La Raison N° 690 – avril 2024

Pour nous suivre

Un œillet à la boutonnière

Ce mois d’avril verra le cinquantième anniversaire de la « Révolution des œillets », la Révolution portugaise. Elle mettait à bas le régime hérité du dictateur Salazar, et s’est exprimée – chose peu commune – à la suite d’un coup d’état militaire préventif, pourrait-on dire, dirigé par le général Spinola. C’était l’illustration parfaite de la phrase : « lorsque ceux d’en haut ne peuvent plus et lorsque ceux d’en bas ne peuvent plus ».

Philippe Besson nous livre, dans ce numéro, la première partie de l’histoire de cette révolution. Ceux d’entre nous qui avaient l’âge de raison en 1974 s’en souviennent avec émotion tant elle a secoué l’Europe. La Révolution portugaise a été suivie avec passion par le mouvement ouvrier du monde entier parce que c’était une révolution ouvrière cherchant les voies du pouvoir. Oui, des millions de travailleurs ont manifesté dans les rues de Lisbonne et ailleurs dans le pays, oui, tous les lieux de pouvoir ont été investis, la police politique démantelée, les commissariats occupés, les ministères, les administrations, puis les banques.

Si les dirigeants militaires n’avaient en vue que l’instauration d’une démocratie parlementaire bourgeoise, le contingent, excédé par le poids insupportable des guerres coloniales se rallie massivement à la cause des révolutionnaires et fleurissent les œillets rouges aux boutonnières et aux canons des fusils. Nous attendons avec gourmandise la seconde partie de cette épopée.

La Révolution portugaise sonnait le glas des autres dictatures et en premier lieu de celle de Franco en Espagne. On sait comment, dans ce pays, les institutions de la dictature ont été sauvées et une royauté honteusement rétablie par un « compromis historique » contre-révolutionnaire appuyé par les partis « de gauche ». Au Portugal, il a fallu les efforts conjoints de l’Église et de la Social-démocratie pour aboutir à la fin de la Révolution et à une constitution « normale », c’est-à-dire bourgeoise en 1976.

Qu’on s’en souvienne : « Lorsque ceux qui sont en haut ne peuvent plus et lorsque ceux qui sont en bas ne veulent plus ». En sommes-nous si loin en France ? La célébration de la Révolution portugaise le 25 avril n’est pas qu’une commémoration historique.

Notre dossier aborde pour la première fois un sujet de société qui donnera lieu, sans-doute à bien des controverses : la question du genre et des libertés sexuelles. Les avancées que nous avons pu connaître dans un passé récent, comme le mariage pour tous, incomplètes et insuffisantes sans doute, modifient profondément la vision des citoyennes et des citoyens sur ces questions.

L’Église, quoi qu’elle prétende, dans sa stratégie éternelle de « repli élastique » (je recule un peu pour pouvoir avancer de nouveau plus tard) est en fait vent debout contre toute remise en cause de sa morale archaïque et totalitaire. Elle se déchire elle-même sur les formes à donner à ce repli. La timide réforme de Bergoglio dit François de donner une bénédiction symbolique individuelle aux homosexuels en couple (mais pas aux couples d’homosexuels) met l’Église catholique Apostolique et Romaine au bord du schisme et son synode lui explose à la face.

L’Église a, comme toujours, deux fers au feu : une libéralisation de façade et des troupes d’assaut fascisantes avec les organisations catholiques intégristes et d’extrême-droite, celles qui promeuvent les crèches dans les mairies, les statues cléricales dans l’espace public, celles qui taguent les vitrines des associations laïques comme la nôtre.

Toutes celles et tous ceux qui combattent pour l’extension des droits de toutes les orientations sexuelles ont le soutien de la Libre Pensée. Nous avons les mêmes ennemis : le cléricalisme, les préjugés bourgeois, la réaction, en un mot. C’est pourquoi nous lançons le débat. Notre dossier n’a pas la prétention de constituer l’alpha et l’oméga de la pensée laïque sur de tels sujets, mais au contraire de lancer et d’accueillir un débat que nous ne manquerons pas de répercuter dans nos colonnes et dans nos résolutions de congrès.

Bonne lecture, chers amis.

Jean-Sébastien Pierre, Président de la Libre Pensée

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