La Raison interviewe Pierre TOURNEMIRE

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En direct avec Pierre Tournemire

Vice-Président de la Ligue de l’Enseignement

Interview pour  La Raison, revue de la Libre Pensée

La Raison :   Peux-tu présenter la Ligue de l’enseignement ?

Pierre Tournemire : La Ligue de l’enseignement est une association laïque d’éducation populaire qui est née à l’automne 1866  suite à l’appel lancé par Jean Macé pour le rassemblement de tous ceux qui souhaitaient contribuer à l’enseignement du peuple. Derrière cet appel anodin se cachait une ambition beaucoup plus vaste : c’est en fait l’exigence de la formation des citoyens que réclamait Jean Macé, journaliste républicain devenu professeur en Alsace depuis que le coup d’Etat du futur Napoléon III l’avait contraint à quitter la capitale. Il considérait que pour exercer le pouvoir, le citoyen devait disposer du savoir et que le devoir des républicains était de l’assurer.

Cet appel a eu rapidement un large écho, car il a rencontré l’adhésion de nombreuses personnes qui croyaient au progrès, à la raison et à la science et qui voulaient « chasser l’obscurantisme pour ouvrir les esprits à la lumière ». Mouvement républicain ayant eu un rôle essentiel dans l’instauration des lois scolaires, promouvant, protégeant et prolongeant l’Ecole Laïque, la Ligue a aussi contribué aux lois laïques sur les associations et pour la Séparation des Eglises et de l’Etat à une époque où l’Association Nationale de la Libre Pensée et la Ligue de l’enseignement avaient en commun Ferdinand Buisson comme Président.

Aujourd’hui, la Ligue de l’enseignement regroupe plus de 1,6 million de membres. Des centaines de milliers de bénévoles et plusieurs milliers de professionnels agissent au sein de près de 30 000 associations pour l’accès à l’éducation, à la culture, aux sports et aux loisirs. Pour cela, la Ligue de l’enseignement invite les citoyens à s’associer pour la laïcité, à lutter contre les inégalités et les discriminations, à débattre et agir afin de construite une société plus juste, plus libre et plus solidaire pour l’émancipation de tous.

Au cours de cette longue histoire la Libre Pensée et la Ligue de l’enseignement ont toujours eu des contacts, mais elles n’ont pas toujours été d’accord ! Il y a même eu des périodes où des propos aigres doux – c’est un euphémisme – ont été échangés. Heureusement, depuis quelques années, nous avons, en commun, estimé que le dialogue était préférable à l’invective, d’autant que ces divergences ne portaient que sur les conditions de mise en œuvre de principes qui nous étaient communs. Si nous n’avons pas toujours emprunté les mêmes chemins et si nous ne sommes pas allé à la même vitesse, la direction était la même et chaque fois que les fondements laïques ont été menacés nous nous sommes retrouvés dans le même camp pour les défendre.

La Raison :   A l’initiative de la Libre Pensée, la Ligue de l’Enseignement, la Ligue des Droits de l’Homme et l’Union Rationaliste  ont en commun fait un colloque sur « Laïcité et libertés ». Pourquoi ?

Pierre Tournemire : Parce qu’aujourd’hui des forces politiques et sociales tentent d’instrumentaliser la laïcité à des fins liberticides et de ségrégation, il était essentiel que des militants de nos quatre organisations aient une réflexion collective, avec la contribution d’intervenants très divers, sur les fondements de la laïcité et sur les conditions de sa mise en œuvre. Le succès de ce Colloque, tant pour la forte participation que pour la qualité des travaux, est réconfortant. Je ne doute pas que les actes qui ont rapidement été publiés permettront de poursuivre utilement la réflexion.

La Raison :   Du point de vue des questions actuelles de la laïcité, comment vois-tu les choses ?

Pierre Tournemire : Dans l’actualité récente abondent des discours visant à « normer » des comportements afin de préserver une incertaine « identité française » ou une tradition républicaine fantasmée, émanant de ceux qui se prétendent les meilleurs défenseurs de la laïcité, qu’ils soient des fraîchement convertis à l’idée ou non. Pour eux, la laïcité ne serait plus essentiellement la garantie d’un droit de liberté, mais l’exigence d’une manière d’être. La coexistence pacifique des libertés individuelles compterait moins que leur soumission à des valeurs morales déclarées indiscutables, et donc devant s’imposer indistinctement à tous, indépendamment du libre examen de chacun. Il n’est pas étonnant dès lors que, s’appuyant sur ces discours, se développe le hold-up de l’extrême droite qui instrumentalise la laïcité pour conduire une « croisade » contre les citoyens de confession musulmane.

Même s’ils s’en réclament de façon incantatoire, ces discours sont tous en contradiction avec la loi de 1905. Aussi, la vigilance, la réflexion et l’action communes de nos deux organisations sont plus que jamais indispensables pour défendre et promouvoir notre tradition laïque conciliant la liberté d’expression et le refus de comportements inacceptables. Ensemble, nous devons contribuer à ce que la laïcité soit plus encore l’outil privilégié pour concilier les chemins de la liberté et de l’émancipation dans le cadre de la justice sociale pour tous.

La Raison :   La Ligue de l’Enseignement appelle à la manifestation du 5 décembre 2015 avec la Libre Pensée, à l’occasion du 110e anniversaire de la loi de 1905. Pour quelles raisons ?

Pierre Tournemire : C’est 110 ans après, l’esprit et la lettre de cette loi que nous souhaitons promouvoir, c’est-à-dire le principe d’organisation assurant la liberté de conscience et garantissant la liberté d’expression des convictions de chacun de manière compatible avec les libertés de tous dans un cadre pacifié. C’est le sens de notre participation à la manifestation malgré des nuances sur l’ensemble des mots d’ordre.

Ainsi, si nous restons de fervents partisans d’un financement public réservé à l’enseignement public et si nous considérons que l’existence du dualisme scolaire est facteur de ségrégation culturelle et sociale, nous pensons que la priorité aujourd’hui est de restaurer la crédibilité de l’enseignement public en s’attaquant à la ségrégation scolaire qui existe aussi en son sein. Il est pour nous essentiel d’agir pour que soit mis en œuvre, réellement, complètement et partout, la loi de refondation de l’École.

Mais, dans le contexte actuel nous estimons que ces nuances d’appréciations ne doivent pas nuire à l’unité d’action pour préserver l’essentiel

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