Rwanda, l’argent du génocide par Pierre Galand

1. A la suite de la demande faite par le gouvernement rwandais auprès du PNUD1, j’ai été chargé d’une mission d’expertise pour étudier dans les ministères, à la Banque Nationale du Rwanda et aux douanes quels ont été les sources et mécanismes de financement du génocide. Pour ce faire, je me suis entouré de deux experts de grande qualité : le professeur canadien de l’Université d’Ottawa et économiste Michel Chossudovsky et feu l’éminent juriste belge de droit international de l’ULB, Eric David. Nous avons effectué plusieurs missions d’enquête au Rwanda, fin 1995 et en 1996, et nous avons remis un rapport précis entre les mains du PNUD et du gouvernement rwandais.

2. Quelques signes alarmants

Nous avons constaté qu’en 1990, le budget du ministère de la Défense nationale explose et les effectifs de l’armée passent de 5.000 à 40.000 hommes, en moins d’un an, et ce pour contrer l’offensive dans le nord des troupes du FPR2 dirigées par Paul Kagame.

Cela nécessitera, d’une part, le détournement des financements extérieurs pour l’achat d’équipements et le paiement des militaires. Et d’autre part, la mise en place d’une politique d’austérité et d’ajustement structurel, qui se fera au détriment de la santé, de l’éducation des Rwandais avec pour conséquence l’effondrement des services publics.
Le représentant de la Banque Mondiale alerte et envoie plusieurs rapports à ses supérieurs qui, à leur tour, insistent auprès du gouvernement Habyarimana pour le rétablissement d’une orthodoxie budgétaire. Il en résulte, dès 1992, une grave famine et l’accroissement inquiétant du chômage; l’instabilité sociale s’installe.

Dès la fin 1991, les dépenses de l’armée absorbent 51 % des recettes de l’État et 71 % des dépenses en biens et services.

En outre, on observera que pour tenter de faire bonne figure aux bailleurs de fonds, de plus en plus de dépenses et importations de biens au profit de l’armée sont déguisées en dépenses civiles. A titre d’exemple, l’achat du matériel roulant pour le ministère de la Santé, inscrit au budget de ce ministère, a été directement transféré à l’armée en 1992.

3. Si les bailleurs de fonds internationaux sont inquiets et tirent des sonnettes d’alarme, ils fermeront les yeux sur l’aide au développement détournée en faveur de l’armée et des milices privées, sous contrôle de Mme Habyarimana et de son frère.

Les principaux bailleurs de l’époque ‘90/94 sont la France, la Belgique, l’Afrique du Sud, l’Égypte, la Chine.

Rien que les chiffres officiels de la BNR3 font état d’achats d’armes pour plus de 87 millions de $ soit 12 milliards de FRW4.

Cela sans compter les importations par avion d’armements et de tout le matériel transporté illégalement comme les machettes et autres armes qui serviront à perpétrer le génocide et l’équipement des génocidaires via les aéroports de Kigali et surtout de Goma en RDC5 avant d’être acheminés vers le Rwanda.

4. C’est ainsi qu’entre 1992 et 1994, 581.000 kg de machettes ont été importées pour une valeur de $725.669. Si l’on ajoute les houes, pics, pioches, haches, faux, bêches, rasoirs utilisés durant le génocide, il s’agit de 3.395.568 kg de matériel réservé aux tueurs pour une valeur de 4.671.533 $ selon les données de la BNR.

Cet argent « officiel » provenait de dons et prêts accordés par les principaux bailleurs de fonds dont j’ai cité ci-avant l’identité. Ils ont utilisé les mécanismes dits de « fongibilité » des fonds mais aussi les techniques de paiements rétroactifs et les octrois de crédits commerciaux ou encore, les prêts à décaissement rapide. Nous avons démontré que tous ces mécanismes ont servi aux achats d’armes et aux équipements de l’armée et des milices.

5. Ces techniques furent utilisées pour camoufler sous divers labels et justificatifs d’importation de biens de nature civile un matériel qui était, en réalité, destiné à l’armée et aux milices privée et cela avec l’approbation, ou la complicité, ou l’aveuglement du principal bailleur de fonds : la Banque Mondiale, elle-même couverte par les avis émis par le FMI.

6. Dès la fin 1992, les indicateurs économiques auraient dû amener les observateurs économistes, politiques, associatifs à exiger la suspension des facilités de paiement. Or, elles vont se poursuivre jusqu’en août 1994, c’est-à-dire durant le génocide et même après la fuite du gouvernement, de l’armée et des milices qui trouveront refuge au-delà de la frontière en RDC, dans les camps sous protection de la France.

7. Plusieurs transactions sur base d’ordres de paiement pour achats d’armes sont faites par la BNR depuis les camps de réfugiés après le 7 avril et jusqu’au mois d’août et cela pour un montant de plus ou moins 17 millions de $  et en chèques voyages pour plus de 6.440.200 $. (Égypte, Afrique du Sud, Chine, France, Belgique).

Et cela, sans compter l’ensemble des transferts effectués par les responsables de l’ancien régime à partir de leurs comptes en devises auprès des banques, e.a. la Banque de Kigali et la Banque commerciale du Rwanda. Nous découvrirons que des messages étaient adressés depuis les camps de réfugiés aux autorités belges pour les informer de ce qu’une force de près de 40.000 hommes armés (militaires et milices privées) s’était reconstituée et s’entraînait les camps de réfugiés sur la frontière avec le Rwanda. L’U.E., principale fournisseur de l’aide humanitaire dans les campements, s’est toujours défendue d’avoir alimenté ces génocidaires revanchards.

8. On estime que l’ensemble des détournements et moyens réunis pour préparer le génocide et tenter la reprise du pouvoir à Kigali par l’ancien régime s’élève à plus de 112 millions de $ laissant le Rwanda avec une dette extérieure officielle en 1994 de plus d’un milliard de $.

Pour leur négligence coupable, leur complicité directe, les bailleurs de fonds se sont rendus coupables, aux termes mêmes de la Convention sur la prévention et l’exécution du génocide contre les Tutsi… Ils n’ont jamais eu à rendre des comptes !

9. Le crime de génocide est imprescriptible et cela doit obliger les bailleurs de fonds et la communauté internationale à contribuer à un programme spécial de réparation post-génocidaire visant à indemniser les familles des victimes et les survivants du génocide.

Faute de réparations et de reconstruction, il sera difficile d’obtenir le retrait des troupes du M236 de l’Est du Congo et de rendre possible la fin de la guerre qui ensanglante cette région depuis un quart de siècle.

10. Le drame vécu par les peuples de l’Afrique centrale doit nous obliger à un sérieux examen de l’échec dramatique de ce que l’on nomma, au lendemain des décolonisations, « la coopération au développement ».

Pierre Galand
Ancien sénateur et secrétaire général d’OXFAM7 Belgique

[image mise en avant : Commémoration en 2014 du 20e anniversaire du génocide contre les Tutsi.]

[les notes sont de la rédaction du site de la FNLP]


  1. Programme des Nations Unies pour le Développement 

  2. Front Patriotique Rwandais 

  3. Banque Nationale du Rwanda 

  4. franc rwandais 

  5. République démocratique du Congo 

  6. Mouvement du 23 mars 

  7. « Oxford Committee for Relief Famine« , une organisation fondée en Grande-Bretagne en 1942. La confédération internationale Oxfam a été créée en 1995 par un groupe d’organisations non gouvernementales indépendantes.