L’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité
Chères auditrices, chers auditeurs, bonjour.
Au micro Christophe Bitaud, vice-Président de la Fédération Nationale de la Libre Pensée. J’ai le plaisir de recevoir aujourd’hui Jonathan DENIS pour parler du droit de mourir dans la dignité.
1) Pouvez-vous vous présenter et présenter l’ADMD (historique, actions, objectifs…) ?
Bonjour à toutes et à tous. Je suis Jonathan DENIS, Président de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité depuis un an. C’est une association qui a été créée il y a plus de 40 ans pour militer en faveur d’une nouvelle loi sur la fin de vie. Rendez-vous compte que depuis 40 ans les lois n’ont jamais convenus si nous en sommes encore à en parler ensemble. Aujourd’hui l’ADMD c’est plus de 75000 adhérents, c’est près de 100 délégués bénévoles dans les départements français.
C’est une association militante puisque nous souhaitons qu’il y ait une loi qui respecte la dignité de chacun c’est-à-dire une loi qui ouvre le champ des possibles en légalisant l’aide active à mourir (l’euthanasie et le suicide assisté) et en permettant l’accès universel aux soins palliatifs.
L’ADMD, j’y tiens particulièrement, c’est également une association d’entraide et de solidarité. D’entraide et de solidarité parce que nous avons une ligne d’écoute sur laquelle les adhérents et non adhérents peuvent nous appeler pour nous poser des questions sur leur fin de vie, celle d’un proche, sur des directives anticipées et peuvent également nous faire part de difficultés qu’ils rencontrent, pour eux ou pour leurs proches, dans des hôpitaux, dans des hospitalisations à domicile, dans des accès aux soins palliatifs, dans des protocoles qui ne sont pas mis en place.
Voilà ce qu’est l’ADMD.
Nous avons également des représentants des usagers, des médecins conseils.
Militer pour une nouvelle loi est une chose, faire connaitre la loi actuelle en est une autre. Nous prenons notre part du travail là-dessus. Je pense notamment aux jeunes ADMD qui font une tournée chaque année. Vous avez des personnes de moins de 35 ans qui vont faire une tournée dans toute la France au mois de juillet pour expliquer ce qu’est la loi actuelle, ce que sont les directives anticipées, ce que sont les personnes de confiances.
Voilà le travail que nous faisons. Un travail d’information et un travail militant pour que l’on arrive enfin à une loi qui respecte toutes les consciences, qui n’oblige personne évidemment à demander une aide active à mourir, qui n’oblige non plus personne à pratiquer une aide active à mourir. Mais une loi qui n’interdit pas comme aujourd’hui de pouvoir accéder à des dernières volontés légitimes et demandées par la majorité des français.
2) Aujourd’hui, que dit la loi ? Le code de la santé publique ? Le code de déontologie médicale ?
La loi actuelle date de 2016. On l’appelle la loi Claeys-Leonetti. Il y a déjà eu plusieurs lois sur la fin de vie : les lois Leonetti.
Nous en sommes à notre troisième loi en France en moins de 20 ans alors qu’il y a 20 ans, un pays juste à côté de nous, la Belgique, faisait voter 3 lois distinctes : une sur les droits des patients, une sur la légalisation de l’aide active à mourir et une sur l’accès universel aux soins palliatifs. Et bien nous en 20 ans, avec 3 lois, nous n’avons toujours pas réussi à répondre à une aspiration partagée par les français d’être libres dans ce qu’ils souhaitent pour leur fin de vie.
Pour faire très simple dans la loi Claeys-Leonetti il y a plusieurs principes qui ont été repris des précédentes lois. Je pense notamment à la possibilité d’arrêter des traitements, à la possibilité de rédiger des directives anticipées et j’encourage les auditeurs et auditrices à le faire car aujourd’hui c’est le seul document qui peut les protéger. Vous dites ce que vous souhaitez, ou ne souhaitez pas, si vous n’êtes plus capables de vous exprimer. Je les encourage à désigner des personnes de confiances qui feront valoir leurs directives anticipées.
Donc la loi permet cela.
Elle permet autre chose : la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Qu’est-ce que cette sédation ? Si vous êtes à l’agonie, dans les derniers instants de votre vie – derniers instants qui ne sont pas réellement définis la loi (quelques heures, quelques jours selon les médecins) – vous pouvez demander à bénéficier d’une sédation. On va donc altérer votre conscience, on va arrêter l’hydratation, l’alimentation et on va attendre. On va attendre que vous partiez. La médecine se retire. On va attendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines. On va attendre plutôt que de se dire que vous pourriez partir en quelques instants, avec un sourire entourez de vos proches. Non. Aujourd’hui la loi Claeys-Leonetti fait que vous allez mourir de faim et de soif, même si les opposants n’aiment pas cette expression, vous allez mourir d’une insuffisance rénale qui est causée par ce manque d’alimentation, d’hydratation. Vous allez avoir des effets secondaires terribles pour les proches. Personne ne peut nous dire si vous souffrez ou pas lors d’une sédation. Et bien c’est cela que l’on autorise dans notre pays : à attendre plutôt qu’à vous accompagner. Les belges parlent d’un dernier acte de soin et bien j’aimerai qu’en France on est ce dernier acte de soin qui respecte la dignité de chacun. C’est pour cela que nous militons pour qu’il y ait une nouvelle loi.
