Divers aspects de la pensée contemporaine
France Culture – Dimanche 13 novembre 2022
Chères auditrices, chers auditeurs, Bonjour. Au micro Christophe Bitaud, vice-Président de la Fédération Nationale de la Libre Pensée. J’ai le plaisir de recevoir aujourd’hui Alix Rémy – Vice-Présidente de COEXISTER et Anne Plouy – Directrice de COEXISTER.
Dans un communiqué commun du 12 octobre dernier, l’association COEXISTER et l’Institut de Recherches et d’Études de la Libre Pensée déclaraient « Nous rappelons nos engagements communs en faveur de la liberté de conscience et de la laïcité telle que formulée par la loi de 1905. Nous rappelons nos vives inquiétudes concernant les limitations apportées à la liberté d’association par les Contrats d’Engagement Républicain. Nous rappelons la nécessité d’une éducation populaire de qualité et de la diffusion des connaissances sans limitation ni exclusion. C’est une dimension culturelle forte commune à nos deux associations. »
C’est donc dans cet esprit que la Fédération nationale de la Libre Pensée invite COEXISTER à poursuivre ce dialogue, dans le cadre de notre émission « Divers aspects de la pensée contemporaine ».
Ma première question est la suivante : Pouvez-vous présenter l’association COEXISTER ? Quelle est son histoire ?
Alix Rémy : Bonjour Christophe. Merci de nous inviter aujourd’hui. Nous sommes très heureux du partenariat entre nos deux associations et très heureux également de contribuer à une association plus intelligente.
Coexister est une association de jeunesse et d’éducation populaire qui crée du lien entre des jeunes de convictions différentes qu’elles soient religieuses, philosophiques ou spirituelles. Elle réunit des jeunes de 15 à 35 ans pour vivre une expérience positive de la diversité. Apprendre à se parler est un besoin. Dans notre société 73 % des gens pensent qu’on n’est jamais trop prudent quand on a à faire aux autres.
L’association a été créée il y a 13 ans dans un contexte où il fallait lutter contre l’importation de conflits en France. En janvier 2009 il y a eu l’importation du conflit israélo-palestinien et notamment à Paris où il y a eu des manifestations assez violentes. Face à cela des membres de toutes les communautés religieuses et spirituelles du 15ème arrondissement de Paris ont lutté contre l’importation de ce conflit et en faveur de la paix. Parmi les 600 personnes présentes il y avait Samuel Grybowsk qui n’avait que 16 ans. Du fait de sa jeunesse il a été invité à prendre la parole sur scène et il a lancé un appel à tous les jeunes présents dans l’assemblée, d’organiser un don du sang symbolique, non pas pour faire couler le sang pour la guerre mais pour la paix. Cet appel a été entendu : 10 jeunes y ont répondu.
De là est né COEXISTER le 21 janvier 2009.
Depuis, l’association a évolué et grandi. Il y a eu la création de plusieurs groupes locaux un peu partout en France.
Aujourd’hui on peut dire que Coexister est l’unique mouvement de jeunesse en France sur les sujets de laïcité et du vivre ensemble.
C.B. : J’ai consulté votre site internet. On y parle beaucoup des religions. Je n’ai trouvé le mot agnostique qu’une seule fois et pas une seule fois le mot athée. Ma question est un peu provocatrice : seriez-vous un mouvement œcuménique ?
Anne Plouy : Très bonne question ! C’est une question que l’on nous pose souvent car notre logo contient des signes religieux.
Nous ne sommes pas du tout un mouvement œcuménique et on ne se définit même pas comme un mouvement interreligieux. Nous disons que nous sommes un mouvement « interconvictionnel » de jeunes. Interconvictionnel est un terme né il y a une vingtaine d’année et l’objectif de ce terme était d’inclure en plus des personnes avec des convictions religieuses, des personnes qui ont des convictions spirituelles donc au-delà des religions instituées.
L’interconvictionnel c’est l’outil qui utilise les dialogues et les pratiques de construction de la paix sur le levier des différences de convictions religieuses et spirituelles.
L’idée est de bâtir du commun avec les différences. Les différences sont très importantes. Lorsque cela concerne les convictions religieuses et spirituelles cela relève de l’intime, de qui on est, du sens de la vie, de la liberté de conscience. Sur cette base de différences et de divergences fortes l’idée est de bâtir du commun.
C.B. De façon très pratique, quelles sont vos actions et vos perspectives ?
Alix Rémy : Nous avons des groupes locaux qui sont la première entrée pour faire vivre COEXISTER. Nous sommes une association d’éducation populaire donc nous avons tout un processus d’apprentissage par les pairs et cela prend du temps. C’est pour cela que nous avons proposé un parcours sur une année au cours de laquelle nous proposons 3 types d’actions.
