10 novembre 2019
Émission animée par Dominique Goussot, membre de la Commission Administrative Nationale de la Fédération Nationale de la Libre Pensée.
Dominique Goussot : Chers auditeurs, bonjour. La Libre Pensée reçoit aujourd’hui le professeur Pierre Jouannet, membre de l’Académie nationale de médecine, ancien responsable des centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS), spécialiste de la médecine de la reproduction. Nous souhaitons recueillir son avis sur quelques aspects du projet de loi de bioéthique, actuellement en cours d’examen au Parlement.
Pierre Jouannet, bonjour et merci d’avoir accepté notre invitation. Pouvez-vous, d’abord nous livrer votre point de vue sur le texte dans son ensemble.
Pierre Jouannet : Bonjour et merci de m’accueillir dans votre émission. Il y a effectivement un projet de loi relatif à la bioéthique qui est en cours d’examen. Il faut savoir que c’est le 4ème projet de loi depuis 1994 et que cette loi a pour objectif d’encadrer les activités médicales, la recherche biomédicale. Elle concerne donc beaucoup de thèmes différents : PMA, transplantations d’organes, génétique, neurosciences. Traiter de tous cela dans un même texte est très compliqué. Mais ce qui est remarquable dans le projet actuel c’est qu’il marque une évolution, déjà présente dans les projets antérieurs, qui est une évolution vers une conception de plus en plus administrative de l’éthique. C’est-à-dire que les activités, qu’il s’agisse de soins ou de recherches, sont de plus en plus encadrées par des règlements de plus en plus précis, parfois pointilleux, pas toujours adéquats et ont pour conséquence de déresponsabiliser les acteurs qu’ils s’agissent des professionnels, médecins, chercheurs, mais aussi les patients. Pour moi cela reflète un manque de confiance à l’égard des personnes et je trouve cela regrettable.
D.G. : Pierre Jouannet, pouvez-vous maintenant nous préciser l’appréciation que vous portez sur l’extension à toutes les femmes de la procréation médicalement assistée ? Comme le temps nous est compté, indiquez-nous au surplus le regard que vous posez, d’une part, sur le droit à la levée de l’anonymat des donneurs de sperme ou d’ovocytes reconnu à toute personne majeure, née d’une procréation avec donneur, qui en fera la demande, d’autre part, sur la filiation d’intention résultant d’une reconnaissance préalable devant notaire de l’enfant à naître par les femmes homosexuelles ou seules recourant à cette technique médicale.
P. Jouannet : L’ouverture de la PMA à toutes les femmes est l’aspect plutôt positif du projet de loi. Il était inéluctable. Je ne comprends pas d’ailleurs pourquoi on en discute encore l’opportunité dans la mesure où les femmes concernées de toute façon, quand elles souhaitent devenir mères, elles le font. Le problème est qu’elles le font dans de mauvaises conditions : soit à l’étranger soit en France. La loi ne fait que reconnaitre ce droit de pouvoir devenir mère dans de bonnes conditions et avec une assistance médicale quand c’est nécessaire. Ça c’est le côté positif et presque obligatoire de la loi.
En ce qui concerne l’anonymat du don de sperme et d’ovocytes, je pense que sa suppression est inévitable car aujourd’hui toutes les personnes conçues par don ont les moyens, par des tests génétiques, de pouvoir identifier leur donneur. Que l’anonymat soit supprimé ne m’étonne pas. Maintenant ce que je regrette c’est que le dispositif qui est prévu dans le projet de loi sur la manière dont les choses vont être gérées une fois que l’anonymat sera levé, c’est incompréhensible. Là aussi il faudrait faire plus confiance aux acteurs concernés – parents, enfants, donneurs – pour qu’ils puissent trouver, eux, le meilleur moyen de procéder pour gérer cette situation d’information des enfants par les géniteurs et les parents en fonction des circonstances.