Après il y a la question médicale. On entend des opposants, des médecins nous parler du serment d’Hippocrate et dire qu’ils ne peuvent pas accéder à notre demande.
Si vraiment ils veulent se référer au serment d’Hippocrate il y a beaucoup de choses qu’ils ne devraient pas pouvoir faire aujourd’hui.
Je crois que les médecins ont compris depuis longtemps ce qu’est l’accompagnement jusqu’au dernier soin.
Je me suis engagé dans ce combat parce que mon papa avait un cancer généralisé et fait le choix de décider lui-même quand les choses s’arrêteraient. Les choses ne se passent pas toujours comme on le veut. Il a pris des médicaments, il est tombé dans un coma profond. Il a fallu que je connaisse le « bon » médecin qui me dise « on va aider votre père ».
Je me suis engagé là-dedans car je n’ai pas envie que d’autres enfants aient à connaître le « bon » médecin. Des patients qui ont bénéficiés d’une euthanasie il y en a eu beaucoup en France. On le sait.
Les lois qui ont été faites n’ont absolument rien cadré. Elles ont justement effrayé des médecins compatissants, humains, qui accompagnaient déjà.
Aujourd’hui faisons une loi qui respecte ce travail, qui respecte également la conscience des médecins qui ne le souhaitent pas. Mais il faut vraiment avancer pour qu’il n’y ait plus des cas dramatiques en France comme on en vit, et qu’il n’y ait pas d’euthanasies clandestines sur des personnes qui n’ont rien demandé.
La loi, aujourd’hui, elle doit remettre le patient au cœur. C’est lui le décisionnaire.
3) Que sont les directives anticipées et quel est leur intérêt ?
C’est très simple. C’est ce qui vous protège.
Ces directives anticipées, que peu de français ont encore rédigées, c’est ce qui va vous permettre de dire ce que vous souhaitez ou que vous ne souhaitez pas en fin de vie si vous n’êtes plus en faculté de vos exprimer.
En l’absence de directives anticipées ce n’est pas vous qui allez décider. Ce sont les médecins.
En l’absence de directives anticipées ce n’est pas vous qui allez faire valoir vos droits. Ce n’est personne.
Ces directives anticipées il faut les associer également à une personne de confiance. Cette personne de confiance elle sera là pour vous représenter. Elle n’est pas là pour décider pour vous. Elle est là pour faire valoir ce que vous avez décidé.
Dans la loi à venir il va falloir réfléchir à deux choses sur les directives anticipées :
– Arrêter ce qui est écrit dans la loi de 2016 à savoir qu’elles peuvent être refusées par un médecin s’il les juges rédigées de façon inappropriées ou non conforme avec votre cas médical. Non. Ces directives anticipées, vous les avez écrites, elles doivent s’imposer.
– Il y aura un fichier national à créer pour gérer les directives anticipées.
Aujourd’hui l’ADMD gère gracieusement ce fichier des directives anticipées. Mettons-les par exemple sur la Carte Vitale. Ce n’est pas si compliqué et cela encouragera les français à les rédiger.
Aujourd’hui on dit qu’à peu près 18% des moins de 50 ans les ont rédigées. En rédigeant massivement des directives anticipées les français pourront massivement se protéger, pourront massivement faire valoir leurs paroles, leurs choix.
4) On parle souvent de la Belgique, partir à l’étranger pour avoir le droit de mourir dans la dignité est-ce la solution ? Quel est l’état des lieux dans les autres pays ?
J’aimerai qu’on ne parte pas à l’étranger. J’aimerai que nos compatriotes n’aient pas à s’exiler en Belgique ou en Suisse pour pouvoir mourir dans la définition de leur dignité, leur liberté. Pourtant ils sont obligés de le faire parce qu’en France il y a des souffrances inapaisables que l’on ne veut pas traiter. En France il y a des jugements qui se font parce que l’on ne souhaite pas accompagner jusqu’au bout des personnes qui le demandent.
Vous n’avez pas que la Belgique ou la Suisse. Vous avez l’Italie, l’Allemagne, le Portugal, l’Espagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, certains états des États-Unis, l’Australie, la Colombie. Tous ces pays n’ont pas la loi Claeys-Leonetti. Personne n’a nôtre loi en France. Nous sommes les seuls. Mais nous sommes les seuls parce que personne n’en veut de notre loi. Quand tous les autres pays, récemment, ont eu à parler de l’accompagnement en fin de vie ils ne se sont pas inspirés de la France. Ils se sont inspirés de la Belgique, de ce qui fonctionne depuis 20 et que personne ne pense à remettre en cause.
