La défaite de l’Occident par Emmanuel Todd

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Même si on ne partage pas tous les points de vue de l’auteur, ce qui est un peu mon cas, il faut saluer, recommander et surtout lire cet ouvrage qui est un véritable remède et un vaccin contre la « pensée unique » déversée à grands flots par les médias dits mainstream.

Alors que partout dans le monde, les décolonisations ont permis l’émergence, parfois douloureuse d’États-Nations, ceux-ci s’effondrent dans l’Occident, du fait notamment, selon l’auteur, de la disparition du Protestantisme et du Catholicisme, qui étaient des fondements « moraux » des Nations. Pour l’auteur, la Religion-zéro (ou zombie) entraîne l’État-zéro. Il décrit le véritable effondrement nihiliste des USA qui veulent toujours diriger le monde, sans en avoir les moyens aujourd’hui.

Il voit dans la composition familiale une des raisons de l’effondrement de l’Occident et la résistance de la Russie, de la Chine ou de l’Afrique (qui chasse les colonisateurs « blancs », notamment Français par exemple). Il considère que les sociétés à noyau « patrilaire » (construites historiquement autour de la figure du Père) sont plus fortes dans le progrès que celles dite de type « bilatéralité » (les Pères et les Mères ont une influence égale), majoritaires en Occident, qui sont sur le déclin. Il note que dans les sociétés de type « patrilaire », l’homophobie est importante et structurante, contrairement à l’autre type de famille.

La disparition des classes moyennes, qui fait le joint et le liant entre le haut et le bas de la Hiérarchie sociale et économique entraine aussi un effondrement de l’Occident. Le choix du Capitalisme international a été la délocalisation de la production vers le « Tiers-Monde ». Ce faisant, il détruit le Prolétariat des pays occidentaux, principale force productive qui a cessé de croitre. Cela a transformé le Prolétariat en Plèbe et rappelons-nous que dans l’Empire romain, pour la satisfaire, il fallait piller le monde et que cela a une fin quand il n’y avait plus rien à piller, l’Empire romain s’est effondré sur lui-même. Marc Blondel disait souvent que tout Empire est condamné à disparaitre, c’est sa fonction et son destin irrésistible.

Emmanuel Todd fait aussi une étude très intéressante sur la mortalité infantile comme index du progrès ou de la régression des sociétés. Et là, l’Occident fait pâle figure vis-à-vis du reste du monde, contrairement à toutes les images d’Épinal véhiculées à foison par des spécialistes qui connaissent tout sur rien et rien sur tout.

Là où l’analyse est très puissante est quand l’auteur va à rebours de tout ce que déversent les JT à 20H sur la Russie. Il y a un paradoxe : les sanctions économiques contre la Russie ne l’ont nullement affaiblie sur le moyen terme, mais au contraire, ont provoqué un élan de solidarité de toute la sphère non-occidentale (la plus importante en nombre et économiquement parlant), ce qui lui a permis, non seulement de résister à l’effondrement promis par le grand Benêt Bruno Lemaire, mais de redonner un souffle à son économie en accroissant son indépendance vis-à-vis de l’Occident. L’auteur indique : « La Russie ne joue pas le jeu de l’exploitation mondiale, mais insiste au contraire pour rester une nation souveraine, extérieure au système. »

La volonté d’isoler la Russie a contribué fortement à lui faire obtenir un capital de sympathie à travers le monde de la part des pays qui subissent le néo-colonialisme à travers la globalisation menée par les Etats-Unis. L’auteur note : « Echapper à l’État prédateur américain est devenu partout une obsession et se dégager de l’empire du dollar devient pour tous un objectif raisonnable, même s’il leur faut procéder de façon prudente et progressive ». Le gel et les confiscations des avoirs en Occident sont une épée de Damoclès suspendue sur la tête de tous.

L’Occident est désormais minoritaire dans le monde, tant par sa puissance passée, ses valeurs, et sa morale hypocrite. L’auteur est donc clair : pour lui la défaite de l’Occident est d’ores et déjà programmée. Le Royaume-Uni, qui se liquéfie sur lui-même et qui n’est plus que l‘ombre de lui-même, est une bonne préfiguration de ce qui va arriver partout en Occident.

