En direct avec André Bellon, Président de l’Association pour une Constituante

La Fédération nationale de la Libre Pensée a rencontré André Bellon pour débattre des suites possibles communes à donner à la Résolution du Congrès national de la Libre Pensée de Saint-Herblain (44) «  Pour une Assemblée constituante souveraine ». Le débat fut cordial et une perspective de faire un colloque ensemble (FNLP et APUC) sur « La République » a été décidée.

Nous lui avons posé les questions suivantes :

Libre Pensée : Pourriez-vous vous présenter ?

André Bellon : Je suis Marseillais. Après des études à Marseille qui m’ont conduit à l’école Polytechnique, je suis devenu administrateur de l’INSEE, où j’ai fait ma carrière administrative. J’ai été syndicaliste, puis politique. J’ai été responsable Tiers-Monde du PS (j’étais venu à la politique par la décolonisation), puis député des Alpes de Haute-Provence (1981-1993). Rompant avec le PS, je me suis présenté seul en 1993 sous l’étiquette Gauche républicaine.

LP : Vous êtes à l’initiative de la constitution d’une Association pour une Constituante. Pourquoi ? Quels sont vos objectifs et vos moyens d’action ?

AB : Nous avons fondé à plusieurs l’Association pour une Constituante dans la foulée du référendum de 2005 et du déni de démocratie qu’a été le traité de Lisbonne, signé par Sarkozy sans véritable opposition du PS. C’était la réplique à une classe dirigeante qui ignore le peuple et méprise la démocratie. C’était aussi une réponse à une autre vision qui, après le non au référendum et devant la présidentielle, cherchait essentiellement le « candidat du non de gauche ». En effet, le non n’a pas d’étiquette. Il est l’expression de la volonté populaire. La réponse au référendum et au traité de Lisbonne était donc la reconstitution du peuple souverain. Tel est l’objet et la logique de la Constituante. Elle n’est pas un simple travail technique sur les institutions (même si cette question est éminemment fondamentale). Elle est un processus aujourd’hui nécessaire pour reconstruire le peuple en tant que corps politique et le citoyen aujourd’hui privé de sa souveraineté.

Les moyens d’action sont ceux habituellement utilisés par tous ceux qui veulent faire évoluer notre société : rencontres, débats, publications, … le tout face à un inintérêt quasi-total d’une presse conforme et inculte. Il faut faire boule de neige, expliquer, convaincre. La pétition dont nous parlerons plus loin est un des moyens de coagulation.

LP : Que pensez-vous des institutions de la Vème République ?

AB : Voilà donc 60 ans que fut créée la 5ème République. Je ne suis pas un obsessionnel du pouvoir présidentiel, qui me semble souvent un refuge niant la nécessité du débat et des contradictions en démocratie, donnant l’apparence de la stabilité en ignorant les convulsions souterraines. On peut, cela étant, aimer ou pas le régime né en 1958, juger qu’il était adapté à des circonstances exceptionnelles. Mais on ne peut évoquer tout cela comme si les défis d’aujourd’hui étaient les mêmes qu’en 1958.

De toute façon, la 5ème République n’existe plus. Ses équilibres ont été rompus, en particulier par les réformes Jospin (quinquennat et inversion du calendrier), les révisions Sarkozy (rapport du Président au Parlement), … L’omniprésence de l’Union européenne affaiblit encore plus le Parlement. Le Président accroit sa puissance sur le plan intérieur dans le même temps où elle s’estompe sur le plan extérieur. Quant à la part de volonté populaire inscrite dans la Constitution, elle n’est plus aucun sens. L’idée théorique d’un rapport direct entre un Président et un peuple est un conte de fée lorsque le peuple est méprisé, n’existe plus en tant que corps politique…

LP : Quelle est votre définition de la laïcité ?

AB : Je considère que la laïcité est l’application stricte de la loi de 1905 séparant les Eglises et l’Etat, toute la loi de 1905.