– La rencontre : faire en sorte que les personnes se parlent, apprennent à se connaitre. Découvrir les diversités. Cela peut se faire par exemple par la visite d’un lieu de culte pour éviter de nourrir des fantasmes et plutôt apprendre à se connaitre par l’échange. Le but est d’apprendre le respect au-delà de la tolérance.
– L’action collective pour le bien commun. Cela se concrétise généralement par des partenariats avec d’autres associations comme par exemple une maraude, une collecte alimentaire. Par cela, on montre et on témoigne que c’est possible d’agir ensemble avec nos différences et que c’est constructif.
– Témoigner : vivre ensemble c’est possible. On va aller dans des collèges, des mouvements de jeunesse et témoigner sur ce que c’est que d’être jeune et engagé, sur la laïcité, sur le vivre ensemble, sur la déconstruction de préjugés.
Anne Plouy : Maintenant que nous avons près de 15 ans d’existence, fort de ces expériences et expérimentations, nous avons également construit tout un plaidoyer et du contenu pédagogique sur nos sujets, notamment une vidéo « La laïcité en 3 minutes » qui sert aujourd’hui même à former des agents publics sur le sujet.
Comme nous sommes constamment en train de nous renouveler, nous faisons également beaucoup de voyages. Vivre l’interconvictionnel par le voyage, la formation ou le contre-discours de haine en ligne.
C.B. : Anne tu viens justement d’évoquer le terme de plaidoyer. Je l’ai lu ce plaidoyer. Il est construit autour de 3 axes. Le premier : la liberté de conviction et l’inclusion de toutes les diversités. Pouvez-vous développer ce point et, dans ce cadre, quelle est votre conception de la laïcité ?
Anne Plouy : Nous avons développé ce point car nous nous sommes rendu compte que c’était impossible de bâtir du commun s’il n’y avait pas de justice. Quand on parle justice c’est au minimum l’égalité de toutes et tous devant la loi. Ce qui est intéressant avec les convictions religieuses et spirituelles c’est qu’elles ont autant été la cause que la cible des inégalités.
L’antisémitisme par exemple est une conviction ciblée, alors que la haine des personnes homosexuelles peut être due à une conviction religieuse.
Notre refus c’est que la conviction religieuse ou spirituelle soit utilisée comme outils ou comme cause pour exclure une personne.
La laïcité dans tout ça : c’est une loi. Ce sont des principes adoptés par la loi de 1905 de Séparation des Églises et de l’État. L’État est neutre en ce qui concerne la conviction religieuse ou spirituelle, par contre c’est un cadre de liberté et d’égalité pour les citoyens. Aujourd’hui nous sommes inquiets sur la vision de plus en plus punitive de la laïcité. La laïcité qui interdit, la laïcité qui demande à des adolescents de ne pas parler de certains sujets. Nous pensons que cela pousse vers des divisions et des retranchements alors que la laïcité justement permet de gérer des sujets religieux et spirituels de manière non naïve et de manière collective.
C.B. : Merci Anne. C’est très clair. Le deuxième axe c’est l’éducation à la paix. J’ai envie de dire « qui ne serait pas pour la paix ? ». Mais concrètement en quoi consiste cette éducation que vous évoquez ?
Anne Plouy : Effectivement, qui ne serait pas pour la paix ? C’est un axe que nous avons développé il y a 2 ou 3 ans. On s’est rendu compte qu’en fait ce n’est pas si simple la paix parce que beaucoup d’entre nous pensent que la paix c’est l’absence de conflit.
En fait la paix ça se maintient. Il y a tout un développement de théories autour de la construction de la paix. La paix c’est actif. Pour avoir la paix il faut agir. Un exemple très pratique d’un axe de plaidoyer que l’on porte sur le sujet : l’éducation laïque au fait religieux.
En 2002 il y a eu le rapport Debré qui a fait une audition, un audit ? de l’Éducation nationale sur la question du fait religieux et le rapport Debré avait soulevé le fait que l’État devait passer d’une laïcité d’incompétence, c’est-à-dire « je ne me mêle pas des sujets religieux » à une laïcité d’intelligence c’est-à-dire « je m’en mêle mais uniquement pour apporter la connaissance à chacun et chacune car il est important de connaître ».
On sait que sur ces sujets, plus on évite les fantasmes, plus on évite la bêtise et la transformation d’une conviction en dogme etc…
Aujourd’hui on pousse pour que cette éducation laïque soit de plus en plus prenante car actuellement c’est disséminé un peu partout dans les programmes. Ce n’est pas très clair.
Si on observe que de plus en plus de jeunes maîtrisent la laïcité, le fait convictionnel beaucoup moins.
