8 septembre 1970 : François Truffaut écrit au Président de la Cour de sûreté de l’État

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Avec ce Gouvernement liberticide

 

Lettre de François Truffaut

au Président de la Cour de sûreté de l’État,

datée du 8 septembre 1970

 

Monsieur le Président,

J’avais pris mes dispositions pour venir témoigner le 8 septembre au procès des vendeurs et diffuseurs de La Cause du Peuple. Ayant reporté au 10 septembre mon départ pour les États-Unis, je ne puis ajourner de nouveau ce voyage, c’est pourquoi je vous adresse mon témoignage écrit.

Dans les premières semaines de juin, j’ai appris à travers la presse que le journal La Cause du peuple, dont Jean-Paul Sartre venait d’accepter la direction, était systématiquement saisi avant même que les autorités aient pris connaissance des textes qu’il contenait. J’ai appris également que la police appréhendait, arrêtait et inculpait les vendeurs de ces journaux et parfois même ses lecteurs, pourvu qu’ils détiennent deux exemplaires dans leur poche ou dans la sacoche d’un vélosolex.

Je savais, toujours pour l’avoir lu dans Le Monde, qu’une Cour de justice, celle de Rennes, je crois, avait refusé quelque temps avant de suspendre la parution de ce journal.
Tout cela montrait bien que le ministre de l’Intérieur (Raymond Marcellin) n’hésitait pas, afin de persécuter le journal, à commettre des actions qu’il faut bien appeler illégales.


Je n’ai jamais eu d’activités politiques et je ne suis pas plus maoïste que pompidoliste, étant incapable de porter des sentiments à un chef d’État, quel qu’il soit.


Il se trouve seulement que j’aime les livres et les journaux, que je suis très attaché à la liberté de la presse et à l’indépendance de la justice.


Il se trouve également que j’ai tourné un film intitulé Fahrenheit 451 qui décrivait pour la stigmatiser une société imaginaire dans laquelle le pouvoir brûle systématiquement tous les livres; j’ai donc voulu mettre en accord mes idées de cinéaste et mes idées de citoyen français.

C’est pourquoi le samedi 20 juin, j’ai décidé de vendre sur la voie publique le journal La Cause du peuple. J’ai rencontré là, dans la rue, d’autres vendeurs et, parmi eux, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Le public, dans la rue, était intéressé, ma pile de journaux fondait à vue d’œil et lorsqu’un agent s’est présenté devant nous, j’ai eu le plaisir de lui offrir deux exemplaires de La Cause du peuple qu’il a tenus à la main, ce qui aurait pu éventuellement lui valoir des poursuites.

Une photo, prise par un passant, confirme l’exactitude de cette scène. Après nous avoir engagés à nous disperser, l’agent a demandé à Jean-Paul Sartre de le suivre au commissariat, ce que l’écrivain a fait bien volontiers. Naturellement, je suivais le mouvement ainsi que Simone de Beauvoir, d’autres vendeurs et quelques promeneurs intrigués.


Si l’agent de police a demandé à Jean-Paul Sartre de le suivre plutôt qu’à moi, c’est manifestement parce que je portais une chemise blanche, un costume sombre et une cravate, tandis que Sartre avait un blouson de daim froissé et usagé. Il y avait donc déjà au niveau du costume (comme on dit aujourd’hui), une discrimination entre les diffuseurs de La Cause du peuple, ceux qui semblaient le vendre pour gagner leur vie étant plus exposés aux poursuites que ceux qui le faisaient pour le principe.


La suite de la scène allait me confirmer dans cette impression puisqu’un promeneur ayant reconnu Sartre apostropha l’agent : “Vous n’allez tout de même pas arrêter un prix Nobel !”. Alors, on vit cette chose étonnante, l’agent lâcher le bras de Jean-Paul Sartre, accélérer sa marche, dépasser notre groupe et filer droit devant lui si prestement qu’il nous eût fallu courir pour le rattraper. La preuve était faite qu’il existait deux poids, deux mesures, et que la police décidait ses interpellations, non pas à la tête du client, mais à celle du vendeur.


Je ne puis terminer ce témoignage qu’en recommandant à mes collègues, les vendeurs de La Cause du peuple, de s’habiller tous les jours “en dimanche” et de refuser le prix Nobel si jamais on le leur propose.

Tels sont, Monsieur le Président, les faits que j’aurais exposés à l’Audience du 8 septembre.