L’auteur pronostique avec raison à mon avis à la défaite inéluctable de l’Ukraine, jouet entre les mains des USA qui font la guerre à la Russie par pays interposé. L’Ukraine connait une diminution importante de sa population dans ce conflit et aussi par l’exil économique (vers l’Occident, mais aussi vers la Russie), alors que la Russie ménage sa population, elle n’a envoyé que 120 000 soldats pour envahir son voisin. Sa très grande avancée technologique en matière d’armement (notamment, mais pas que, les missiles hypersoniques), l’impossibilité actuelle pour les USA de fournir les munitions nécessaires à l’Ukraine, explique l’échec total de la « contre-offensive » de Kiev.

La politique de Zelenski (qui s’apparente à un racisme d’Etat) contre tout ce qui est Russe relève pour l’auteur d’un problème psychologique profond qui s‘appuie sur les relations profondes historiques et culturelles entre les deux pays. Il s’agit de « tuer le père », mais en même temps, de s’assujettir inconsciemment toujours plus à la Mère-Patrie d’origine. C’est ainsi que l’auteur explique que le noyau originel du Bataillon néo-nazi Azov était d’origine russe. C’était presque du sadomasochisme.

L’auteur pense aussi que la défaite ukraino-états-unienne va entrainer un rapprochement entre l’Allemagne et la Russie, ce qui est le cauchemar des USA. L’attentat contre le gazoduc Nord-Stream ne sera pas oublié, il a, selon l’auteur, été commandité par les USA et fait par la Norvège, pour casser le lien économique germano-russe, mais cela pourrait se retourner en son contraire. Il pronostique aussi une vassalisation de l’Union européenne toujours plus importante vis-à-vis des Etats-Unis. Le rêve d’une Grande Europe face aux puissants de ce monde est une chimère qui ne va plus tromper longtemps grand monde. Comment ne pas voir que « l’expansion » du nombre de pays de l’Union européenne est corrélée avec celle de l’OTAN, au point que l’auteur indique que l’UE est un sous-produit de l’OTAN ?

L’auteur prévoit que la volonté des pays Scandinaves et Baltes de rejoindre l’OTAN va constituer une erreur majeure en les mettant en face de la Russie dans de futurs conflits où l’OTAN ne pourra gagner, car les USA sont déjà battus contre la Russie et la Chine. Les Nord-Américains se battront jusqu’à la dernière goutte du sang des autres peuples, comme en Ukraine, mais n’iront pas à la confrontation armée avec la Russie qui est une puissance nucléaire et qui a changé sa doctrine en la matière en prévoyant l’utilisation de mini-bombes atomiques pour des effets régionaux.

L’auteur analyse que le développement de l’enseignement supérieur se fait dans un processus profondément inégalitaire et ségrégatif contre la masse du Peuple qui va effacer l’égalité partout en détruire le socle démocratique, et ce, parfois à contre-courant, du fait de la discrimination positive. Il donne des chiffres illustrant ces phénomènes qui font réfléchir. L’Oligarchie va remplacer la Méritocratie et ce partout dans le monde.

Face à ce monde inquiet qui sent la poudre (La Libre Pensée l’avait vu avant tout le monde dans sa Déclaration : La Guerre qui vient !), il existe cependant des forces positives qui se constituent en rupture du Vieux-Monde. C’est là la voie du succès qu’il faut emprunter et soutenir. Le dilemme est toujours : Socialisme ou Barbarie.

Je recommande vraiment la lecture de cet ouvrage qui fait réfléchir même, je le répète, si on peut ne pas être d’accord sur tout. Mais c’est un bain de jouvence dans l’univers aseptisé et réactionnaire que l’on nous concocte tous les jours dans les médias.

Christian Eyschen

La défaite de l’Occident par Emmanuel Todd – Editions Gallimard – 374 pages – 23€