LP : Il y a des gens dans ce pays pour qui la laïcité n’a de problèmes qu’avec l’Islam ? Quel est votre point de vue

AB : Si vous le permettez, je formulerai peut-être, de façon assez proche, mais plus générale, la question suivante : la loi de 1905 est-elle adaptée à l’évolution de la société ? Je répondrai oui. La loi de 1905, contrairement à ce que disent beaucoup de ses détracteurs, n’était pas une loi de circonstance. Elle était l’aboutissement d’un combat philosophique fort ancien, combat entre les tenants de la raison et ceux de la foi pour définir et organiser la vie publique. On voit ce combat pendant la Renaissance, on le voit pendant la Révolution française, qui vécut d’ailleurs une brève séparation en 1795 sous l’impulsion de Cambon. Cette question est toujours présente et la volonté de redonner un rôle public aux religions ne se limite pas à l’une d’entre elles, quelle qu’elle soit.

LP : La Libre Pensée considère qu’un homme politique comme Manuel Valls a été un facteur de haines communautaristes et que son action, sur tous les plans, a été néfaste. Comment voyez-vous les choses sur cette question ?

AB : Que Manuel Valls ne soit pas guidé par les principes républicains n’est pas vraiment une découverte, même si les références à ces derniers abondaient formellement dans ses discours. Sa pensée était plutôt marquée par une vision néolibérale de la vie publique. Cela étant, il me parait nécessaire de remonter plus avant. Les positions de Jack Lang sur l’éducation, celles de Jospin sur les particularismes communautaires, celles de Sarkozy sur la discrimination positive, ont ouvert des brèches qui délitent désormais la société. En fait, cela fait plusieurs décennies que les tendances communautaires sont acceptées, au moins par commodité.

LP : Considérez-vous que nous sommes encore en République ?

AB : Non. Bien sûr, le discours officiel, venant de gauche comme de droite, se veut offensif contre les partis visiblement antirépublicains, en particulier d’extrême-droite. Mais ce n’est pas parce qu’on mène ce combat nécessaire qu’on est ipso facto républicain.  La reconstruction de la République est, certes, nécessaire contre les dangers extrémistes. Mais comment nier que ces dangers sont produits par le délitement des principes républicains ? Désigner un adversaire et se penser pour autant responsable légitime de la République n’est qu’un artifice. Reconstruire la République demande que soit réaffirmé l’intérêt général pour le pays, la valeur de l’esprit critique pour le citoyen, le contrat social pour tous.

LP : Vous êtes à l’initiative d’une pétition « Nous, citoyens, exigeons la Démocratie » que l’on peut signer sur https://chn.ge/2wjkz1n . Pourquoi ? Quel message voulez-vous faire passer ?

AB : La pétition https://chn.ge/2wjkz1n  a déjà rassemblé en un mois plus de 1 100 signataires, et ce sans aucun écho médiatique. Nous souhaitons la voir se développer. Elle correspond, en effet, sans doute parallèlement à d’autres initiatives, à un besoin, celui de citoyens qui ne supportent plus l’arrogance de la classe dirigeante et l’isolement social auquel ils sont contraints. Elle se veut un cri de citoyens exprimant leur volonté, affirmant leur souveraineté, et dessinant un cheminement pour que se réaffirme cette souveraineté. Elle est donc un lieu d’expression individuelle utile et se veut aussi un espace d’affirmation collective.

LP : Voulez-vous rajouter quelque chose pour nos lecteurs ?

AB : A chaque élection, se manifeste ce cri. La montée de l’abstention et du vote blanc en sont un indice essentiel. Les dirigeants n’en tiennent aucun compte. Bien au contraire, ils estiment qu’il faut poursuivre leur politique et qu’il faut simplement communiquer plus et mieux. La communication n’est que ce qu’on appelait autrefois propagande. Au lieu d’accepter le débat contradictoire nécessaire à toute démocratie, ils décident qu’ils ont raison. Il va en être de même aux élections européennes pour l’élection d’un parlement que je considère comme illégitime, puisqu’il préjuge sans conteste possible de l’existence d’un peuple européen.

Et, comme à chaque élection, on nous fera le coup d’un front républicain qui n’est ni front ni républicain. La seule différence sera que ce front se voudra européen et non plus limité au sol national. Macron, après tant d’autres, va désigner un ennemi des libertés, un nouveau diable, dans le même temps où son action attaque toutes les libertés démocratiques et sociales. Manière de faire oublier qu’un totalitarisme peut en cacher un autre.

(Propos recueillis par Jean-Marc Schiappa et Christian Eyschen)