Maintenant sur la question de filiation, en tant que médecin, je n’ai pas d’avis à formuler. Ce n’est pas une question d’ordre médical. Je reprendrais, là aussi, l’avis des personnes concernées et en l’occurrence l’association des parents gays et lesbiens (APGL) qui revendique un accès pour ces familles au droit commun de la filiation. L’association dit qu’il faudrait permettre à ces femmes d’entrer dans le droit commun en élargissant les mesures existantes qui ont fait la preuve de leur validité pour les couples hétérosexuels en PMA. Notamment l’engagement irrévocable dans la procédure de PMA, puis l’établissement de la filiation pour la mère qui accouche et bénéfice d’une présomption de co-maternité, d’une possibilité de reconnaissance en Mairie pour la filiation de l’enfant à l’égard de sa compagne. Je trouve que cette demande de l’APGL est tout à fait raisonnable et qu’en l’occurrence le mieux que pourrait faire le projet de loi c’est de faire rentrer ces nouvelles filiations dans le droit commun habituel.
D.G. : Pierre Jouannet, concernant la levée de l’anonymat, ne craigniez-vous pas qu’il entraine une chute des dons d’ovocytes et de sperme alors que la demande va augmenter compte tenu de l’extension de la PMA à toutes les femmes ?
P. Jouannet : Oui ce n’est pas impossible. Les donneurs et donneuses expriment des réticences pour pouvoir poursuivre à donner si l’anonymat est levé. Mais je dirais que la sensibilisation et le recrutement des personnes qui pourraient être volontaires pour le don, dépend des moyens que l’on met pour pouvoir les sensibiliser, leur expliquer de quoi il s’agit et leur permettre de donner. C’est un peu le même problème pour les autres types de dons : dons d’organes, dons du sang. Imaginez ce qui se passerait si on ne faisait aucune campagne pour le don du sang, si on ne mettait pas les moyens nécessaires pour accueillir, accompagner les donneurs quand ils se présentent ? Il faudrait la même volonté politique, d’action pour le recrutement des donneurs et je crois que même si l’anonymat était levé il ne devrait pas y avoir beaucoup de difficultés pour trouver les donneurs et donneuses nécessaires.
D.G. : Merci Pierre Jouannet. Deuxième sujet qui nous préoccupe à la Libre Pensée, c’est celui de la recherche sur l’embryon. Le cadre juridique particulièrement strict enserrant la recherche sur l’embryon demeure pour l’essentiel celui en vigueur depuis 2013. Il connaît néanmoins une évolution inquiétante aux yeux de la Libre Pensée puisque les chercheurs devront respecter les termes des articles 16 à 16-8 du code civil s’appliquant aux personnes nées et non aux embryons. Dites-nous si nos inquiétudes sont fondées ou relèvent du soupçon dépourvu de fondement.
P. Jouannet : Cette introduction de la référence aux articles 16 à 16-8 du code civil pour le protocole de recherche sur l’embryon implique que les chercheurs devront s’assurer qu’ils respectent les dispositions de ces articles, de même que les centres de conservation des cellules souches et des embryons pour la recherche, devront respecter les dispositions de ces articles.
Cela n’existait pas auparavant dans la loi et vraiment on peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles on introduit cette référence. De quoi parlent ces articles ? Ce sont en fait les articles qui gouvernent toutes les recherchent biomédicales sur les personnes, comme vous le disiez.
Ces articles du code civil disent que la loi assure la primauté de la personne, que chacun à droit au respect de son corps, que le corps humain est inviolable ou encore que l’intégrité du corps humain doit être protégée. Donc introduire toutes ces notions qui concernent des personnes, adultes ou enfants, pour un embryon de quelques jours, qui est un amas de cellules, c’est très étrange. On peut vraiment se demander pourquoi on a introduit ces dispositions. C’est surtout inquiétant quand on sait qu’aujourd’hui la plupart des autorisations de recherches délivrées par l’Agence de biomédecine sont contestées devant les tribunaux par des associations ou des sociétés qui sont contre la recherche sur l’embryon. On peut penser que ces articles vont leur être très utiles pour pouvoir contester les autorisations de recherche et obtenir l’annulation des autorisations. L’introduction de ces articles 16 à 16-8 pose vraiment beaucoup de questions.
D.G. : La Libre Pensée, vous le savez, est favorable à la mise en place d’un simple système de déclaration avec un avis du conseil d’orientation de l’Agence de biomédecine. Qu’en pensez-vous ?