Des députés ont d’ailleurs fait le lien directement entre l’augmentation des actes antireligieux et le fait que l’éducation laïque au fait religieux n’est pas encore parfaite aujourd’hui.
C.B. : le troisième axe c’est l’engagement des jeunes. Comment y parvenez-vous et pour faire quoi ? Alix peut-être ?
Alix Rémy : Nous sommes partis d’un constat que les jeunes sont engagés un peu partout dans la société mais il n’existe pas ou peu d’espaces spécialement conçus pour nous où on prend cet espace, on prend le leadership et on porte vraiment une parole.
À partir de cela, on crée cette opportunité. On peut le voir par notre structuration : pour avoir une responsabilité il faut avoir entre 15 et 35 ans mais on se rend bien compte que cela ne suffit pas. Il y a aussi un vrai besoin de se donner les moyens d’où l’éducation populaire où de pair à pair on va pouvoir s’accompagner, se former et mettre à disposition des outils pour occuper cet espace et porter notre voix.
S’engager dans un mouvement de jeunesse sur les sujets de convictions, de laïcité, de vivre ensemble cela correspond à un besoin de notre société. Malgré ce que l’on pourrait penser que nous, jeunes, sommes plus croyants que nos parents et que donc la religiosité ne décline pas contrairement à ce que l’on entend. Libération disait en 2021 que 48% des 18 – 30 ans croient en Dieu. Cela veut vraiment dire que la spiritualité, au-delà même de la religion, est un sujet qui concerne tout le monde.
D’autre part, nous sommes en questionnement sur notre identité : Comment on la construit ? Comment on se construit ?
À COEXISTER on a envie de dire qu’il ne faut pas avoir peur de répondre à la fois à ce besoin de questionnement identitaire qui est nécessaire et en même temps de pouvoir construire ensemble, grâce à cette découverte, d’une action commune, d’un faire ensemble. Ce ne sont pas des antipodes au contraire c’est une vraie force.
C.B. : J’ai lu, comme je l’ai dit tout ce qui est écrit sur votre site et revient souvent le terme de « coexistence active ». Cela peut paraître abstrait comme ça. Comment pourriez-vous définir la « coexistence active » ?
Anne Plouy : Le coexistence active c’est un modèle d’interaction qui peut aussi se transposer en modèle de société basé sur ce que l’on expérimente et vit tous les jours.
Nous sommes partis du postulat que l’on ne voulait pas du choc des civilisations de Huntington, qu’on ne voulait pas du fatalisme type « on va tous s’entretuer ».
On ne veut pas du tout de la coexistence passive où l’on ne parle pas du tout des sujets qui fâchent parce qu’à chaque fois qu’il y a eu ça dans l’histoire ça tournait au conflit.
Et on ne voulait pas de l’injonction « il faut se fondre dans la masse, faire comme la majorité » car ça c’est plutôt une question de pragmatisme. C’est quoi, c’est qui la majorité ? La civilisation bouge, donc, la majorité on ne sait jamais qui c’est.
Donc si on ne veut pas cela il nous faut quelque chose de nouveau. On construit, on expérimente et la coexistence active c’est le modèle d’interaction et de société qui est de trouver le juste milieu entre son identité et celle de quelqu’un d’autre. Ce que l’on appelle l’altérité, ou l’équilibre entre toutes les diversités et l’unité. On dit « diversités de convictions, unité dans l’action ».
C’est quelque chose qui demande beaucoup de travail. S’efforcer sincèrement à ce que chacun et chacune trouve une place.
Nous sommes persuadés que faire ce travail en amont, cela veut dire mettre beaucoup d’énergie dans la paix en amont mais ça veut dire ne pas perdre d’énergie en aval quand il y a un conflit et qu’il y a des sujets beaucoup plus durs comme la mort, la réconciliation etc…
Alix Rémy : si l’on devait conclure là-dessus c’est que notre combat d’arrêter que les gens ne se parlent pas, ce qui fait monter, grandir la haine et on en voit les conséquences aujourd’hui. On a pu les voir en 2015, et en ce 13 novembre nous avons une pensée pour les victimes et leurs familles.
Pour éviter ça il y a besoin de construire cette société ensemble et besoin d’accepter les diversités avec lucidité et avec force. Éviter d’aller vers le conflit et l’ignorance.
Cela n’est pas un rêve mais du pragmatisme.
Il faut vraiment apprendre à être d’accord de ne pas l’être.
C.B. : Je vous remercie. Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour une nouvelle émission avec l’humoriste Christophe Alévêque qui viendra nous présenter son dialogue entre la Libre Pensée et son club des vieux cons modernes. Je vous invite vivement à écouter cette émission qui ne sera pas triste.
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