

Il y a des combats d’émancipation qui passent par des voies détournées. Je m’attriste de voir que ceux qui pensent que des femmes veulent porter le voile, le burkini, qui n’est jamais qu’un voile à la piscine, le font comme résultat d’une oppression. Travaillons plutôt pour qu’il n’y ait pas d’oppression et que, par l’éducation populaire entre autre, le respect de la loi de 1905 soit réel.

On ne fait pas respecter la loi de 1905, mais on fait d’autres lois, comme la loi Séparatisme. C’est un problème fondamental. L’émancipation des femmes et la lutte pour l’égalité femme/homme est un combat permanent mais il ne passe pas par des injonctions.

Déjà en 1905 ce débat avait lieu. Aristide Briand répond à ceux qui voulaient interdire la soutane pour les prêtres :

« Le silence du projet de loi au sujet du costume ecclésiastique n’a pas été le résultat d’une omission mais bien [celui] d’une délibération mûrement réfléchie. Il a paru à la commission que ce serait encourir, pour un résultat plus que problématique, le reproche d’intolérance et même s’exposer à un danger plus grave encore, le ridicule que de vouloir, par une loi qui se donne pour but d’instaurer dans ce pays un régime de liberté au point de vue confessionnel, imposer aux ministres des cultes de modifier la coupe de leurs vêtements.

[…] Ce que notre collègue voudrait atteindre dans la soutane, c’est le moyen qu’elle procure de se distinguer facilement des autres citoyens.

Mais la soutane une fois supprimée […] si l’église y trouvait son intérêt, l’ingéniosité combinée des prêtres et des tailleurs aurait tôt fait de créer un vêtement nouveau […] pour permettre au passant de distinguer au premier coup d’œil un prêtre de tout autre citoyen.

[La commission] a pensé qu’en régime de séparation la question du costume ecclésiastique ne pouvait plus se poser. […] La soutane devient dès le lendemain de la séparation un costume comme un autre […] C’est la seule position qui nous ait paru conforme au principe même de la séparation. »

Remplacez soutane par burkini et la réponse vaut pour aujourd’hui !

En ce qui concerne ceux qui ne sont pas d’accord avec notre proposition j’ai l’impression que les explications rationnelles ou politiques n’ont aucune prise. On me répond « je ne peux pas » !

L’arrêt du défenseur des droits Jacques Toubon est clair, les arrêts du conseil d’État sont clairs. Qu’y a-t-il derrière le « je ne peux pas » ? Un problème avec l’Islam ? La blague de Coluche « il y a plus de racistes que d’étrangers » ? « Il vaut mieux se fâcher avec les moins nombreux » ?

Il y a une telle ignorance de ce qu’est la laïcité que les élus ne sont pas en capacité d’assumer, la pression est forte du « tu es un soutien des islamistes » !

Laurent Wauquiez, Président de la Région AURA vous menace de mettre fin à tout partenariat avec la ville de Grenoble si le nouveau règlement des piscines est voté lundi. Comment réagissez-vous ?

Laurent Vauquiez a fait un choix tactique, depuis plusieurs années, d’aller chasser sur les terres de l’extrême droite. Il fut un temps où il avait construit le Mouvement de la droite sociale, il a fait un choix pour trouver un espace politique. Est-ce une transformation de sa vision des choses ? Est-ce seulement une polémique ? Cela lui appartient.

Et puis il y a une question de légalité, le fonctionnement de nos institutions fait qu’il n’y a aucune collectivité qui soit sous la tutelle d’une autre. Faire des représailles qui touchent les grenobloises et les grenoblois pour un sujet qui est politique, c’est questionnable du point de vue du droit.

C’est une sorte de chantage à l’argent ?

Tout à fait. Le gouvernement avec le Contrat d’Engagement Républicain c’est la même chose, il instrumentalise les collectivités pour faire le travail de police à sa place. Couper des subventions à des associations qui auraient des actions de désobéissance civile est incroyable.

La Libre Pensée s’adressera aux candidats aux élections législatives pour qu’ils se prononcent dans le sens de l’abrogation de la loi Séparatisme. Qu’en pensez-vous ?

Cette loi était la marque de la volonté d’un débat malsain. L’utilisation du terme « séparatisme » dans le discours des Mureaux m’avait choqué. Le séparatisme c’est quand un territoire veut se séparer d’un autre. Le « séparatisme de l’intérieur » cela n’existe pas.

Le but de la République n’est pas de faire disparaître les religions. Notre spiritualité, comme nos convictions politiques, philosophiques ou syndicales ne relèvent pas que de notre espace privé, dans nos logements.

Pour en revenir aux lois vestimentaires elles ont toutes tombé en désuétude. Elles ont été faites pour la guerre : il faut arrêter le luxe parce qu’on est en guerre. Elles ont été faites pour des raisons économiques : François 1er avait interdit les tenues en soie parce que la France ne produisait pas de soie et qu’il fallait limiter le déficit commercial. Elles ont été faites pour respecter l’ordre social : les bourgeois pouvaient imiter les nobles mais pas trop. Enfin elles ont été faites pour l’oppression des femmes par les hommes. Aucune de ces lois n’a survécu parce que en pratique c’est impossible.

Pour moi dans cette loi Séparatisme il y a des atteintes à la loi de 1901. Si l’objectif était de lutter contre l’Islam politique ça tape à côté.

Merci de vos réponses Monsieur le Maire.

Propos recueillis par Pascal Costarella

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