P. Jouannet : La loi devrait fixer les grands principes à respecter. Ensuite dans la mise en œuvre de la loi il faudrait bien sûr que ce soit encadré mais il faudrait aussi faire plus confiance aux acteurs concernés comme je le disais au début. Et si jamais ils dérapaient, il faudrait les sanctionner. Mais pas le faire a priori. Il faut leur laisser la liberté de pouvoir développer leurs recherches dans des conditions éthiques reconnues par la société. Dans ce contexte, que les recherches soient soumises à déclaration et pas à autorisation serait positif. La loi va rendre cela possible pour les cellules souches embryonnaires ce qui n’était pas le cas avant. Pour l’embryon c’est un problème. La loi ne traite pas bien le sujet car elle ne fait pas bien la distinction entre deux types de recherches. D’un côté les recherches faites sur des embryons obtenus dans des conditions in vitro et qui sont susceptibles d’être transférés dans l’utérus pour se développer et donner naissance à une personne, qui sont des recherches assimilables à des recherches cliniques et donc il faut des dispositions de surveillance particulières. Les autres recherches qui sont faites sur des embryons qui ne seront jamais transférés dans un utérus, qui ne peuvent jamais donner naissance à une personne, pourraient obéir à des encadrements réglementaires différents et pourraient faire l’objet d’une simple déclaration. Je suis d’accord avec ça.
D.G. : Pierre Jouannet, dans le peu de temps qui nous reste, estimez-vous que le législateur a laissé dans l’ombre des sujets importants dans ce projet de loi ?
P. Jouannet : Oui. On peut toujours penser qu’il y a d’autres questions qui auraient pu être traitées. Il y a notamment toutes les questions relatives à la fin de vie et je trouve normal que ce ne soit pas dans ce projet de loi car se sont des sujets très différents. Maintenant les questions demeurent et le débat qu’il y a eu avant la déposition du projet de loi l’année dernière, montre que c’est un sujet qui préoccupe beaucoup les Français et donc un sujet sur lequel il faudrait revenir peut-être dans d’autres circonstances.
Sinon pour rester dans le cadre des thèmes du projet de loi actuel, je dirais qu’il y a un type de recherche ou de pratique médicale qui n’est pas du tout traité dans la loi et qui mériterait au minimum une réflexion et un débat parlementaire : c’est tout ce qui concerne la gestation pour autrui et la transplantation d’utérus. C’est étonnant d’ailleurs que la transplantation d’utérus ne soit pas du tout traitée dans ce projet de loi. Il y a un lien entre les deux car se sont les mêmes femmes qui ne peuvent pas devenir mères parce qu’elles n’ont pas d’utérus et qui peuvent soit recourir à une transplantation d’utérus soit à une gestation pour autrui.
Ce sont des sujets complexes mais qui mériteraient vraiment d’être discutés.
Il y en a d’autres. Je pense notamment à un sujet qui est en train d’émerger dans toutes les réflexions dans d’autres pays sur le plan scientifique. Ce sont les recherches qui consistent à créer des « organoïdes » c’est-à-dire des structures tridimensionnelles qui reproduisent les organes. On peut maintenant avec les nouvelles techniques de culture, avec les progrès faits sur les cellules souches, reconstituer des structures ressemblant à des organes intestinaux, pulmonaires ou autres, et aussi des « cérébroïdes » c’est-à-dire des mini cerveaux, qui sont capables de certaines fonctionnalités in vitro.
Concernant ces recherches en neurosciences, il y a beaucoup de questions à discuter qui ne sont pas abordées dans la loi et c’est dommage.
D.G. : Merci Pierre Jouannet. Est-ce que vous pourriez indiquer à nos auditeurs le petit ouvrage que vous avez commis sur ces questions-là récemment ?
P. Jouannet : A la demande de l’INSERM, avec des collègues (Bernard Baertschi et Jean-François Guérin) on a rédigé un ouvrage concernant la recherche sur l’embryon : Recherche sur l’embryon : dérive ou nécessité ? C’est à la fois une description de toutes les questions posées sur le plan éthique, philosophique, médical, scientifique de la recherche sur l’embryon, les réflexions sur ce sujet et des propositions sur ce qui pourrait être fait pour que cette recherche puisse être menée dans de meilleures conditions à la fois sur le plan scientifique et sur le plan éthique.
D.G. : Merci Pierre Jouannet.