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La comparaison avec Fahrenheit 451 ne saurait être fortuite,
ni avec la proposition de loi «  Sécurité Globale  »

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MOBILISONS-NOUS LES 3, 16 ET 30 JANVIER
CONTRE LA LOI SÉCURITÉ GLOBALE ET LES
AUTRES TEXTES LIBERTICIDES

Communiqué de la coordination StopLoiSécuritéGlobale, dont la LDH est membre

La coordination nationale #StopLoiSécuritéGlobale donne rendez-vous aux défenseur-se-s des libertés dès le dimanche 3 janvier 2021, à Paris, à l’occasion de la Marche blanche en mémoire de Cédric Chouviat. Un an après la mort de ce père de quatre enfants, entre les mains de la police, nous serons aux côtés de sa famille. Son père Christian Chouviat avait déjà accompagné la délégation reçue au ministère de l’Intérieur lundi 23 novembre, malgré les réticences de Gérald Darmanin.

Nous appelons aussi à de nouvelles Marches des libertés, samedi 16 janvier, partout en France, avant un grand rassemblement, samedi 30 janvier, à Paris. Cette dernière date mêlera les voix des journalistes, documentaristes, réalisateur-trices, victimes et familles de victimes de violences policières, associations de droits humains et artistes solidaires du combat contre les lois liberticides.

D’ici là, nous appuierons les actions qui ont pour objectif le retrait des articles 21, 22 et 24 de la proposition de loi dite «  Sécurité globale  », le retrait du Schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) et de toute autre disposition élargissant la surveillance de masse ou faisant reculer le droit à l’information. La coordination nationale #StopLoiSécuritéGlobale continuera à informer sur les conséquences délétères de ces textes, par le biais de clips réalisés par l’équipe vidéo de la coordination, donnant un éclairage juridique et faisant témoigner des victimes de violences policières.

Depuis le premier rassemblement organisé le 17 novembre devant l’Assemblée nationale, notre coordination n’a cessé de s’élargir. Formée à l’initiative des quatre principaux syndicats de journalistes dont le SNJ et de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), elle comprend aujourd’hui des associations ou collectifs représentant les métiers de la presse et des médias, et aussi des organisations œuvrant dans le domaine de la justice, des libertés numériques, de la défense de l’environnement ou contre les violences policières et leur impunité.

Dans le même temps, des coordinations locales se sont formées à travers tout le pays et plus de 150 villes ont connu au moins une manifestation contre la proposition de loi «  Sécurité globale  ».

Malgré une mobilisation de très grande ampleur (500 000 manifestant-e-s en France, le 28 novembre), déployée dans un contexte d’état d’urgence sanitaire et de confinement, le gouvernement et les parlementaires se sont contentés d’effets d’annonce s’agissant de la réécriture de l’article 24 de la proposition de loi «  Sécurité globale  ». Texte que le Sénat semble vouloir fusionner avec l’article 18 du projet de loi « confortant les principes républicains », précédemment nommée « contre le séparatisme ».

Ni la commission Delarue sur les rapports entre journalistes et forces de l’ordre ni le «  Beauvau de la sécurité  » ne sauront nous détourner de notre objectif. Du reste, Emmanuel Macron n’a toujours pas répondu à notre demande de rendez-vous adressée par courrier et publiée sous la forme d’une lettre ouverte le 14 décembre.

Par ailleurs, notre opposition aux dispositifs de surveillance généralisée instaurés par les drones et les caméras piétons, ou à la sélection des journalistes instaurée par le nouveau SNMO n’a pas été entendue. Des décrets parus en décembre étendent les possibilités de fichage aux groupements et notamment aux opinions politiques ou syndicales, aux comportements et habitudes de vie…

Les pressions politiques de policiers se présentant en uniforme et en plein couvre-feu devant les domiciles d’Elu·e·s ou devant des tribunaux confirment nos craintes quant à l’instauration d’un véritable État de police par la combinaison du SNMO, de la proposition de loi «  Sécurité globale  » et du projet de loi « confortant les principes républicains ».

Tant que ces textes liberticides ne seront pas abandonnés, nous défendrons sans relâche nos libertés.

La coordination #StopLoiSécuritéGlobale fédère des syndicats (dont le SNJ), sociétés, collectifs, associations de journalistes et de réalisateur-trices, confédérations syndicales, associations, organisations de défense de droits humains, comités de victimes et de familles de victimes de violences policières, collectifs de quartiers populaires, exilé-e-s et Gilets jaunes.

Paris, le 24 décembre 2020

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