Le Garde des sceaux appelle les parquets à brider la liberté d’expression.

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Comme un air de Vichy

La répression se déchaine contre toutes les dissidences ou présupposées telles. Tout l’arsenal de répression ne vient pas du néant. Les mesures prises, que la Libre Pensée détaille dans la note de sa Commission juridique ci-dessous, ressemble étrangement dans sa finalité, à défaut des peines encourues, à la loi du Régime de Vichy portant création des Sections spéciales pour réprimer les Communistes et les menées anarchistes (article 1er de la loi du 14 août 1941). Le simple fait d’être soupçonné d’appartenir à des organisations se réclamant du Communisme ou de l’Anarchie était passible de condamnation par des Tribunaux d’exception. Par ailleurs, il y avait 50 000 détenus en prison en 1943  (un des plus hauts moments de la répression), il y en a aujourd’hui 74 000 pour 60 000 places dans les établissements pénitenciers. Macron/Dupont-Moretti, plus fort que Pétain, Laval, Pucheu et Darnand ?

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À la suite des incursions terriblement meurtrières pour la population civile des commandos de la branche armée du Hamas sur le territoire de l’État d’Israël, opération au cours de laquelle des crimes de guerre ont été incontestablement commis, le Garde des sceaux a donné sans tarder des instructions aux parquets pour empêcher, en France, « une recrudescence d’infractions à caractère antisémite » : atteintes à l’intégrité physique des personnes ; dégradations de lieux de culte ; apologie du terrorisme ; provocation directe à la commission d’actes terroristes.

La circulaire du 10 octobre 2023 contenant ces instructions ne soulèverait pas de difficulté, si elle ne poussait pas les parquets à interpréter de manière abusivement extensive la notion d’apologie du terrorisme. À cette fin, le Garde des sceaux s’appuie sur un arrêt d’espèce par lequel la chambre criminelle de la Cour de cassation1 a confirmé celui d’une Cour d’appel condamnant à dix-huit mois de prison, dont dix avec sursis et mise à l’épreuve, un homme qui avait publiquement souligné le « courage » des terroristes – il est bien connu qu’ils ne peuvent être que lâches -, et au motif que « […] les propos incriminés tendent à inciter autrui à porter un jugement favorable sur une infraction qualifiée de terroriste ou sur son auteur, même s’ils sont prononcés dans le cadre d’un débat d’intérêt général et se revendiquent comme participant d’un discours de nature politique […] » Bref, toute opinion dissidente par rapport à la doxa officielle concernant le terrorisme peut constituer une apologie de celui-ci.

Or, le juge judiciaire, pourtant garant des libertés individuelles, a tendance à faire preuve de zèle en la matière. Ainsi, sur le fondement de l’article 421-2-5 du Code pénal relatif à l’apologie du terrorisme et à la provocation d’actes de cette nature, il réprimait aussi le « recel » du premier de ces deux délits – c’est-à-dire, conformément à l’article 321-1 du même Code, « le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit. » Cela revenait à créer, de fait, un troisième délit connexe aux deux précédents.

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a estimé conforme à la Constitution du 4 octobre 1958 la rédaction de l’article 421-2-5 du Code pénal, mais émis une réserve d’interprétation : compte tenu notamment des moyens exorbitants du droit commun dont disposent la Justice et la police en matière de lutte contre le terrorisme, il a considéré que « […] le délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme porte à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. Les mots « ou de faire publiquement l’apologie de ces actes » figurant au premier alinéa de l’article 421-2-5 du Code pénal ne sauraient donc, sans méconnaître cette liberté, être interprétés comme réprimant un tel délit. »2

L’instruction donnée au Parquet de poursuivre sans faiblesse tous ceux dont l’opinion pourrait relever de la notion très largement envisagée d’apologie du terrorisme ne peut que nourrir cette tendance du juge à punir à tout va dans ce domaine, au détriment de la liberté d’expression.

En définitive, dans une période où le débat démocratique doit s’emparer sans entrave de l’examen de tous les aspects de la question palestinienne pour déterminer les conditions de la paix dans cette région du monde, le Garde des sceaux s’appuie sur une décision particulière de la Cour de cassation pour intensifier globalement la répression de toute expression s’écartant du discours univoque officiel d’alignement, en dernier ressort, sur la politique du gouvernement israélien.

Les termes de la brillante plaidoirie prononcée par Maître Éric Dupont-Moretti en sa qualité d’avocat d’Abdelkader Merah peuvent facilement être adaptés à la répression de la liberté d’expression à laquelle invite, implicitement mais nécessairement, la circulaire du 10 octobre 2023 du Garde des sceaux : « si l’on condamne un homme [pour avoir exprimé une opinion dissidente en matière d’appréciation du terrorisme] alors […] ce sont les terroristes qui auront gagné. »

La Justice ne saurait, en effet, jouer avec les libertés fondamentales ni mêler trop intensément l’idéologie au droit. Virginie Sansico l’a remarquablement écrit dans le livre La Justice déshonorée-1940-1944 : « C’est l’entrelacement, dans un même corpus de normes pénales, d’un registre lexical propre à la justice et d’une terminologie profondément idéologisée qui fonde le caractère inédit de la répression politique menée par les tribunaux sous Vichy. »3 Prenons garde de ne pas réveiller les vieux démons.

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En parlant de « vieux démons », il n’y a visiblement pas que ceux du Régime de Vichy, il y a aussi ceux de la Guerre d’Algérie. Aujourd’hui tous les obstacles dressés par la Préfecture de Police, épaulée par la Mairie de Paris, sont fait pour empêcher la commémoration, au pont Saint-Michel à Paris, de la manifestation du 17 octobre 1961 qui vit la police aux ordres de Maurice Papon assassiner peut-être deux cents militants algériens4 réclamant l’indépendance de leur pays.

Les manifestations en défense des droits du peuple palestinien, notamment à la survie, contre la guerre barbare menée par l’Etat d’Israël et ses massacres innombrables, sont interdites sur tout le territoire.

Il s‘agit bien de l’interdiction de toute liberté d’expression. Seul le cadre de la « bien-pensance macroniste » est admis : il repose sur la loi « Sécurité globale », la loi « Séparatisme » et la circulaire Dupond-Moretti. Déjà des organisations du mouvement ouvrier sont visées au travers de cette circulaire, car elle a aussi un but très précis et des cibles très précises.

Abrogation des lois « Sécurité globale » et « Séparatisme » !

Retrait de la Circulaire du 10 octobre 2023 !

Bas les pattes devant la liberté d’expression,
d’association et de manifestation !

Paris, le 16 octobre 2023

1 Crim., 27 novembre 2018, n° 17-83.602.

2 CC, 19 juin 2020, n° 2020-845 QPC.

3 Virginie Sansico, La Justice déshonorée-1940-1944, Éditions Tallandier, 2015, page14.

4 Jean-Luc Einaudi, La Bataille de Paris, Éditions du Seuil, 1991, 336 pages.

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LOI DU 14 AOUT 1941

LOI DU 14 AOÜT 1941

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