Je n’ai jamais vu un belge venir en France pour profiter de notre loi. Par contre des français qui partent à l’étranger oui j’en vois. Parce qu’on leur refuse d’accéder à leur demande.
J’espère que prochainement les français n’auront plus à partir à l’étranger. Mais nous sommes un pays un peu spécial vous savez.
L’inégalité financière de la Suisse est scandaleuse : il faut pouvoir payer 10000 euros pour aller en Suisse.
Mais il y a une inégalité territoriale que l’on tolère en France. Vous avez des zones d’organisation d’accès aux soins transfrontaliers très proches de la Belgique. Des français peuvent se faire soigner en Belgique et se faire rembourser par la Sécurité Sociale française. Vous avez des français qui vont bénéficier d’une euthanasie en Belgique et les soins préparatoires à l’euthanasie sont remboursés par la Sécurité sociale française alors que l’on interdit l’euthanasie sur notre territoire. On est dans un pays qui marche sur la tête lorsque l’on aborde le sujet de la fin de vie.
5) Vous militez pour l’adoption d’une loi permettant à chaque individu de choisir sa fin de vie. Quels sont les critères d’une bonne loi ?
Une bonne loi c’est une loi qui protège, qui encadre.
Demain ce n’est pas « l’euthanasie pour tous » que l’on soit bien d’accord.
Dans ce que nous demandons il faut qu’il y ait une affection pathologique, accidentelle, grave, avérée, incurable, qui inflige des souffrances inapaisées, ou que la personne juge insupportables ou qu’elle estime ne plus être respectée dans la définition de sa dignité.
Ces personnes-là pourront bénéficier, si elle le souhaite, d’une aide active à mourir.
Mais quand je parle de liberté je pense aussi à la liberté des soignants, des médecins. C’est-à-dire qu’une loi qui respecte toutes les consciences c’est une loi qui respecte ceux qui souhaitent bénéficier d’une aide active à mourir, mais qui respecte aussi ceux qui, pour des convictions qui leurs sont propres, souhaitent que ça dure le plus longtemps possible.
Mais c’est une loi qui respecte aussi les médecins qui se disent « dans ma conscience je ne peux pas accompagner par une aide active à mourir ». Les malades devront aller voir un autre praticien mais il faut être attentif aussi à cette liberté de conscience et à cette clause de conscience pour les médecins.
Une bonne loi demain ce serait une loi qui ne jugerait pas et qui serait prête à accompagner tout le monde, à ouvrir vraiment ce champ des possibles et à consacrer énormément d’argent sur les soins palliatifs.
Je n’oppose pas les soins palliatifs et l’aide active à mourir. Je les pense totalement complémentaires. On le voit en Belgique où 50 % des euthanasies se passent dans le cadre de soins palliatifs. Il faut mettre des moyens sur ces soins, c’est peut-être là que la majorité d’entre nous ira.
Mais vous avez aujourd’hui des territoires en France où il n’y a pas de soins palliatifs, vous avez même des départements où il n’y a pas de lits.
Rendez-vous compte qu’au Sénat, quand nous parlions d’une prochaine loi sur l’aide active à mourir, le ministre de la santé de l’époque, Olivier Veran, répondait « non, nous allons mettre un nouveau plan sur les soins palliatifs ». Et bien ce nouveau plan y consacrait 2.50 euros par français.
En face l’Autriche légalisait le suicide assisté, faisait un plan sur les soins palliatifs de 12 euros par habitant.
C’est complémentaire à condition d’y mettre de l’argent. Là-dessus je veillerai à ce qu’il y ait bien un accès aux soins palliatifs qui soit proposé.
6) Quelle est votre action pour aboutir à cette loi ? Á ce nouveau droit ? Êtes-vous optimiste ?
Je suis de nature optimiste. Toujours. Pour autant je sais aussi d’où l’on vient. Je me rappelle notamment d’un président de la République en 2012, François Hollande, c’était son engagement 21 : légaliser l’aide active à mourir. Cela a donné la loi Claeys-Leonetti. Cette loi qui je le rappelle n’est utilisée nulle part ailleurs.
Donc je suis optimiste car j’entends ce qui se prépare : une convention citoyenne sur la fin de vie. Que de temps perdu car des commissions, des rapports il y en a déjà eu. Mais chiche faisons cette convention !
Maintenant, tant que les choses ne seront pas mises en place je resterai toujours un petit peu inquiet. Je crois ce que je vois.
À l’ADMD, nous allons continuer à rencontrer les parlementaires. Mais il faut que les français se mobilisent. Que les français racontent ce qu’est la fin de vie en France, ce qu’ils souhaitent, et ce n’est qu’à ce prix-là que nous y arriveront.
Notre émission se termine. Il me reste à remercier notre invité, Jonathan DENIS. Croyez-bien Jonathan que la Libre Pensée sera à vos côtés dans le combat pour cette loi.
Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour une nouvelle émission en compagnie de Jacques Toubon ancien défenseur des droits.